katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, mars 22, 2011

le ridicule précieux






« Je remets le passé dans mon présent. Je secoue passé, futur, ça donne le présent. »



Deux phrases qui se posent directement comme un ricochet sur mon dernier déblogage, voilà qui ne se présente pas toujours. J'apprécie le geste. Un beau mouvement du poignet, soulignant l'importance des articulations. Articuler comme il faut, parfois cela m'échappe quand je parle. Déjà que je m'exprime trop doucement. Alors quand j'écris, je prends un malin plaisir à garder ces travers de corps. Ils deviennent des endroits de l'esprit. Des lieux où les sens qu'on met trop souvent en dessous reprennent le dessus. Une aire de repos où l'écoute se doit d'être attentive, pas seulement attentiste. Demander de répéter, relire ; de belles invitations à plus de lenteur. Des manières de jongler avec les balles du temps.



« Je remets le passé dans mon présent. Je secoue passé, futur, ça donne le présent. »



Dany Laferrière m'a proposé ce rebond. Il était rédacteur en chef du supplément culturel du « Temps », samedi dernier. Un numéro consacré à Haïti. Il y dialogue avec le protéiforme Frankétienne, dans les premières pages. L'importance de l'imagination prend alors une évidence immédiate ; la culture nous rappelle combien elle sait être autre chose qu'une poule de luxe. J'ai lu cela en pensant à un type, croisé dernièrement, qui se riait de la naïveté des propos de Wajdi Mouawad. Il trouvait ridicule que l'on considère la création, sa réception et sa lente digestion, comme quelque chose qui aide vraiment à vivre.



Des précieuses ridicules de Molière, nous serions donc passés au ridicule précieux de ceux qui acceptent de conjuguer leurs brûlures au plus qu'imparfait.



Dimanche, en faisant la boucle par Grandfey et le Schönberg, j'ai vu un bouvier bernois ; pas n'importe quel bouvier bernois. Quand il aboyait, il aurait pu remporter haut la patte un concours d'imitation d'otaries. Il y avait quelque chose de familier, dans cette incongruité, sans que je puisse dire immédiatement quoi. J'ai compris en arrivant de nouveau en ville, en voyant les affiches pour les élections communales. Toutes ces têtes de benêts qui demandent de voter pour eux, j'ai l'impression de voir des chiens qui, quand ils sourient, ressemblent à des phoques dans un zoo. Tout sonne faux.



Je suis aussi passé tout près de deux arbres qui surplombent une colline. On peut les voir loin à la ronde. Il y en a un qui est immense, j'ai décidé que c'était le grand-papa. L'autre est tout riquiqui. Sans doute peut-il sembler ridicule. Mais, eh oui : Mais précieux.



"Quand je me lève, ma fiancée, qui attendait que je me lève pour mettre la radio, ma fiancée met la radio. Le bulletin de 8h. Beding, bedang, le monde me tombe dessus. Prenez un sac de noix de Grenoble, renversez-le en haut des escaliers: c'est le bruit que fait le monde tous les matins. Ça déboule, cascade, rebondit, s'entrechoque, y en a partout. C'est incroyable."


Foglia écrivait ça au début du mois de février. Sa dernière chronique consultable date d'une semaine après, mais il n'a pas dû avoir l'impression que le brouhaha événementiel s'est calmé, bien au contraire. Au vacarme s'est ajouté la crainte étouffée de pluies radioactives, d'hypothétiques gouttes silencieuses qui déclenchent des peurs par ricochets. Mais. Mais même quand le déchaînement d'informations nous sort de la torpeur des habitudes, il y a toujours ce confort qu'on entend défendre.



Con-fort. Particules interchangeables. Confort. On ne sait pas vivre sans. On aimerait tellement mourir dedans. C'est ça qu'on appelle civilisation ?!?



« Je remets le passé dans mon présent. Je secoue passé, futur, ça donne le présent. »



Un rai de lumière sur une épaule gauche. On distingue un sommet de crâne dégarni, en haut à droite de la photographie. Le corps est penché en avant. La chemise fait quelques plis discrets. L'épaule occupe presque tout l'espace de l'image.


Cet instantané était le marque-page qui m'a permis de reprendre mon souffle lorsque j'arrêtais de lire « Le grand passage » de Cormac McCarthy. Une chevauchée entre Mexique et Nouveau-Mexique ; à la frontière des âmes. Un jeune homme, tout d'abord seul avec une louve, puis plus que sa peau, se rend dans les montagnes. Il s'agit d'une quête sur laquelle on ne peut pas mettre de mots. C'est ce qu'il explique au shérif, quand il revient après des mois d'absence. Ses parents ont été tués, leurs chevaux volés. Reste son petit frère. Alors ils repartent les deux, s'offrant peu de paroles pour remplir l'absence.


On sort de cette sauvage sobriété l'air hébété.


