katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, octobre 24, 2011

haleine sismique




Je suis monté sur le Panthéon pour la première fois, dimanche matin. Je ne savais pas encore que nous étions à quelques heures de voir les premières gouttes de pluie depuis notre arrivée en août. La force du vent aurait pu me mettre la puce à l'oreille. Encore qu'il l'aurait directement emportée avec lui.



Il y avait différents étages de nuages, dont les ombres, par endroits, interrompaient le scintillement aveuglant du fleuve, creusant des poches plus foncées où les yeux guettaient un répit qu'ils ne trouvaient pas.



La différence entre regarder et observer, explique Peter Bichsel dans « Zimmer 202 », est simple : celui qui observe sait, ou du moins a l'impression de déjà savoir, ce qui va se produire. Celui qui regarde fait un pas de retrait devant des scènes dont il espère qu'elles le surprendront.



En portugais, éblouir, deslumbrar, ressemble à entrevoir, vislumbrar. On entend dans les deux l'écho d'un rappel (lembrar ; rappeler, commémorer) déformé.



J'avais ces mots qui jouaient à cache-cache dans ma tête, une centaine de marches au-dessus d'un parterre de cénotaphes et de tombeaux bel et bien occupés, me ramenant l'écho d'un vertige récent.



C'est décoiffant, quand un souvenir vous entre par le nez pour se distiller dans tout votre corps. C'est d'autant plus déstabilisant quand cela se produit dans les toilettes d'un café, et que cette réminiscence fleure les boules de naphtaline. Dans les urinoirs du « Martinho da Arcada », elles m'avaient renvoyé à nos arrivées en Tunisie, durant ces étés qui, jusqu'à mes douze ans, passaient en un instant, puis qui, ensuite, semblaient n'en plus finir. Mes premières grosses consommations de pages, c'est là-bas. Deux souvenirs marquants, deux Stephen King : « Shining » et « Insomnia ». Peut-être aussi « Bazaar ».



Au moment d'ouvrir les armoires, il y avait cette odeur incrustée, censée s'opposer aux mites ; cela ne fonctionnait pas toujours. Quant aux cafards, je crois que ça les faisait marrer, en tout cas ne les empêchait pas de nous trotter entre les pieds.



C'était un jour importantissime pour la Tunisie, hier ; les résultats ne seront vraisemblablement pas connus avant demain, mais on sait d'ores et déjà que le peuple a répondu présent, et donc avenir, au-delà des espérances et des prévisions. Une bonne partie des cafards de l'ancien régime n'est plus là, même s'il reste nombre de leurs déjections ; au pays de se forger de nouveaux mythes.



Le Tage, ce jour, avait opté, dans le but évident de dérouter les reflets jouant à cache-cache avec ses remous, pour un vert un peu marécageux. Le film de ma dernière quinzaine ajoutait des traînées d'ouate à l'horizon.



Chaque matin, à Lisbonne, une haleine sismique nous rappelle que, nous éloignant de 1755, nous nous rapprochons du prochain tremblement de terre. Plusieurs personnes m'ont dit qu'elles avaient déjà ressenti des secousses.



Moi aussi, il y a peu. Sérieux. C'était pourtant une journée baignant dans ce soleil qui a refusé de passer la main pendant deux mois. Tout était calme. Des pingouins



(Près d'Arco Cego, devant un immeuble où je passais toujours quand je faisais ma boucle en courant jusqu'à la fin de Campo Grande, je voyais un troupeau de blaireaux à cigarettes dont je me demandais ce qu'il pouvait bien faire ; désormais je le sais, puisque j'en suis, la clope en moins.



Cet immeuble appartenant à Portugal Telecom est l'édifice « Cesario Verde », tout proche du largo du même nom. Pendant ma (dé)formation me préparant à officier au téléphone comme CHEP, les rois de la palette et du conteneur, le souhaite, j'ai demandé où étaient les livres de l'écrivain, puisque nous nous trouvions dans la bâtisse en son honneur. La manière dont ma formatrice m'a regardé m'a permis, enfin, de sentir dans ma chair ce que signifiait l'expression « avec des yeux de merlan frit ».)



allaient travailler, d'autres bestioles aussi. Quelques humains, dans le tas ; sans doute. J'ai de plus en plus de mal à les distinguer.



J'ai ouvert le journal, et bam, c'était parti. Tout d'abord une impression étrange, puis des frissons dans tout mes membres. J'ai regardé autour de moi. Personne ne semblait avoir ressenti quoique ce soit. Je décidais de reprendre ma lecture, convaincu d'avoir rêvé. Et bam, voilà que cela recommençait. C'est que cela n'avait rien à voir avec un chevauchement sous-terrain, ni avec un autre élément d'ordre géologique. C'était logique, sans doute aussi un peu géo, mais pas vraiment géologique. C'était en tout cas en toutes lettres dans le journal.



