katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, septembre 14, 2011

le corps comme paysage







A Clapham Junction, de nombreux trains passent chaque heure, un flot continu de départs et d'arrivées rythmant le quotidien de la gare du coin. Ce sont d'autres allées et venues qui ont marqué le quartier, dernièrement, celles de jeunes « émeutiers », dont les motivations diffèrent selon la lorgnette que l'on tient. Le plus intéressant étant toujours de s'en passer, de lorgnette. Lisant différents comptes-rendus, un détail m'a réjoui : le seul magasin épargné : la librairie Waterstone's. Pas franchement une petite enseigne sympathique, mais tout de même un lieu consacré aux livres. Certains y ont vu un mépris pour la culture. Je crois pour ma part que l'on peut y lire exactement le contraire. Encore cette satanée lorgnette.



A Buenos Aires, le café Richmond, où se sont notamment estompées les silhouettes de Julio Cortazar et de Borges, a été racheté par Nike. Au Chiado, à deux pas du Brasileira, un des endroits où Pessoa avait l'habitude de s'enfuir dans une nébuleuse de mots, j'ai été alpagué par d'énormes effigies de Rooney et de Nadal, précisément sur les vitrines de l'équipementier susmentionné. Ils arboraient des mimiques de vainqueurs. Tout en puissance. Comme le prix des cafés dans les lieux, encore existants, qui abritaient les réflexions vaporeuses du poète lisboète. Cinq fois plus cher que dans un « boui-boui » véritablement old-school.



Le corps comme paysage. C'est le titre d'une exposition de sculpture dans un des endroits encore apparents de l'aqueduc. Le corps comme paysage. Un intitulé aussi beau qu'une toile du Caravage.



Nike, le corps comme étalage et gare de péage.



Cortazar, Borges et Pessoa, le corps, précieux apanage, oscillant entre voyages, mirages et ravages de l'âge.



Là au milieu, l'argent fait le ménage. Avec rage.



Le jour où nous allions voir Tiago, un jour au compteur, attendant le bus à côté du petit jardin de la paix, inauguré par le Dalaï Lama himeslf – qui a bien dû se marrer en voyant ce minuscule carré d'herbe-, un bonhomme s'est adressé à nous avec un accent belge de première qualité. Aujourd'hui entrepreneur, il a étudié à Bruxelle, où il a vécu depuis ses 5 ans, avant de rentrer au Portugal, une petite vingtaine d'années plus tard, avec ses parents. Il hésite à tenter à nouveau sa chance à l'étranger, estimant que, ici, c'est devenu impossible ; trop d'impayés qui traînent en longueur, trop de frais de justice pour ne jamais récupérer de l'argent nécessaire pour les salaires de ses employés et de ses fournisseurs. L'impression d'être dans un système qui se mord la queue.


Notre chauffeur s'est pointé sans que l'on puisse se saluer comme il faut, mais on a voyagé avec son regard chargé et ses intonations gaufrées.



Un peu plus tard, je suis allé participer à un cours de Capoeira donné par le sosie officiel de Ronaldinho, deux heures qui m'ont confirmé le désastre qu'est ma souplesse. Souplesse. Tu parles, Charles. Il faudrait inventer un autre terme. De la soupe on ne garderait que l'assiette. On se rappellerait que less signifie sans en anglais. Disons flex-less, because ça claque.



Une fois fini mon calvaire, parlons donc sans ambages, je rentrais en me repassant le film de ma journée. Entre la salle où j'ai constaté à nouveau l'énigme physiologique incarnée par mes adducteurs et la maison, il y avait l'agitation accompagnant « la grande nuit des achats ».


Un peu plus tôt, dans l'après-midi, j'étais allé m'enquérir de l'état d'un gaillard, effondré sur l'Avenue de la liberté, la nuque dans une position défiant les lois de la gravité.



« T'inquiète pas, mon gars, je me repose un peu. Que la vie te donne la santé ! »


Je traversais cette nuit des achats, j'avais les paroles de mon pote improvisé qui me battaient dans la caboche, plus fort que les basses de la sono déroulée par Emporio Armani ; celles du gustion de l'arrêt de bus s'y mêlaient, ainsi que les effigies des rois du sport, qui m'apparaissaient, dans mon délire, en train d'essuyer leur sueur avec des pages ayant marqué l'histoire de la littérature.



Au suivant. Au suivant. Chantait Brel.



Société du harcèlement, disait Gary.


Libellés : ,