katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, février 21, 2011

le condensé aéré









Une ville qui n'en finit pas de ne pas finir. Oui, je crois qu'il y a de cela aussi dans l'amour que je porte à Lisbonne. Je le porte sur les deux épaules, et il gesticule comme un gosse qui voudrait jouer à la balle ou monter sur un arbre. Je les mentionne rarement, les arbres, pourtant ils guignent de tous les côtés. Leurs racines déforment de manière fort bienvenue quelques trottoirs, rajoutent de drôles de marches dans certains escaliers. Ils offrent un reposoir aux lamentations qui ne sont jamais loin. Il y en a de plutôt exotiques, d'autres aux senteurs plus nordiques. On en trouve avec des troncs énormes. Il leur faut assez d'espace pour abriter d'autres univers, en somme.

Pour ce qui est de suggérer des mondes parallèles, à Principe Real, il y en a un qui sent la « beuh »; il dégomme. Au jardin botanique, il y en a dont de nouvelles racines se forment depuis les branches, avant d'aller puiser ce qu'il leur faut dans le sol.

Un peu ce que j'aime faire; mais chez moi, ça part de la tête et de la poitrine, et cela s'attarde un peu partout.

Je m'attache très facilement, écrivait Romain.

J'ajouterai: même sans les mains.

Le poissonnier du coin m'a demandé d'où je viens. Il venait de me dire en riant qu'une des seiches que j'étais sur le point d'embarquer avait perdu sa tête pendant le voyage. Comme moi, ai-je souri.

Quand je sors, pour mieux virevolter entre les mots, j'ai toujours mon petit dictionnaire en poche, ainsi qu'un sac imaginaire où je glisse ceux que je trouve et qui m'interpellent. Je dépose donc mes découvertes dans un mochila mental, un sac-à-dos que je confonds souvent avec cachimbo, la pipe.

Si, plutôt que de dire très vite j'ai du bon tabac dans ma tabatière, on répète qu'on a des pipes dans son sac-à-dos, on finit pas ânonner quelque chose comme j'ai des cachalots dans ma moussaka.

Ce petit crochet par une Grèce gustative me fait rebondir sur la présentation d'un recueil composés de quelques « Poètes de la Méditerranée ». Jean-Pierre Siméon y a dit notamment que la parole poétique est une « incongruité » et une « dissonance de fond », aujourd'hui; et qu'il aime quand elle parvient à « invalider le discours névrotiques des hommes politiques ».

Certains mots éveillent des impressions qui ne concordent pas avec ce à quoi ils renvoient. C'est comme la démocratie, dont l'occident se gargarise, se demandant si les barbus ne guettent pas un peu trop, par exemple en Tunisie et en Egypte, au hasard. Où dans tous ces endroits qui, s'embrasant, nous embarrassent.

Valerio Magrelli, un poète italien, a lu un poème d'Edoardo Sanguinetti, décédé il y a bientôt une année. Il nous a expliqué qu'en Italie, ce départ était passé pratiquement inaperçu, alors qu'il y avait eu, à la même époque, des funérailles nationales pour un présentateur d'une chaîne de télévision berlusconienne.

Ceci dans un de ces pays tellement bien préparés pour la démocratie. En France, oì j'aime mieux ne pas imaginer à quoi cela ressemblera quand Johnny va s'en aller, on suit révélation sur révélation concernant les liens privilégiés de certains politiques avec des gouvernements peu scrupuleux. C'est assez pathétique, aussi bien ces encravatés gouvernementaux que ces journaux qui font leur boulot des années en retard, comme des charognards opportunistes.

En Suisse, un des derniers bastions de la démocratie directe (le suffrage féminin vient d'y fêter ses ... 40 ans!!! Olé!!!), on a vécu il y a peu un WE de votations qui a soulevé les foules, c'est que c'était identitaire, une certaine acceptation de la virilité était en jeu. Il s'agissait de s'exprimer sur le maintien des armes d'ordonnance à la maison. Un élément sans conteste primordial pour la Suisse de demain, le genre de débats qui règle nombre de problèmes essentiels. Comment vous avez dit que ça s'appelle?!? Démocratie directe, ah oui. Chapeau bas!

