katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, juin 14, 2011

des curiosités qui s'ignorent mal







« On dirait bien qu'aujourd'hui encore j'ai grandi. »



Chevauchant la balustrade des escaliers de l'Oratoire, elle s'étonnait d'accéder avec tant d'aisance à ce toboggan géant. J'étais lancé en direction d'un point culminant difficile à rater, j'avais zigzagué entre des passants en train de reprendre leur souffle, j'étais bien décidé à voir de quel soleil se chauffait Marseille en ses surplombs.



La réponse ne se fit pas attendre : panorama époustouflant, mais mises en (Notre Dame de la) garde et ambiance trop « touristico-bigote » à mon goût ; le pèlerinage s'effectue quand l'âme perle sur la peau, souffre dans les jambes et dans le dos ; quand le souffle s'accorde avec la verticalité pour davantage que quelques jours bien millimétrés, pas quand on glisse des sous dans le bénitier, ou quand on pense qu'il est indispensable de se faire tamponner.



Certains « staempfs » se doivent d'être faits entre soi et soi, autrement c'est du pipeau qui s'ignore et s'étale.



Vous m'excuserez le ton un brin sentencieux, c'est que j'ai voyagé avec mon ami Jean Sulivan. J'ai aperçu un de ses romans que je n'avais pas lu, D'amour et de mort à Mogador, comme on ne le croise pas si souvent que ça, le colinet, je n'ai pas résisté. Ce n'est pas un de ses meilleurs, mais je connais par cœur ses faiblesses et ses facilités, alors c'est bon de le retrouver, fidèle à lui-même ; la sensation de cheminer avec un incorrigible vieux pote.



« Je pars donc à l'aube, sac au dos. A pied, en car, en stop, livré aux circonstances, je descends vers le Sud, avec des airs de Bach et de Mozart plein la tête. As-tu jamais connu le frémissement de la lumière sur une route au matin, la promesse infinie ? Tu entres tremblant dans la confidence des choses. Redresse-toi, laisse les sages à la sagesse. Es-tu libre ? disent les arbres, les pierres, disent les villages. Alors tu ne fais qu'un avec, tu explores le pays de ta naissance. Mets ton pouce en batterie, fiston. »



Vingt-quatre heures sur un bateau, ça laisse du temps pour bouquiner. J'avais, en dernière minute, décidé de prendre une voix « suisse », pensant que je serais peut-être content d'avoir du romand à portée d'yeux et d'oreilles. Bien m'en a pris, parce que ce Cingria, quelle patte ! Son ton décalé, faussement léger, joyeusement érudit, met dans le mille, me concernant. Ouvrant le recueil, un texte sur Lausanne, qu'il compare d'entrée avec, mais, oui, Marseille. Des villes vibrantes de mystères, dit-il. Bon, il écrivait ceci en 1921 ; la capitale vaudoise est bien mieux quadrillée aujourd'hui ; ses déambulations dans le Flon seraient nettement moins verdoyantes et surprenantes.



Une fois débarqué à la Goulette, j'ai remarquablement joué le simplet au poste frontière, ce qui m'a évité une fouille dans les règles de l'art, puis j'ai tracé aussi sec direction le rivage, histoire de ne pas me prendre le chou avec porteurs et taxis, dont dire qu'ils sont insistants seraient leur faire trop d'honneur. Imbuvables serait le mot. J'ai marché jusqu'à Carthage, y ai pris un train pour Tunis city, où j'ai trouvé un hôtel qui a pour réceptionniste un type parlant moins français que moi tunisien. Je ne pensais pas que c'était possible. Je crois que je n'ai pas fini d'être étonné.



Il ne m'a pas fallu bien longtemps pour trébucher sur mes lacunes, ceci dit. Quelques instants plus tard, sur une terrasse, après avoir répété deux fois, avec l'impression que cela fait partie du vocabulaire que je maîtrise plutôt bien, que j'aimerais un café au lait (c'est qu'il y a de nombreuses années que je suis caféïnomane), le serveur me dit, complètement ahuri : cappuccino, with milk ? Heureusement que j'étais assis.



Désormais, je dis que je suis franco-portugais ; João da peuf'inho.



Incapable de dégainer mon appareil, je vous offre tout de même un instantané musical, extrait de mes premières heures : lorsque je rentrais pour me coucher, vendredi dernier, une averse a commencé. J'ai marché un petit moment, puis, devant la violence de la pluie, je me suis arrêté sous des arcades, histoire d'attendre que ça se calme.



La lumière orangée des lampadaires magnifiaient les gouttes.



Une superbe femme voilée se tenait à mes côtés.



Nos curiosités s'ignoraient mal.



Nous étions seuls, nous regardions le temps qui s’égrenait, innombrables particules d'eau s'échouant à nos pieds.



Soudain, le muezzin.



Avec lui : un défilé de frissons, et son cortège de questions.



Depuis ce premier week-end difficile – trop de tout partout, d'incompréhension surtout ; juste entre 5h et 9h, quand la lumière proposait un autre monde, que je me suis senti en phase – j'ai eu l'excellente idée d'aller serrer Zied dans mes bras. Zied, c'est mon cousin avec qui je passais 24 heures sur 24 pendant mes semaines en Tunisie, enfant. Zied et moi c'était, à des âges plutôt dévolus aux incessants babillages, comprendre la complicité dans le silence. Aussi, il faut bien le dire, dans l'ennui.



Six ans que je ne l'avais pas vu, autant que nous ne nous étions écrit, alors j'appréhendais un peu les retrouvailles. C'est que c'est un Monsieur, désormais. Et moi, un infréquentable vagabond.



Il a suffi d'une demi secondes, suivi d'une balade de plusieurs heures. Cela, qui ne s'explique pas, était toujours là ; à ses côtés : un capiteux parfum de joie.



Grâce à lui, aujourd'hui, je vous écris depuis le Kef.



En face de l'endroit où je loge, une colline de pins, gravie au petit matin avec un livre dans les mains. Au loin, à l'ouest, se dessine des contreforts algériens. De tous les autres côtés, des endroits que j'aimerais effleurer de mes pieds. Pas mal de troupeaux de moutons, aussi, petits taches plus ou moins étendues. Et des chiens que je bluffe avec un brio qui m'étonne.



D'ici, je revêts d'atours scintillants une expression qui prend tout son sens : découvrir de nouveaux horizons.



Une autre, au centre de Tunis, m'a éclairé sur des parfums auxquels je suis moins enclin : errer comme une âme en peine.



Me déplaçant de l'une à l'autre, vacillant sur une cordelette tissée de confusion et d'excitation, j'entends cette voix, un brin espiègle, qui m'escorte :



« On dirait bien qu'aujourd'hui encore j'ai grandi. »

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Un coucou à Zied de notre part tricia!

Bon elle trouve que c'est pas drole, moi si! Allez tchoupette, attention à tes baskets!

16 juin, 2011 21:46  
Blogger Pascal said...

C'est toujours un plaisir de prendre de tes nouvelles vieux katchon! Et heureusement qu'il y a ton blog pour ça...

16 juin, 2011 23:16  

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