katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

samedi, novembre 27, 2010

un goût d'émoi




Quand la nuit se présente, aux alentours de 18h, il y a neuf heures que nous sommes partis de Lisbonne. Le bus s'est rempli en zigzaguant au Portugal – six heures pour aller à Coimbra, alors qu'à peine plus de deux sont nécessaires -. C'est désormais l'Espagne qui défile.


Entre autres lectures, j'ai passé un quart de siècle avec Cartier-Bresson. J'y ai vu son père croisant Degas, dans la rue de Lisbonne, ce qui ne manquait pas de me faire sourire, puisque la semaine dernière, j'ai lu précisément le petit livre que Paul Valéry lui a consacré. Comme quoi Lisbonne n'arrête jamais d'imprégner mon labyrinthe mental, même sur papier, même dans le VIIIème arrondissement.


La disparition de Lisbonne et sa renaissance à Paris, cela sonne comme une contrefaçon d'un livre de Martin Page, un auteur qui est une des raisons de mon crochet dans l'Hexagone. Un écrivain qui a séjourné chez Max, au début de l'année. Son premier livre s'intitule « Comment je suis devenu stupide ». Il semblerait que nous ayons quelques points communs.


Maintenant l'obscurité règne, et mon voisin est incommodé par le faisceau lumineux qui me permet de prolonger mon ivresse de papier; donc j'éteins. Il a déjà des yeux qui s'extirpent péniblement d'une impressionnante masse de chair rosâtre. Je ne veux pas participer à ce grignotage.


Assez vite, on peut sentir du froid qui provient de la petite bouche d'aération située à côté des lumières. Une rumeur monte jusqu'au chauffeur, qui opine du chef. Il va faire le nécessaire. Mission réussie avec mention. Ma jambe gauche devient assez vite un rôti. Trouvant peut-être cela un peu sec, l'homme au regard charnu crache tout ce qu'il peut dans un sachet en plastique disposé devant lui. Parfois il s'endort ainsi, le front appuyé contre le siège qui lui fait face, se cramponnant aux poignées situées aux extrémités supérieures. Un filet épicé s'échappe des commissures de ses lèvres, probablement pour me faire tourner de l'œil. C'est négligé que je suis un roi du Twister, avec ou sans ballon.


Derrière moi, une conversation s'est lancée, avec pour seul obstacle le fait qu'un des deux protagonistes ne parle que portugais, l'autre hindi. J'écoute attentivement les réponses que le second balbutie pour ne pas manquer de courtoisie. Après quinze minutes, le bilan est le suivant: pour aller à Dehli, il va passer par Bruxelles, puis faire six heures d'avion, puis rentrer à Lisbonne, demain. Pas demain, la semaine prochaine?!? Oui, oui, demain.


Devant, quelques jacassements.


Un peu plus haut que mon crâne, de la pop-soupe servie par une radio locale. Seul élément que je peux modifier, j'ai à cœur de m'y atteler. Je colle, grâce à mon scotch de carrossier toujours sur homme, une carte à même d'atténuer cette nuisance sonore. Ce sont Saramago et son épouse, héros d'un beau documentaire actuellement en salle au Portugal, qui me permettent ce bricolage. Un Prix Nobel défunt et une journaliste espagnole, les deux n'ayant pas leur langue dans leur poche, à la rescousse de mes oreilles. Le pouvoir des livres est sans bornes.


Bon, je décide de voir si le sommeil veut bien de moi quelques instants. Ce n'est pas une franche réussite. Entre une sensation étrange au bas du dos et ma tête qui, fidèle à ses habitudes, ne tient pas en place, je dors quelques minutes ici et là.


J'aimerais que la musaraigne soit ici, pelotonnée sous mon bras. Je lui griffonne quelques mots dans le noir, sans savoir si, demain, je parviendrai à me relire.



La page ne tourne pas


De la langue j'effleure mon doigt

Sur ma peau un goût d'émoi

Où se devine le parfum d'une voix


Je sais que c'est toi



5h30, Bordeaux m'attend, c'est l'heure d'un café à St-Jean.


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jeudi, novembre 25, 2010

c'est son odeur qui me dorlote







Glisser,

hors du lit,

dans ses habits,

sur le sol.


