avoir en épuisement
A Pully, alors que je découvrais, de nuit, la vieille partie du bourg, j'ai vu des traces de pas sur le sol. Blanc sur noir, ou plutôt : blanches dans le noir. Bizarre, bizarre. Elles menaient à une maison où Ramuz a habité pendant 17 ans. Devant cette grande bâtisse, j'ai sorti le livre de Chappaz acheté le jour-même, intitulé « La Mort s'est posée comme un Oiseau » ; s'y trouvait ceci, que le Charles-Ferdinand aurait sans doute fait sien :
« J'ai répondu toute ma vie à une absence, à un rien qui sort de quelque chose et, vice-versa, à un quelque chose qui se transforme en un chemin venu de nulle part et qui cependant me mène à moi-même. »
Chez le Maurice, pour ma part, je trouve toujours quelques délices.
Au parc de Montbenon, par beau temps, on peut contempler le lac, les alpes derrière, pis, devant votre nez, des badauds qui passent ou se prélassent. Avec un peu de chance, vous pourrez causer un brin avec Edmond. Dans l'élan de nombreux postillons, il vous demandera un petit millier de fois de décliner votre nom, ainsi que celui de vos parents. Il a un tic nerveux qui le fait « slamer » l'arbre généalogique de ceux qui le croisent sans l'éviter. C'est délicieusement décalé.
Après lui, l'autre jour, c'est une figure des skaters yverdonnois qui est venue s'asseoir vers moi un moment. Xavier, pas vu depuis belle lurette ; cheveux courts, ce qui n'est pas habituel, regards venteux, ce qui l'est. La coupe, c'est pour être plus crédible dans ses recherches d'emploi, m'a-t-il dit ; les yeux, leur intranquillité, probablement que jamais je ne lui demanderai.
Dans le parc, il y a deux Osso bucco (je ne saurais pas les assaisonner, déjà que je suis emprunté pour les accorder) géants, sculptures visant à « savoir comment l'art interpelle la ville ». Je les ai regardés un moment, j'y suis même allé déposer mon fessier ; pas de réponse à vous proposer.
A la Poste, j'ai entendu une dame qui fustigeait la personne qui mendiait à l'entrée, « qui n'était même pas capable de travailler » ; elle a tout naturellement enchaîné avec « ces Noirs qui vendent de la drogue » autour de la gare.
« Ces Noirs, madame, il y a plein d'enfants de bonne famille qui sont leurs clients. »
« Pardon ?!? »
« Vous m'avez très bien compris, madame. Que fait votre fils le samedi soir ?!?
« Pardon ?!? »
« Vous savez ce qui est écrit, dans les cabines téléphoniques, lorsque vous arrivez au bout de votre crédit ?!? Avoir en épuisement, voilà ce qui est écrit. Et voilà ce que je vous souhaite. Bonne journée madame, salutations chez vous ! »
Maintenant, j'arrive à me permettre ce genre d'incartade avec le sourire ; tout en légèreté pour plus de portée.
Au Bar Tabac, alors que je lisais une formulation lumineuse s'appliquant à l'emploi des sans-papiers, notamment dans l'hôtellerie (l'auteur assimilait cette pratique à de la « délocalisation sur place »), j'avais dans l'oreille les détails, étalés par mon voisin, concernant l'enterrement de sa grande tante. Je lui aurais bien volontiers mis une burqa insonorisée, à ce gustion.
« Excusez-moi, votre avoir ne serait pas bientôt en épuisement, par hasard ?!? »
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