Il y a peu, notre fantastique présidente, au vu des événements en Lybie, a demandé que l'on n'oublie pas ce qu'avaient vécu là-bas deux hommes d'affaires, qui sont aussi « nos concitoyens ». Non mais sérieux ?!? Deux types amoureux du fric qui étaient restés coincés à Tripoli quelques mois, les pauvres. Un des deux est depuis reparti au Japon, il n'est pas très inspiré cet homme-ci.


Homme d'affaires, homme de lettres, femme d'importance, personne « ayant réussi »,... quand je lis ceci, j'entends aussi des otaries.


« Je remets le passé dans mon présent. Je secoue passé, futur, ça donne le présent. »


Quelques années avant de s'en aller, Jacques Chessex avait signé le texte d'un livre de photographies sur Fribourg. Il se clôt ainsi :


« J'aime ces paroles ailées, je dis moi aussi c'est dans l'esprit, mon esprit, que vit Fribourg toujours en moi. Intemporelle, médiévale, présente, dans sa lumière je retrouve ceux que j'aime, ce que j'ai à vivre, à écrire, à regarder, pour ne pas m'éloigner de cette profonde source et y puiser assez de vigueur pour sonder au même moment l'ici et l'ailleurs. »



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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Le passé, le présent, le futur.

« Ne pas contaminer le présent par la mémoire du passé ou la crainte des risques du futur «

Le concept de Aristippe, le Cyrénaïque, développé par M.Onfray
( L’Invention du plaisir – fragments cyrénaïques)

« Trop souvent le présent se gâche par l’intromission en lui de mauvaises
énergies , venues en ligne directe du passé ou du futur : mauvais souvenirs, traces persistantes d’un hier ou d’un avant- hier, voire, nquiétudes pour demain et ce qui va pas manquer d’ advenir .

Et plus loin :
«… habiter l’instant, s’installer dans l’immédiateté ,ne pas se soucier du passé , ni du futur , qui tiennent leur existence et consistance des seules représentations et créations mentales dangereuses. »

Concept que Horace ( 65-8 A,C )reprendra avec son fameux
« Carpe diem, quam minimum credula postero “
Vivre le jour , se fier le moins possible au demain"

Quête personnelle :

Ces idées somt -elles adressées seulement à la raIson, ou parlent- ils aussi au cœur ?

Hypothétiquement .

Je suis la
jeune mère d’une petite poupée à qui la marâtre Nature a généreusement donnée un gene de plus, porteur d’une rare , incurable maladie.
Mon instant est aussi celui de notre innocent ange, de son papa, qui n’accepte pas ce coup si cruel, de son petit frère, qui pleure chaque fois qu’il me voit triste , serrant très fort dans mes bras le bébé , sans pouvoir comprendre pourquoi ; il est si petit, mais évidement il sent…

Mon futur est celui de ma
fille, et des leurs, surtout le jour quand je ne sois plus là…

Penseurs,

Dites –moi comment appliquer votre formula :

L’Access au bonheur , la suppression de la douleur ?

Heureusement l’unique , l’incomparable puissance de l’amour nous offre la meilleure réponse.

26 mars, 2011 17:30  
Blogger katch said...

Pour le plaisir, très chère anonyme partielle, je vous colle le passage de "La barque silencieuse" de Quignard sur la célèbre formule d'Horace:


"Carpe diem! écrivit d’une manière très audacieuse Horace quand Auguste imposa son pouvoir tyrannique et inventa l’empire. Horace vivait dans une ruelle de Rome qui ne fut jamais plus aussi surpeuplée qu’elle l’était alors. Il s’agit de saisir une petite faucille afin de prélever un jour dans le temps comme s’il s’agissait d’une fleur dans la nature. Coupe le jour! Castre l’heure! Décide de trancher, par exemple, ce mardi comme s’il s’agissait, par exemple, d’une pivoine. Chaque aube le jadis pousse dans l’espace une nouvelle lumière. Il n’y a pas deux aubes. Tous les matins du monde sont sans retour. Il n’y a pas deux nuits. Chaque nuit est le fond de l’espace en personne. Il n’y a pas deux fleurs, deux rosées, deux vies. Il faut dire à tout instant: Toi. Il faut dire à tout ce qui vient: Arrive. La vie est un seul instant de re-citatio qui surgit en chacun de ses points, qui épure son bonheur à chaque occasion qui la renouvelle. Joie de plus en plus décantée des troubles, des craintes, sinon tout à fait de la détresse originaire. On peut concentrer la présence, le jour, la fleur, le point, le corps, la joie."

Et pendant que j'y suis, je vous copie aussi ces lignes de T.S. Eliot:

Time present and time past
Are both perhaps present in time future,
And time future contained in time past.
If all time is eternally present
All time is unredeemable.
What might have been is an abstraction
Remaining a perpetual possibility
Only in a world of speculation.
What might have been and what has been
Point to one end, which is always present.
Footfalls echo in the memory
Down the passage which we did not take
Towards the door we never opened
Into the rose-garden. My words echo
Thus, in your mind."

"Burnt Norton"

02 avril, 2011 06:21  

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