Je chauffe un peu de lait, le verse dans un bol, y ajoute un reste de café froid. Des dessins s'étirent. Parfois je bois le lac de Neuche, parfois le continent africain. Ma tasse de thé, elle est nettement moins rigolote. Elle, c'est son odeur qui me dorlote.


Je descends les escaliers en silence, pour que le premier bruit qui permette à la maison de prendre conscience que quelque chose se passe, ce soit l'envol des pigeons lorsque j'ouvre la porte pour m'élancer dans les premiers frémissements du jour.


Quand Max est rentré de ses cinq semaines toulousaines, la voisine du dessous lui a fait remarquer qu'elle avait tout de suite repéré qu'il était de retour. Elle avait entendu son pas pesant. « Votre ami, c'est un petit saint », elle lui a dit, « il doit flotter quand il se déplace ». C'était la seconde version, après inquiétudes dissipées. Au propriétaire, elle avait dit qu'elle se demandait s'il n'y avait pas un fantôme dans la maison.


Appelez-moi Casper pépère.


La poissonnière du coin, comme j'arrivais pendant qu'elle parlait de son dernier rendez-vous chez le médecin, m'a demandé si je trouvais qu'elle donnait l'impression de peser 79 kilos. J'ai dit non, sans hésiter, ce qui était vrai. J'aurais bien dit quinze de plus. Elle a été ravie. Elle ne m'a facturé qu'un des deux rougets que j'étais venu acheter.


Hier, histoire d'aller flairer les premiers échos de la Grève Générale, je suis parti faire mon pas de course en direction de Cais do Sodré. Après la place du commerce, au bord du Tage, dans un endroit qui n'est pas encore aménagé, un type jouait du sax, tout seul, concert privé pour quelques goélands charmés.


J'ai continué jusqu'au musée d'art ancien, où il faudra que je revienne pour une sombre histoire de peinture et de décapitation. Je suis souvent partant quant il s'agit de perdre la tête. J'ai gravi l'escalier monumental, aiguisé mes mollets en direction d'Estrella, puis Rato, puis Avenue de la Liberté.


La grève? Pas encore là.


Cela m'a rappelé le titre du livre que lisait un type, à côté de moi, quand je rentrais en tram de Belem : « L'espace vide ». Je me suis arrêté au bord de la route, j'ai regardé à gauche et à droite. « L'espace vide », c'est une conception de la scénographie émise par Peter Brook. Refuser la surcharge, revenir à certaines bases. C'est le comédien, donc l'être humain, qui doit être central, plutôt qu'accessoire ou faire-valoir.


La grève générale a commencé plus tard, avec une ampleur réjouissante. Il s'agissait, pour les personnes présentes, de rappeler qu'elles existent, qu'elles ne sont pas que des chiffres abstraits dans les statistiques de technocrates délavés.


L'espace vide. J'ai regardé à gauche et à droite. J'ai frappé dans mes mains. On va l'avoir ce déficit, j'ai hurlé, on va lui faire la fête, à cette dette.


Un des types qui fait des signes aux voitures pour leur indiquer les places libres, en espérant recevoir quelques centimes, est venu me mettre la main sur l'épaule. Il m'a dit que tout irait bien, il m'a demandé si je voulais une bière, pour me calmer. Parce que j'avais pas l'air bien méchant, mais là, j'effrayais les conducteurs.


Désolé mec.


Il faut pas grand chose pour me clouer le bec.


Je suis passé faire coucou à Arthur, Rubens et Maria, ai continué jusqu'à la place des martyres de la patrie, ensuite Martim Moniz, place hideuse mais tant attachante qu'on en oublie sa laideur. Dernière mise à contribution de ma pompe pour me rendre à Graça, après ça descend jusque chez Max.


On pouvait commencer à cuisiner. On a papoté en faisant la popote. Je lui ai fait goûter le reste du velouté que je mangeais depuis trois jours. Aujourd'hui, il y a un papier sur le frigo:


« Recette de la meilleure soupe du monde par Karim »


Appelez-moi Casper pépère le roi de la soupière.




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vendredi, novembre 19, 2010

cet effacement qui ne se cache pas











Avez-vous déjà offert votre plus beau sourire, aujourd'hui?!?



Les murs lisboètes ne sont jamais à court de propositions et d'invitations, des inscriptions qui ont un mérite de taille, elles ne vous demandent pas de faire passer le message en question à au moins « dix véritables amis », vous promettant alors un changement incroyable dans votre vie lors des semaines à venir.