Amazone va devenir éditeur.



J'ai eu d'abord, je viens de vous l'avouer, des mouvements saccadés du corps. Ensuite, alors que j'essayais d'en parler devant un parterre médusé, j'en ai exsudé des mots de tous mes pores, des mots muets, qui secouaient la tête avant de se muer en larme ou en sueur.



Un autre mec s'est senti mal, par sollicitude ; il pensait qu'il était arrivé quelque chose à un joueur du Benfica.



Il ont dû se dire que j'étais un de ces types « habités » qu'il n'est pas rare de croiser. On passe également parfois à côté d'arbres qui le sont pareillement, vibrant carrément de l'effervescence que leur impulsent des oiseaux dont le nom, malgré mes recherches, me demeure inconnu.



Il y avait un peu de ça, pour dire vrai, quelqu'un habité par des livres dont certains sont le fruit d'auteurs confidentiels, ou en tout cas loin des devantures des grosses enseignes dictant les incontournables du moment ; des pages qui lui ont, en partie, été remises par des intermédiaires ayant le souci de faire passer ces voix qui agrandissent la conscience de soi.



Des libraires et des amoureux des livres mettant en musique la transition entre Stephen King et d'autres lectures différemment déroutantes. Des êtres persuadés que plusieurs sensibilités peuvent cohabiter et s'augmenter, le doivent même, puisqu'elles tendent à le faire, puisqu'elles demandent le droit à cet élan ; nous revient la décision de les explorer, nous affirmant alors dans notre ampleur, ou non.



Un p'tit gars habité par des histoires de bouquins ayant des visages et des mains, pas seulement un clavier et un numéro de carte de crédit.



Je suis monté sur le Panthéon pour la première fois, dimanche matin. Je ne savais pas encore que nous étions à quelques heures de voir les premières gouttes de pluie depuis notre arrivée en août. La force du vent aurait pu me mettre la puce à l'oreille. Encore qu'il l'aurait directement emportée avec lui.



Il y avait différents étages de nuages, dont les ombres, par endroits, interrompaient le scintillement aveuglant du fleuve, creusant des poches plus foncées où les yeux guettaient un répit qu'ils ne trouvaient pas.

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

L'article du Monde rapportant les propos des dirigeants d'Amazon, affirmant que leur nouvelle "venture" allait mettre en contact, sans intermédiaire, lecteurs et écrivains, m'a fait hurler. Et eux, Amazon, ils sont quoi ? Et les "écrivains" qui inaugurent leur programme, ils sont devenus célèbres grâce à quoi, grâce à qui ?
D'ailleurs, signe qui ne trompe pas, l'un des "écrivains" en question, se spécialise dans le livre "pratique": "The 4-Hour Chef, ou comment devenir un "masterchief" de la cuisine en quatre heures. Dans la même veine, il a déjà publié The 4-Hour Body, qui permet de sculpter son corps en quatre heures... Enfin, dans son premier succès, vendu à plusieurs millions d'exemplaires sur le sol américain, il donnait les recettes pour ne travailler que quatre heures par semaine."
Voilà l'avenir de l'édition, Amazon-style.

D'indigné, je passe au scepticisme. La Tunisie: victoire d'Ennahda, pour qui plusieurs ont voté parce que, disent-ils, dans les années d'oppression, "ils ont trop souffert". Torture, exil. C'était aussi le cas en Iran, avant 1979. Les talibans pendant l'occupation soviétique en Afghanistan étaient aussi des héros de la résistance.
La Tunisie n'est pas l'Iran ni l'Afghanistan, mais... Hier, je lisais un reportage dans lequel plusieurs des jeunes opposants du printemps avaient l'impression de s'être fait voler leur "révolution". Je me souviens avoir lu, à l'époque, que les islamistes étaient effectivement peu visibles au moment des évènements, et Firyel qui disait que l'islamisme ne faisait pas parti de l'équation du printemps tunisien.
On verra.

Il m'est revenu que, dans Shining, au début, c'est par l'odorat (une odeur soudaine d'orange) que le vieux a soudain la sensation que quelque chose va se produire.
On oublie un peu trop facilement que Stephen King est un très bon écrivain. Salem, Shining, Carrie. Tous excellents.

J'espère que Lisbonne ne va pas se mettre à trop vibrer. "Good vibrations" only, please !

Benito

26 octobre, 2011 15:48  
Blogger katch said...

Pas le temps de m'étendre, vu mes journées-marathon, mais je colle un lien vers un article d'Alain Gresh, qui a toujours des propos intéressants et constructifs sur le "monde arabe":

http://blog.mondediplo.net/2011-10-27-Tunisie-les-editocrates-repartent-en-guerre

27 octobre, 2011 23:44  

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