katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, septembre 25, 2012

petit dépôt de passé






"Pèlerinage" sur les traces de Gustave Roud, avec ma grand-mère. L'expédition n'aurait pas de sens sans ses anecdotes et ses souvenirs. On traverse "notre pays de Vaud qui n'est pas si grand" en faisant quelques "virolets" depuis Pomy. Remonte à la surface, au fil de cette voix qui s'étire des confins d'un autre temps, une petite foule de souvenirs pressés: les coquelets de Biolley-Magnoux; les antennes de Sottens, "que nos parents nous emmenaient voir"; les bals à Chapelle, "où on allait à vélo depuis Combremont, tu t'rends compte? Bon, parfois quelqu'un nous poussait quand même un bout"; les grandes vacances qui n'avaient alors pas lieu en été, mais en automne, pour aider à la ferme, pour participer à la valse aux mille betteraves. 

"Quand j'y r'pense, j'me dis que c'était quand même une vie sacrément difficile. Pis j'aime mieux te dire qu'on avait intérêt à pas la ramener. Je les bafferais, tu sais, quand j'entends des greluches à la télé dire qu'elles ne sont quand même pas là juste pour faire à manger et le repassage."

Sur la route, après le salut d'un épervier, c'est d'abord un bout de Moléson qui nous hèle, puis toutes les Alpes qui dentellent l'horizon. Ouverture du regard à peine contrariée par des traînées de brouillard. Le souffle se cherche soudain, s'aperçoit au loin, se prend par la main.

Me reviennent les propos de Danny Leferrière, dans les premières pages de "Pays sans chapeau", ce petit livre génial conçu alors qu'il retournait en Haïti pour la première fois depuis une éternité. Il y dit qu'il voit passer un oiseau, alors il écrit oiseau; une mangue tombe, il écrit mangue. Et ainsi de suite. 

"On dirait un peintre primitif. Voilà, c'est ça, j'ai trouvé. Je suis un écrivain primitif."

C'est à cette simplicité que j'ai envie de m'atteler, qu'à force de travail, les voix et les regards m'apparaissent aussi clairement qu'un chat qui serait sur mes genoux, que je décrirais par le détail, caresses et ronronnement inclus, et que du coup il soit lu dans l'étirement de ce moment perçu, reçu, cousu.

Je rédige ceci au huitième étage d'un immeuble, dans le XXème arrondissement parisien, dans un appartement qui est en fait un bateau. Des arbres me font face, leurs sommets me chatouillent le nez, exagèrent le vent en permanence. Ils inventent des tempêtes, froissent leurs feuilles plus que de raison. Cette démesure me plaît, correspond à la période étrange dont je peine à m'extirper.


Pris dans une accélération du temps, surviennent des instants pendant lesquels un précipité se forme au fond de l'éprouvette de mes yeux, petit dépôt de passé faisant clignoter d'autres possibles ayant échoué sur quelques rivages délaissés. Je les observe, caresse le verre du bout des doigts; secoue à nouveau. 

Ces anciennes fulgurances redeviennent alors des flocons dansant sur des monuments fatigués.

Dimanche, comme toujours quand je suis à Paname, je me suis rendu au marché du livre ancien et d'occasion. J'y ai bien entendu trouvé de quoi constituer une petite pile charmante. Lors de ma diagonale de retour, je me suis arrêté près de la rue Mouffetard pour lire une de mes trouvailles. Un direct dans le plexus, voilà ce que j'ai récolté pour mon audace. Un bouquin, publié il y a dix ans par Olivier Frébourg, qui est en fait le livre que j'aurais dû écrire à la musaraigne dans dix ans. J'ai donc été victime d'un plagiat par anticipation, sous le titre "Souviens-toi de Lisbonne".

"Ton visage s'ouvrait peu à peu à la lumière, tu revenais d'un voyage lointain. Je doute d'avoir été à la hauteur. J'étais trop distrait par les paysages. Tu avais besoin d'une attention absolue. Tu voulais parler, partager, comprendre. Tu aurais dû être mon chef-d'oeuvre."

"Le tango commence au bord du quai. Il naît de la contemplation des navires, des départs, des points sur l'horizon qui s'effacent dans la fumée du ciel. Arpenter les ports, j'en aurai fait ma vie. Parfois, tu m'accompagnais dans mes errances. Tu étais comme une enfant émerveillée qui découvre les voiliers filer dans un bassin. L'hiver, tu enfouissais nos deux mains dans la poche de ton manteau. Tu avais succombé au tango, à cette "pensée triste qui se danse". Tu étais la femme tango, rouge et noir, une cavalière indomptée et solitaire."

Lisbonne dont il a été question, ici, quand j'ai mangé avec Elodie, rencontrée là-bas, quand j'ai bu un café avec Chloé, rentrée dans ma vie là-bas aussi, et dans le message que je n'ai pu m'empêcher d'envoyer alors à Maud. Lisbonne qui m'a contaminé, je le sens fortement ces jours, puisque presque rien ne parvient à me charmer dans le gris pressé et compressé de Paris. Heureusement qu'il y a les livres.


Je rédige ceci au huitième étage d'un immeuble, dans le XXème arrondissement parisien, dans un appartement qui est en fait un bateau. Le sommet des arbres qui me chatouillent le nez exagèrent le vent en permanence, ils inventent des tempêtes, froissent leurs feuilles plus que de raison. Cette démesure me plaît, correspond à la période étrange dont je peine à m'extirper.


Pris dans une accélération du temps, surviennent des instants pendant lesquels un précipité se forme au fond de l'éprouvette de mes yeux, petit dépôt de passé faisant clignoter d'autres possibles ayant échoué sur quelques rivages délaissés. Je les observe, caresse le verre du bout des doigts; secoue à nouveau. 

Ces anciens fulgurances redeviennent alors des flocons dansant sur des monuments fatigués.