Votre existence ne serait qu'à un clique du bonheur.



C'est drôle, j'aurais plutôt dit à une claque.



Il s'agirait ensuite de ne pas tendre l'autre joue, mais de les prendre, ses cliques et ses claques.



Avez-vous déjà offert votre plus beau sourire, aujourd'hui?!?



Aujourd'hui et demain, sommet de l'OTAN à Lisbonne; la zone d'Oriente, qui accueille la bande d'encravatés, est déjà en état d'alerte maximale depuis quelques jours. C'est que c'est le triste sort de l'Afghanistan qui se joue, alors il s'agit de se méfier des vilains barbus sans costard.



Même la Russie qui vient proposer ses chars et son lard pour combattre les barbares.



Je crois que je m'en vais faire mon footing par là-bas, juste par curiosité. Vous serez les premiers tenus au courant, cela s'intitulera:



Les aventures d'un mec marrant courant sans Coran au milieu d'une bande de glands à cran.



L'assonance, an an an, c'est pour mieux visualiser la bande d'otaries qui parlent du monde comme d'un poisson à gober de suite.



An an an.



Vous les voyez battre des nageoires?!?



Un mec marrant. Ceci me rappelle un des plus grands moments de solitude de ma vie. C'était au Montreux Jazz Festival, au concert de Common. Sarah (les prénoms ne sont pas fictifs, mais leur orthographe sans doute erronée...) me parlait pendant que Mariam, une fille resplendissante à qui je n'avais jamais adressé la parole mais qui m'avait déjà causé quelques émois, me snobait. Je répondais à sa copine par quelques blagues et histoires sans chute dont j'ai hélas le secret.



Après une quinzaine de minutes, pendant lesquelles la splendeur n'avait pas daigné me présenter autre chose que sa nuque à contempler, elle se retourne, me regarde en haussant les sourcils:



« Toi, en tout cas, on peut dire que t'es un mec marrant. »



Pan! dans les dents.



An an an.



Ce déblogage n'est pas un cours de rattrapage sur les figures de style, mais s'il peut aider des élèves à visualiser et entendre les assonances, voire plus si affinités, j'en serais enchanté. Que les enseignants qui passent par ici ne se privent pas de cette possibilité, c'est cadeau. Pas de droit d'auteur, ni de gauche de Messi; juste un amorti de la poitrine de votre serviteur. Cadeau. Je fais don de mon corps à corps avec les mots à l'enfance. Que la jeunesse se défonce à l'ivresse du verbe. Ca-deau.



Non mais il est pas bien lui.



Avez-vous déjà offert votre plus beau sourire, aujourd'hui?!?



Perso, je les réserve aux boîtes aux lettres qui, ici, ont survécu à la grande peste, aux tremblements de terre, même aux deux défaites contre la Grèce lors de l'Euro 2004. Leurs visages engageants se marient à merveille avec ceux qui dépassent des fenêtres, un peu partout, le plus souvent ils sont édentés, parfois depuis longtemps pas suffisamment éventés.



Ces tronches, parce que c'est vraiment de ça qu'il s'agit, de trognes avec non pas une, mais un demi-millions d'histoires, elles font écho au livre magnifique sur Paul Stutzmann, artisan verrier de Fribourg, que Luca m'a envoyé; elles ont, sans même le savoir, un côté art brut et art de rue, s'offrant à tout un chacun, conscientes de n'être bientôt plus, puisant leur force dans cet effacement qui ne se cache pas.



Il y les galeries, il y a les écrans, il y a les lounges à profusion. Il y a la publicité qui pullulent. Il y a un manque de libellules et de bestioles qui hululent. Il y a tous ces trucs qui font qu'on se gargarise du progrès en caressant le nombril de l'économie, regardant toujours tout droit. Toujours tout droit.



Il y a aussi tous ceux qui, en allant de l'avant, n'oublie pas de prendre du recul.



Ce ne sont pas ceux que l'on croit qui vivent dans un bulle.



Avez-vous déjà offert votre plus beau sourire, aujourd'hui?!?

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jeudi, novembre 11, 2010

au pedigree de son humeur






« C'est justement ce qu'il y a de plus inquiétant de constater que des gens plutôt intelligents ne voient plus ces choses-là. Quelles choses? Mais ces misères de la représentation! On y viendra à la plume au cul sans dérision, la plume au cul qui ne se voudra qu'esthétique. »



Jackie Berroyer, dans sa chronique qui clôt Vibrations du mois de novembre. Il n'est pas question de prix littéraires, non, mais cela pourrait. Oui, cela pourrait.



