katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, octobre 31, 2011

comme personne






J'écris dans la nuit, dans sa dissipation qui commence, pas pour lui voler les mots qu'elle dissimule, non, au contraire, pour prendre soin de ceux qu'elle dissémine dans mon corps, pour conjurer ceux qui vont m'étouffer, toute la journée, suspendu que je serai au téléphone, assis plus ou moins sagement à l'intérieur de ce que, participant à la détérioration d'une langue dont nous avons fait un outil international dénué de saveur, nous appelons un call-center.



Mieux vaut être malin qu'intelligent, nous disait de temps en temps le père d'un des hommes de ma vie ; ce n'était jamais un compliment à notre encontre, même bien au contraire. J'ai pensé à cela souvent pendant la formation – ben voyons - que j'ai dû suivre pour être considéré capable de prendre des rendez-vous afin de récupérer des palettes. Un jeu de chaises musicales entre grosses entreprises ; l'une, leader mondial dans son domaine, sous-traite la gestion des appels-clients à un opérateur ayant un excellent ratio qualité-prix (le SMIC portugais est à 480 euros, mais le pays a, dans certains domaines, des installations de première qualité). Dans l'histoire, des hauts gradés (il y a véritablement quelque chose de détestablement militaire dans le fonctionnement de ces entreprises; avec une volonté de paraître malgré tout « cool », qui rend la chose encore plus nauséabonde) en profitent pour monter des boîtes d'intérim permettant de recruter des tapotes clavier malléables et jetables, se mettant ainsi dans une poche ce qui est sorti d'une autre.



J'ai écrit chaises musicales, oui, mais alors il faut ajouter qu'elles sont dotées de coussins-péteur, et que ceci se fait au nez et à la barbe



la barbe



de ceux qui sont en bas de l'organigramme. Il faudrait glisser un « g » devant le « n », cela sonnerait plus juste.



Belle leçon d'humanité, mise en exergue par l'air sur-conditionné dans lequel nous gogeons, ainsi que par l'impossibilité, pour les yeux, entre un sol à la couleur immondissime, des lumières agressives, et des écrans de tous les côtés – elles sont loin, là-bas, les fenêtres - , de se reposer l'espace d'une seconde.



Nous sommes, le déblogage précédent vous l'apprenait, dans l'édifice répondant au doux nom d'un poète portugais du XIXème siècle. J'avais un petit livre de lui qui commençait comme ceci :



« Dans nos rues, lorsque la nuit arrive

Il y a une tel silence triste, une telle mélancolie,

Que les ombres, le murmure, le Tage, la marée,

éveillent en moi un absurde désir de souffrir. »



C'est peut-être un début d'explication. On peut ajouter pour la forme qu'il est mort avant quarante ans, de la tuberculose. Au final, le bâtiment porte bien son nom ; et moi je ne vais pas y faire de vieux os.



Mieux vaut être malin qu'intelligent, disais-je donc. Une sentence que j'ai reformulée ainsi, après un x-ième questionnaire à la mords-moi-les-neu-neurones : la technocratie assomme le bon-sens et la jugeote. Peut-être n'est-ce pas pour rien que procédurier rime avec ordurier.



Alors que je pianotais, samedi matin,



le soleil s'est levé,



quelques oiseaux tentaient de lui dessiner une moustache,



le fleuve lui proposait un assortiment de noeuds-papillons,



et moi je rate ça depuis deux semaines pour que les rois du conteneur me permettent de manger et de ne pas vivre aux crochets de la musaraigne ces prochains mois.



Comment ?!? Comme tout le monde dites-vous ?!? Précisément, précisément, comme tout le monde. Étant donné que je vais déjà mourir « comme tout le monde », je préfère vivre comme personne. Comme une personne : moi, très attachée à trois beaux mots :



capillarité



fraternité



singularité.



Peu d'échos à cette trinité dans celle érigée – métro, boulot, dodo - lorsque l'on met une majuscule au mot travail.



Ma revue de presse dominical m'amenait à me questionner sur le temps, sur notre rythme qui se confronte et se frotte à celui des autres, quand la musaraigne est apparue dans une déflagration solaire, portée par les senteurs d'un pain enfourné depuis peu : « Sais-tu que nous gagnons une heure sur notre course d'école du jour ?!? »



Non, j'avais zappé ce dérapage contrôlé de l'horloge, qui nous a permis de traînasser un peu plus longtemps avant de partir en expédition dominicale, en amont du Tage, direction Vila Franca de Xira. S'y trouve un joli petit cimetière étagé, sur les hauteurs duquel on aperçoit, au loin, quelques kilomètres du pont Vasco de Gama qui se déroulent en silence.



Assise près d'une tombe, un peu désespérée, une vielle dame, en noir de pied en cap, ne trouvait plus la sépulture de son époux. Nous qui ne cherchions rien, nous avons eu la chance de le trouver tout de suite : il s'est présenté à nous sous la forme d'un nuage esseulé, qui s'est effacé dans notre regard, étirant ses filaments jusqu'à ce qu'ils se confondent avec le bleu.



Au retour, bien que me voyant récalcitrant – ou disons avec une très grosse envie de bouquiner et d'annoter des bouts de papier -, la musaraigne a insisté pour me lire le Foglia du jour. « Il parle de sa fiancée, a-t-elle argumenté, c'est toujours bien quand il parle de sa fiancée. »



Je l'ai regardée, ai plié délicatement « La Cité », puis l'ai écoutée prêter sa voix au papy de 70 ans. Une chronique dans laquelle il tourne autour de la mort, comme souvent, une fois pour rire, une fois pour pleurer, et une fois pour rien, selon ses propres dires.



Foglia, je pense que c'est, en cinq ans, le nom qui apparaît le plus souvent dans mes déblogages. C'est simplement qu'il y a tellement de sensations qui me traversent, quand je lis ses chroniques où il tutoie les sommets, ces cols qu'il aime tant pédaler, que c'est pour moi un modèle d'impertinente et persistante pertinence qu'il est précieux de garder comme lampion, quand je m'élance à mon tour pour gravir mes propres montagnes intérieures.



Samedi, au retour d'une petit balade, j'avais dans mon sac deux livres d'Alain Bosquet.



« Au fond d'un bric-à-brac :

cintres, marteaux,

éventails, guéridons, casquettes,

il trouve

son fragment d'existence. »



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1 Comments:

Anonymous MK said...

Le travail, source inépuisable d'inspiration, malheureusement par certains cotés...

A ma manière, je "joue" aussi le bon petit soldat durant le jour, mettant à disposition de mes chefs mon petit cerveau cartésien, formidable ordinateur biologique, capable de calculer, évaluer, planifier, décider, négocier, interpréter, traduire, concevoir, enregistrer et que sais-je, pour finalement retourner dès le soir dans l'univers du contemplatif qui s'interroge sur les réalités du monde, du rêveur qui s'invente d'autres réalités ou plus trivialement, de l'homme fatigué qui ne voit pas plus loin que le bout de son oreiller.

Chaque jour, sur le trajet menant à ma guerre quotidienne, je passe devant une vitrine où s'inscrit le texte suivant: "Life is too short to be anyone else". C'est vrai; mais ça m'effraie d'autant plus quand je sais que la vitrine appartient à un magasin de prêt-à-porter. "Habillez-vous comme tout le monde pour ne pas être comme les autres". Cette idée marketing m'est insupportable; la singularisation par l'unification. Vivons vigilant...

31 octobre, 2011 23:07  

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