katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, janvier 10, 2012

embarquer du regard







Et puis que surgisse un peu de tout. Mes yeux emplis de bruine, par moments, condensant le versant humide de journées lunatiques. Grand huit saisonnier difficile à maîtriser. En surimpression, alors, les fameux mots d'Henri Calet : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » Dernière phrase de son ultime livre, inachevé.


Et puis que surgisse un peu de tout. La malice du type, dans un café où j'aime aller de bon matin - terrasse à l'ensoleillement minuté, improvisée qu'elle est entre escaliers et bâtisses plus ou moins déglinguées -, qui me dit en riant que si je veux de l'eau, dans mon verre, il faut que je demande un verre avec de l'eau, autrement il me le sert vide, et qu'alors je pourrais tout juste faire de la musique à l'aide de ma petite cuiller.


Et puis que surgisse un peu de tout. Les râles, c'en étaient, du type emballé dans une couverture, niché contre le mur d'un passage étroit de l'Alfama ; râles qui m'ont fait sursauter alors que je m'attardais sur un paroi en ruines où quelques ombres jouaient ; râles que je suis allé questionner, en obtenant d'autres en réponse, plus étouffés, qui m'exhortaient de passer mon chemin sans m'apitoyer.


Et puis que surgisse un peu de tout. Le mec, sur une table devant le café Tati, qui a attaché deux de ses chiens pour mieux prendre le plus petit sur ses genoux, lui proposant de profiter avec lui de quelques images osées se déroulant sur son I-Pad. Un gars étrange à qui je repenserai, un peu plus tard, faisant une boucle imaginaire en attendant l'heure de la séance que j'avais prévu d'aller voir à la cinémathèque, tour pendant lequel une prostituée m'a accosté,


t'aurais pas une cigarette ?!?


pensant vraisemblablement que j'étais trop timide,


tu voudrais pas autre chose ?!?


qui n'a pas pris le temps de répondre quand je lui ai proposé de m'accompagner pour voir « Autoportrait d'un inconnu ». J'aurais voulu la revoir, plus tard, pour glisser dans sa nuit mouvementée quelques unes des paroles de Cocteau, notamment celles où il parle de Picasso, qui lui a « appris à courir plus vite que la beauté, à insulter les habitudes, à hausser les gestes de la vie quotidienne jusqu'à la danse. »


Et puis que surgisse un peu de tout. L'incongruité d'un rêve dans lequel je discutais avec Tony, l'employé communal de Champagne, le village au sein duquel, pendant des années, le foot était presque toute ma vie ; un Tony avec qui je parlais des répercussions de la privatisation sur la planification de ses saisons. Ben voyons.


Et puis que surgisse un peu de tout. La douceur d'après-midis de janvier pendant lesquelles on peut, dans des endroits stratégiques, s'attabler dévêtus, embarquant du regard dans les parenthèses que les voiliers ouvrent sur le Tage, nous laissant le soin de les refermer ou pas.


Et puis que surgisse un peu de tout. Et que cela soit l'incessant brouillon qui m'est aussi un bastion. Blason d'un gustion qui s'en va et s'en vient s'écrivant, avec le blanc s'escrimant, contre le vent parfois s'écriant. Certains ont mis une vie pour ne pas devenir écrivain, ce qui ne signifie pas qu'ils ont écrit en vain ; j'irai peut-être m'asseoir avec eux sur un banc, après, là-bas, dans ce « quelque nulle part » que d'aucuns appellent l'au-delà ; peut-être, mais j'espère d'ici là avoir, quoiqu'il en soit, refuser de rentrer dans le rang.


Et puis que surgisse un peu de tout. Car lisant, beaucoup, et écrivant, un peu, je me déplace dans un quadrillage inexistant qui me convient ; j'ai la sensation d'écouter hier et demain qui se donnent la main. Il n'en faut pas davantage pour qu'aujourd'hui se sente plus malin.


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