C'est la musaraigne, arrivée il y a peu, qui a eu l'excellente idée de m'apporter ce magazine. Elle sait que je l'aime beaucoup. Cette phrase peut être lue en changeant les référents, ce qui n'est pas dans le désert du temps. Tant mieux.



Dans ses bagages, il y avait d'ailleurs plusieurs numéros du « Temps », quelques articles épars, aussi.



Le 16 octobre, il y avait une pleine page écrite par Kossi Efoui. Son « Solo pour un revenant », écrit sous l'égide d'une phrase de Michaux qui avait déjà beaucoup secoué Gary, est magnifique.



« Ce qui se traduit mystérieusement de l'écriture à la lecture, et qui dissout les déterminations culturelles et géopolitiques, il m'est arrivé de l'appeler un jour: le toucher du monde.



Le toucher du monde; non pas la mise en touche du monde.



Le toucher du monde, alors forcément ça s'empaupière en direction de Nicolas Bouvier:



«Finalement, ce qui constitue l’ossature de l’existence, ce n’est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d’autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l’amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur.»



Les murs défraîchis, on dirait des nuages, m'a dit la musaraigne; c'est vrai, notre imagination s'y projette au pedigree de son humeur.



Il y a aussi des maisons qui semblent être un assemblage de draps ou de cartons colorés; difficile de dire comment elles tiennent (à peu près) debout.



Lisbonne, en fait, est un kaléidoscope. Un peu de lumière et la voilà démultipliée.



« J'ai toujours eu l'impression qu'en certains endroits du monde se croisent les lignes de force d'histoires anciennes qui n'ont pas fini de vivre et d'histoires nouvelles qui n'ont pas fini de naître, où l'histoire, la légende, la mythologie et le fait divers sont au même carrefour, l'un brouillant ou éclairant les pistes de l'autre. »



Kossi Efoui au corps, encore.



Accords.



En parlant de désaccords, le fils de la voisine de Max joue du violoncelle. C'est un instrument un peu ingrat, je crois. L'apprentissage en est en tout cas laborieux, parfois pour les oreilles douloureux.



Anne trimballe aussi ses affaires de cours, migrations et citoyenneté au programme.



Hier, à l'heure de l'apéro, elle m'a dit en rigolant:



« En fait, toi, t'es un migrant irrégulier. Ça veut un peu dire que tu n'existes pas? »



Non, ça veut dire que j'existe trop.

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lundi, novembre 08, 2010


"Comment, c'est tout? Ah, monsieur, mais ce que je crois c'est que vous savez déjà vraiment tout - que je vous ai tout confié. Pour avoir le final, pour connaître le reste qu'il manque, ce qu'il vous suffit, plus ou moins, c'est d'être attentif à ce que j'ai raconté, de trifouiller dans le vif de tout ce que j'ai dit. Parce que je n'ai rien raconté au hasard: l'accent mis seulement sur le principal, je crois bien. Je ne gaspille pas les mots. Mon singe va vêtu. Réfléchissez, vous trouverez. Vous situerez l'intrigue. Pendant ce temps, un autre café arrive, nous fumons une bonne cigarette. C'est de cette façon que je tresse mes journées: à pourpenser. Installé dans cette bonne vielle dodine, qui vient de Carinhanha. J'ai un petit sac de reliques. Je suis un homme ignorant. Ça me va. Est-ce que ce n'est pas seulement dans l'obscurité que nous percevons la petite lumière isolée? Je veux voir ces eaux, voir la lueur de la lune..."

João Guimarães Rosa, Diadorim

samedi, novembre 06, 2010

la toile et la trame







Avant l'apothéose du final, quand le soleil n'est plus qu'à quelques encablures d'une longue apnée nocturne dans l'Océan, il y a cette lumière qui, si l'on n'y prend pas garde, est en mesure de faire trébucher notre mâchoire sur le sol.



« É tão difícil guardar um rio quando elle corre dentro de nós »



L'atmosphère a également une touche bien particulière le matin, lorsque la chaleur commence à pointer le bout de son nez, que s'amorce la vie du quartier; une activité, cela m'enchante, ayant pour refrain la porte des cafés.



