Eugénio de Andrade
Ce fût une surprise qu'Inês Lourenço ait un de mes livres dans son sac. Ce fût une surprise qu'elle le prenne dans son sac au moment où elle disait au poète qu'elle avait très envie de lui présenter un ami, un jeune qu'elle considérait prometteur. Au même instant, Eugénio de Andrade lui prit le livre des mains et, encore plus renfrogné, furieux comme le tonnerre, dit qu'il n'en pouvait plus des jeunes et qu'il ne lirait plus jamais rien de personne. Il dit que si nous laissions là cette merde, cette merde irait immédiatement avec les déchets. Inês aurait aimé trouver un trou pour se cacher. A moi, cela me donna un certain fou rire. Je ne trouvai là-dedans rien de personnel, mais je restai nerveux, gêné. C'était à peine une indisposition, oui. Mais, en vérité, rien qui ne lui soit cohérent. Aujourd'hui, je comprends que j'aime mieux Eugénio de Andrade que je l'aimais alors. Même avant l'épisode antipathique. Vieillir est vouloir simplifier, rendre chaque chose plus limpide, élémentaire. Prendre de l'âge fait qu'Eugénio de Andrade arrête d'être uniquement solaire pour devenir pureté possible. Evidemment, il devait angoisser d'aspirer à la pureté, éloigné d'elle comme il devait l'être, comme nous le sommes tous. Mais son aspiration est ce qui compte et, au final, l'identifie. Lire Eugénio de Andrade c'est passer l'âme dans l'eau limpide. Sa poésie a une propriété d'hygiénisation qui nous permet la transcendance dans la vie, sans davantage de ces bizarreries qui ne l'émerveillent pas (le poète, je rajoute parce que c'est plus clair en portugais). Assirio & Alvim publie, à présent avec une grande perfection, l'intégrale de la poésie d'Eugénio de Andrade. A chaque volume, nous relisons les classiques de toujours. Lapidaires, comme nés directement de la nature du temps. Comme si le temps prononçait ce qui lui paraît, mûr. Un temps qui se pense, sage. Certains de ses poèmes ne semblent le travail de personne, ils sont la respiration naturelle des choses. La prodigieuse manifestation de ce qui a eu besoin de l'éternité pour gagner sa voix. J'ai toujours vu Eugénio de Andrade comme un poète idéal pour les débuts. J'ai récité ses livres à tous les jeunes, tout ceci paraît tellement ironique maintenant, parce que j'étais convaincu qu'il n'y avait pas mieux pour, en séduisant, amener à la lecture et à l'écriture. Aujourd'hui, je comprends que ses textes sont surtout pour qui veut arriver à la limite des mots. Là, où ils cessent d'être des mots et commencent à bouger dans nos os avec les doigts."
Article de Valter Hugo Mãe, paru dans le Publico du 4 décembre, arrivé à ma connaissance par la grâce de la musaraigne, qu'elle en soit ici remerciée.
Quand j'ai lu "Certains de ses poèmes ne semblent le travail de personne, ils sont la respiration naturelle des choses", j'ai su que je traduirai l'entier de l'article, ne serait-ce que pour Liliane, qui a été de nombreuses fois bien proche de me dire ceci quand elle me parlait de la poésie du monsieur.
La dernière phrase, tout particulièrement, mérite d'être écrite et lue en portugais, parce que s'y entend le vent marin, plus beau final qui soit pour un article rendant hommage à un poète comme celui-ci.
"Ali, onde elas acabam de ser palavras e passam a mexer nos nossos ossos com dedos."
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