katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

jeudi, mars 22, 2012

le bal masqué de notre confusion











La nuit était bien avancée, tellement qu'elle ne pouvait plus songer à reculer. Son point culminant atteint, elle dégringolait jusqu'aux étincelle de l'aube. Un p'tit mec, coiffé de dreadlocks, jouait de la guitare pour lui et une poignée d'étoiles. A quelques dizaines de mètres, des jeunes buvaient et fumaient ; ils embrassaient ensemble le sel de l'obscurité.


Depuis le point de vue de Santa Luzia, on apercevait, en contre-bas, un énorme bateau de l'armée française : Tonnerre. Il donnait l'impression d'avoir pondu trois bébés, trois petits orages, dont un arborait le drapeau turc.


Il y a, dans « Just Kids » de Patti Smith, une expression fabuleuse: le bal masqué de notre confusion.


Devant le musée du fado, un peu plus tôt, un clochard pianotait en riant sur une cabine téléphonique, écoutant cette musique qui court en lui et que la bouteille lui permet parfois de rattraper. Il aimerait écrire des paroles à même d'épouser ces notes qui ne s'arrêtent jamais. Oui, il aimerait. Il aimerait comprendre comment vivre autrement, tout simplement, mais sa tête est devenue un balbutiement permanent.


A deux pas, trois gaillards buvaient une bière, l'un expliquant aux autres que le Real Madrid n'est rien d'autre qu'une équipe de pions. Passe alors un couple, frappé par une grâce providentielle : côte-à-côte, entre des pavés, les attendant sagement, deux mégots offrant encore une dizaine de bouffées. La joie alors, dans leurs regards chancelants, quand ils allument ce peu de feu qui leur reste.


Il y a, dans « Just Kids » de Patti Smith, une expression fabuleuse: le bal masqué de notre confusion.


Le dimanche, l'entrée dans les musées est libre, de 10h à 14h. M'en suis allé à celui de l'azulejo, quand la maisonnée dormait encore. Je suis resté longtemps devant un Panorama de Jérusalem datant du XVème siècle. Les quelques personnages solitaires de ce tableau semblaient me parler dans une langue inconnue. Je leur répondais quand même, avec des mots qui n'existent pas. A quelques pas, une guide expliquait à une vingtaine de curieux que les azulejos sont, relativement au Portugal, comme les morues : une tradition venue d'ailleurs, dont on explique pas la prégnance au fil du temps.


Dans l'église, surchargée en dorures, se trouve une peinture représentant le moment où Matthieu dit à Jésus que, dusse-t-il mourir avec lui, il ne le renierait jamais. Elle est l'oeuvre d'un anonyme, mais elle m'a fait penser aux travaux de Georges de la Tour. René Char n'était donc pas loin. On trouve ceci dans ses Feuillets d'Hypnos :


« La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j'ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais aussi désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n'ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l'emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d'ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l'homme assis. Sa maigreur d'ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L'écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l'inespéré mieux que n'importe quelle aurore. 


Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d'êtres humains. »


Pour marquer l'arrivée du printemps, je m'en suis allé au CCB, où je pensais qu'allaient avoir lieu, à l'occasion de la journée mondiale de la poésie, des lectures et différents événements. J'ai été accueilli par une nuée de goélands, qui m'a frôlé la tête ; on aurait dit des confettis géants, bruyants, qu'un enfant aurait lancé en l'air. Enivrés par leur vol, ils n'avaient plus envie de se poser.


Sous la douceur de cet instantané, deux uniformes à l'air arrogant. Une miette de poésie se déposait sur ma langue, sa saveur diaphane me confiait ceci : il est important de refuser de marcher comme des policiers, main sur la ceinture et épaules en devanture.


C'est bien joli tout ça, mais le fait est que je m'étais trompé ; c'était trois jours plus tard que Belém mettait les poètes à l'honneur.


Du coup, je me suis proposé de traverser le fleuve, direction Trafaria. Sur le bateau, j'ai repensé au petit vieux, dans le train, alors que je revenais de Santarem, qui parlait avec qui voulait bien l'écouter, expliquant son aventure du jour, tout fier de faire encore tout tout seul, à plus de 80 ans. « Les vieux sont pires que les jeunes » m'avait glissé ma voisine, faisant écho à la dame où je vais acheter mon poisson, qui m'avait dit la même chose, avec force clins-d'oeil, lorsqu'elle contait à une autre grand-maman certaines de ses nuits torrides.


Arrivé de l'autre côté, j'ai vu gesticuler, sur la plage, deux guignols en train de tourner un clip ; une cinquantaine de pelés les observaient, amusés.


Il y a, dans « Just Kids » de Patti Smith, une expression fabuleuse: le bal masqué de notre confusion.


Mon excursion m'a appris que la centrale nucléaire que l'on devine, à l'endroit où le Tage devient Océan, est en fait un endroit où arrivent et se conditionnent des céréales. Derrière cette excroissance, un quartier à la réputation sulfureuse, où poussent des maisons d'infortune, où s'étouffent pas mal de rêves venus d'ailleurs.


Certains endroits sont des éponges, s'y accumulent beaucoup de rancoeurs et de désillusion ; c'est du sang et de la transpiration qui en exsudent quand la prétendue main invisible d'Adam Smith serre le poing en signe de victoire.


Un peu plus loin, un « spot » couru par les amateurs de surfs et de joies balnéaires en tous genres ; un projet de golf est à l'étude.


Il y a, dans « Just Kids » de Patti Smith, une expression fabuleuse: le bal masqué de notre confusion.


La poésie,

c'est aussi quand

la peau évite,

mais relie ;

c'est surtout quand

la peau hésite,

mais grésille.


En me dirigeant vers le quai, j'ai aperçu une dame âgée, qui observait, attendrie, deux jeunes en train de s'enlacer. J'embrassais cette scène dans son entier. Est-ce que quelqu'un me voyait, mise en abîme de l'abîmé?!?


Vous, à l'instant.

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1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Any possibility of following-up on the steps of the remarkable, gone for ever Antonio Tabucchi ( a sad news, a big loss ..) or you would rather be and remain your own and only one Katch ? Probably...
A few lines on A.T. ?
Thanks .

26 mars, 2012 19:51  

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