Aussi l'histoire d'amour entre le linge et les flèches célestes qui, lancées du ciel, viennent se nicher dans tout ce qui pend aux fils traçant la toile et la trame des vieux quartiers lisboètes.



Derrière chez Max se trouve, au pied d'une église qui carillonne avec une charmante irrégularité, une esplanade d'où l'on peut contempler le Tage. Quelqu'un a eu la bonne idée d'écrire sur un mur cette phrase de Jorge Sousa Braga; un poète qui se déguise en médecin, à Porto:



« Il est tellement difficile de garder un fleuve quand il court à l'intérieur de nous. »



Je m'y rends de temps en temps pour caresser un peu le ballon, l'endroit s'y prête à merveille. Une bâtisse dédiée à l'imagination, d'un côté; une véritable manifestation de l'infini et de la puissance qui ne cherche pas à asservir, d'un autre. En équilibre entre les deux, je peux bien faire quelques passements de jambes sans troubler le désordre du monde.



L'inspiration des ombres, quand l'aube est terminée depuis quelques étirements d'après-réveil, ou quand la nuit est à une petite série de gorgées apéritives, touche au génie.



Ombre, en portugais, se dit sombra.



Ombra, c'est l'épaule.



Épaule, dans mon cœur de papier, signifie Gustave Roud.



Et pis alors? c'est pas parce que charrue rime avec morue que les bœufs doivent être attelés en faisant des nœuds.



Non, c'est vrai. Vous excuserez mes associations d'idées sans chute.



C'est que, vous voyez...



Chut.



En montant rejoindre le point de vue le plus panoramique de la ville (hormis les fortifications du château), j'ai suivi un p'tit mec qui faisait des feintes, tout seul, sans ballon, probablement en se rendant à l'école.



Une nouvelle fois le temps et l'espace se détraquaient.



C'est troublant de marcher derrière soi.



Arrivé en haut, j'ai constaté qu'un nouveau panneau avait été installé. On y lit beaucoup d'amertume.



« Rien ne m'afflige plus qu'un peuple heureux, un peuple heureux dans son « va comme tout le monde! » ».



Voilà qui venait bien inopportunément me rappeler que c'est probablement Michel Poêle-Beurkh ou Virginie Desfientes qui va gagner le prix Goncourt. Alors que leurs torchons se vendent déjà par caisses. Pas celles pour chats. Encore que.



Ces jours, j'aime à me perdre dans le démesuré « Diadorim » de João Guimarães Rosa. Il est préfacé par Vargas Losa, le nouveau prix Nobel, peut-être ceci permettra-t-il de relancer quelques tirages de cet ouvrage qui, en livres de poche, est épuisé.



Je tente de suivre le monologue trépidant de Riobaldo, une traque du Diable, avec pour refrain un amour interdit, ceci dans les nerfs de petites guerres qui s'embourbent au fin fond du Brésil.



Mais il y a mille autres manières de ne pas résumer ce livre.



« Ce qu'est la peur: une production à l'intérieur des gens, un dépôt; et qui à certaines heures s'agite, bouillonne, on croit que c'est parce qu'il y a des raisons: pour ci ou ça, des choses qui ne font guère plus que tendre un miroir. La vie est pour dissoudre ce dépôt de peur; un jagunço sait. D'autres le racontent d'autres façons. »



C'est Pierre Landry, à Tulle, qui me l'avait conseillé. A l'époque, il l'avait lu à sept reprises. Parce que, m'avait-il expliqué, la première fois, tu tentes déjà de regarder devant toi; mais tu te rends vite compte que tu as oublié de faire attention sur les côtés. Alors tu sais que tu le reprendras. La seconde immersion, tu as beau être aux aguets, tu n'as pas pu te retourner comme il aurait fallu; ni lever la tête. Alors tu sais que tu le reprendras.



Je pense que vous avez compris le principe.



Vous pourrez prendre le prochain Goncourt en étant certain de n'avoir point besoin d'y revenir, vous pourrez même le lire en diagonale, un gain de temps qui n'est pas négligeable, je vous l'accorde.



Si vous dégotez « Diadorim » quelque part, vous devrez probablement allez chercher des mots comme « accoiser » ou « mucher » dans le dictionnaire. Faut pas déconner non plus.



