katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, mai 02, 2012

la planche-contact de sa vie


Il aura suffi de deux jours un peu plus chauds pour que le Chasseral ne se targue plus que de minces zébrures blanches ; il s’est retrouvé tout d’abord tacheté, puis, aujourd’hui, seules quelques lignées de neige contrarient sa calvitie habituelle ; avec ce cure-dent qui permet de le distinguer sans hésiter. C’est une antenne dites-vous ? Oui, merci. 

J’ai commencé ce déblogage sur un banc, au port de Cudrefin, derrière une cabane qui me protégeait du vent. Un monsieur qui nous avait vus nous mettre à l’eau, le jour précédent, s’est approché pour bavarder ; il m’a parlé d’un ami qui s’est « hydrocuté » ici-même, il y a quelques années. « Pas eu le temps de faire quoique ce soit, il est devenu bleu, et l’affaire était entendue. »
 
Il a alors regardé une partie de la planche-contact de sa vie qui s’agitait à la surface du lac.

« Tiens, voilà un cygne, longtemps qu’on l’a pas revu celui-là ! »

C’était d’un bateau qu’il s’agissait.

« Ils ressortent les petites embarcations, ils veulent faire des économies. De toute façon, y a jamais personne dans ces machins. »

Puis ses amis sont arrivés. Les discussions n'ont pas tardé à aller bon train, me permettant de reprendre le mien : celui de l’écriture et de ses proches lointains.

Le vent « tirait », comme ils disent ; son objectif: ébouriffer ce paysage trop calme. Il ne mettait pas dans le mille, mais l’agitation des mâts et les ondulations lacustres rendaient tout de même cette fixité un chouilla moins lisse. Un enfant sage qui a renversé un fond de verre par terre, sans le faire exprès ; c’est souvent ça, les chamboulements en Helvétie.

Samedi dernier, Fribourg au programme. Pique-nique sous de vieux souvenirs. J’aime mieux qu’ils me chapeautent et m’orientent, plutôt que de m’asseoir dessus ; pour autant que j’arrive à ne pas me laisser étouffer.

Derrière le café de la Marionnette, qui va fermer pour divergences d’intérêts entre les propriétaires de l’endroit et le type génial qui fait vivre le lieu depuis cinq ans, j’ai regardé des enfants jouer au foot comme des grands.  Puis je suis allé ajouter un petit affluent à la Sarine, près des derniers instants du Gottéron ; la rivière m’a dit apprécier cette caresse nouvelle qui prenait sa source dans mes yeux.

Elle a ajouté que cette tristesse contenue, amoncelée  depuis des années, c’était important qu’elle ne se cache plus, qu’elle lave enfin cette colère sourde qui me porte et me déporte dans le même mouvement irrésolu. 

« Arrête voir de t’empêtrer dans des refus et des indignations, tes colles !  Secoue-te voir un peu, cré nom, et fais quelque chose de concret ! »

Okay mec, j’vais me rhabiller avec plus de légèreté, mais le pas et le regard décidés ; ça commence à bien faire ces sermons « ensanglotés » qui s’accrochent à ma sacoche.

Je vais repartir sur les traces de Vila-Matas et du titre interpelant d’un de ses derniers petits ouvrages : « Perdre des théories ». Je vais aussi retravailler à ma sauce celui du François Deblüe, qui est dans ma besace : « Entretien d’un sentimental avec son mur. »

Cela pourrait devenir « Egarer certains principes » et « Digressions d’un blaireau avec son baluchon ». Pas certain de faire un carton, mais ça me permettra peut-être d’aller à nouveau de l’avant.

Je pensais à tout ça en montant en direction de « Coup d’pouce ». J’ai d’abord marché dans la rue des archives, où j’ai pris quelques nouvelles de mes erreurs passées, puis j’ai gravi celle des zigzagues, je restais en quelque sorte dans le même registre. Arrivé au sommet de ma petite ascension, je me suis fait renverser par un mélange d’ail des ours et de je-ne-sais-quoi, une odeur étourdissante qui se dégageait du bord de la route ; c’était bien de se sentir vivant par l’entremise de mes sens, pas seulement de mes sentiments flageolants.

J’ai ensuite salué le bastion de résistance potagère qui survit au pied du futur pont de la Poya, décalage sympathique à deux pas de ce chantier impressionnant.

Chez « Coup d’pouce », j’ai trouvé quelques bouquins, soit une petite pile de cadeaux potentiels ; je respire mieux quand je sais que je peux dégainer un livre à chaque coin de rue, pour donner de l’ampleur à une rencontre, ou juste un écho ; allez comprendre.

Je me suis ceci dit fait une amie à qui je ne pourrai pas remettre de bouquin ; elle fait sa belle dans un champ tout près du Moulin : une vache joueuse qui, après s’être un peu méfiée, a décidé que j’étais un interlocuteur valable. Elle vient donc me raconter des anecdotes bovines quand je m’assieds tout près de son enclos. On se marre bien.

Et puis il y a les arbres fruitiers, qui arborent leur floraison printanière pour mettre un festival de couleurs dans la paume de mon cœur.

J’ai commencé ce déblogage sur un banc, au port de Cudrefin, et j’y suis revenu pour conclure.  Moins d’agitation dans l’air, c’est un clapotis léger qui me berce. Un couple est assis à côté de moi. Max, Léon et Guillaume, trois autres enseignants, ne sont pas loin ; ils n’avaient pas besoin d’appuyer leur dos, contrairement à papy katch. L’un d’entre eux m’a imprimé un entretien dans lequel Deleuze parle des nouveaux philosophes ; j’en extrais un passage qui est bien dans le désert du temps :

« Or, les élections, ce n’est pas un point local ni un jour à telle date. C’est comme une grille qui affecte actuellement notre manière de comprendre et même de percevoir. On rabat tous les événements, tous les problèmes, sur cette grille déformante. Les conditions particulières des élections aujourd’hui font que le seuil habituel de connerie monte. »

Et puis un autre à quoi s’accrocher, qui est une manière intéressante de condenser ce que j’ai apprécié pendant le mois ici :

« Les philosophes doivent venir de n’importe où : non pas au sens où la philosophie dépendrait d’une sagesse populaire un peu partout, mais au sens où chaque rencontre en produit, en même temps qu’elle définit un nouvel usage, une nouvelle position d’agencements – musiciens sauvages et radios pirates. »

J’ai commencé ce déblogage sur un banc, au port de Cudrefin, et j’y suis revenu pour conclure. Je regarde l’autre rive, celle où l’on m’a lancé dans la vie ; je pense aussi aux autres rivages où j’ai ensuite décidé de me jeter tout seul. Pas de bilan à faire, s’il est un refus que je ne remettrai jamais en cause, c’est celui de m’en remettre aux chiffres. 

Non, pas de bilan, mais un sentiment de frustration tout de même, alors il va s’agir de remédier à ça, pour qu’être extra-ordinaire ne signifie pas surtout être trop souvent solitaire.

Non, pas de bilan, mais la musaraigne s’en est allée, et c’est à une violente mise en faillite que je suis confronté.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Il y a des jours que je lis silencieusement les textes que tu laisses ici. J'y respire à chaque fois un air pur et sain, celui du voyage physique et celui du voyage intérieur mêlés. Je me sens bien à lire tes mots, ils apaisent ; je repasserai régulièrement et avec beaucoup de plaisir.

02 mai, 2012 21:57  

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