« Au début, je faisais et je me démenais, et penser je ne pensais pas, je n'avais pas le loisir. J'ai vécu à la dure de dure, poisson vivant sur le grill: qui s'esquinte à la dure ne se monte pas la tête. Mais, désormais, vu le temps qui me vient, et sans petits soucis, je farniente. Et je me suis inventé ce goût, de spéculer sur des idées. »



L'autre matin, alors que je demandais un cake aux pommes, je me suis retrouvé avec un croissant.



Ça vous fait pas rêver une langue où pomme rime avec croissant?!?


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jeudi, novembre 04, 2010

orage et douceur, sur un fil, entre coeur et paupières

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mercredi, novembre 03, 2010

éclats de roches avec fissure


"Chaque vague tranquille à cette heure donne promesse de terre. On pourrait presque lire la roche. Bibliothèque bien rangée malgré l’assaut des eaux."




Jacques Moulin, Archives d'îles

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lundi, novembre 01, 2010

épisodes mal définis






Le ciel, un ciel, ce ciel-ci, qui toise Lisbonne, eh bien il dégouline à l'envi, ces derniers jours et dernières nuits. Par épisodes mal définis. Regarde par ici; tiens c'est fini. Regarde par là; on dirait que pas.


Mais ça prend plus que la pluie pour contrarier mes pieds, leurs trépignements, leur soif de pas. Donc courir malgré tout se déploie.


Un deux trois.


Un deux trois.


Un deux trois.


Une fois rentré, le ciel s'était calmé, le vent avait de nouveau tout séché, alors je suis resté dehors pour m'étirer.


Un deux trois.


Un deux trois.


Un deux trois.


Une petite fille faisait des tours de la place, une place carrée qui peut faire quoi? allez, trente mètres de côtés. Je m'y suis accoté. J'ai commencé à tricoter. Mais non. C'était pour la rime.


Remarquez, j'aurais pu faire la malin et utiliser « marcotter ». Parce que v'là t'y pas que, l'autre jour, alors que je cherchais la définition d'un mot – mergulhar, je vous le glisse pour la route -, le dico me sert ceci: marcotter, provigner.


Marcotter. Provigner. Tout à fait.


Ben tiens. T'en as beaucoup des comme ça?!?


Un deux trois.


Un deux trois.


Un deux trois.


Marcotter. Provigner. Pour info, on pourrait aussi dire quelque chose comme bouturer. Non, non, pas biturer; là c'est d'autres racines qui s'abreuvent.


Un deux trois.


Ma présence, le long du tracé de la petiote, semblait puissamment l'agacer.


Tu bougerais pas tes poils et ton gros nez, s'te plaît.


J'ai pas bronché.


Non mais.


Quatre cinq six.


Maladresse et Miel, voilà qui ferait un bon résumé de ma vie, ai-je dit à Lisa.


Ungeschiklichkeit und Honig. Ja wohl.


Quatre cinq six.


Mergulhar?!? J'ai opté pour plonger, enfoncer.


Sept hui neuf.


Avec Lisa, grâce à Raphu, on est allés voir Tindersticks. D'entendre la voix de Stuart Staple, j'avais des frissons de Lhasa à la place des bras. Le jour d'avant, j'avais passé une heure à pleurer en la regardant; des clips, des petits films, des trucs picorés sur le net.


Ça ne veut rien dire de dire qu'elle me manque; je ne la connaissais pas, ne lui avais jamais parlé, il y avait juste Benoît qui quelques fois me narguait parce qu'il l'avait croisée. Non, ça ne voudrait rien dire de dire qu'elle me manque.


Elle me manque.


Dix onze douze.


Dans un entretien accordé à la sortie de son dernier album, elle disait ne pas vouloir faire une tournée trop longue, parce qu'elle avait déjà envie de se mettre à la confection de son prochain album. Elle ne voulait pas qu'il y ait une nouvelle fois plusieurs années de récupération et de digestion avant de parvenir à enregistrer.


Le ciel, un ciel, ce ciel-ci, qui toise Lisbonne, eh bien il dégouline à l'envi, ces derniers jours et dernières nuits. Par épisodes mal définis. Regarde par ici; tiens c'est fini. Regarde par là; on dirait que pas.


Quand je contemple les cieux, quand ils déplient une déroutante panoplie d'états d'âme, je me dis qu'elle s'est faufilée dans un studio d'enregistrement, là-haut.


Elle me manque quand même.



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