Certains mots éveillent des impressions qui ne concordent pas avec ce à quoi ils renvoient. Par exemple cinzeto. Je le trouve plutôt pétillant, mais en fait non. Il signifie gris. Ben ouais. Il a quelques potes, cinza et cinzeiro, notamment. Moi ça me ferait penser à quelque chose comme « où est passé Mirza, il s'rait pas complètement miro?!? ». Quelque chose qui claque quoi. En fait c'est cendre et cendrier.

Même chose pour pesadelo, cauchemar. On me dira qu'on y lit que c'est pesant, au début. Sans doute, moi ce sont les ailes de la fin qui m'accroche.

« Bien que je sois pour la première fois à Lisbonne, je sens que je connais déjà cette rue, que je sais où elle va donner parce que j'ai déjà été à Istanbul. »


Il semblerait qu'un personnage, dans un livre de Calvino, dise ceci. Je l'ai appris en lisant le texte accompagnant une exposition de photos, à la cinémathèque. Son titre: « Circuits de la mélancolie. »

C'est assez troublant de vivre dans une époque où, si l'on se réfère aux zones piétonnes commerciales, on pourra bientôt dire cela de presque toutes les villes dans le monde.

Une ville qui n'en finit pas de ne pas finir. Je suis pour la première fois allé manger sur la rive opposée, à Cacilhas. On a pris le bateau alors qu'expirait le jour. Se grisant des premières inspirations de la nuit, nous avons longé le Tage jusqu'au Ponto Final. Là, quelques vagues avaient l'excellente idée de couvrir le bruit de la circulation sur le pont du 25 avril. Deux amoureux, les chaises semblant presque flotter sur l'eau, laissaient leurs regards divaguer au loin. Les nôtres ronronnaient entre la table et l''horizon.

Avec Léandre, peu adepte des marches qui n'en finissent pas de ne pas finir – une de mes spécialités -, j'ai dû apprendre à m'imprégner différemment de Lisbonne. Nous avons inventé le condensé aéré. Procédé bienvenu au moment d'accueillir ma maman.

Un sourire infini qui pourtant fini dans son premier soupir. J'ai un plaisir secret, enfin pas tant que ça. J'aime, quand passe un bus, quand le métro s'en va, quand un train se met tranquillement en chemin, sourire à une personne qui croise mon regard. Que cela ne puisse même pas être une invitation, que celui ou celle qui le reçoit n'ait pas à se demander s'il doit faire attention. Offrir l'exact contraire de la publicité, cette incessante agression. Un sourire infini qui pourtant fini dans son premier soupir. Une brindille sans nom à ramener à la maison.


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3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Belle plume en farandole de mots... Merci Katch!
Entre "ville et marches qui n'en finissent pas de ne pas finir" et "des cachalots dans ma moussaka"...
mais où trouves-tu tout ça?
sorriso de pomba

22 février, 2011 20:54  
Anonymous Anonyme said...

quel bonheur de plonger encore une fois dans la douceur de tes mots!!
je t'embrasse

gabi

27 février, 2011 00:28  
Anonymous Denise said...

j'aime les sourires infinis... comme ceux des magasins de thé quand la porte se ferme sur le marchand de journaux qui n'est pas comme dans la chanson de K :-)...et tiens, à la maison un futur chocolatier (qui sait?) commence à sourire...infiniment ;-)...c'est bon comme du bon pain (mmmm, le bon pain avec de la bonne croûte qui crousse...avec une tranche de gruyère, furtivement pour les 4heures ou convivialement avec un fondue au Suchet...ou ailleurs... finalement, c'est bon les souvenirs... qui papillonne...aussi sur les papilles)

06 mars, 2011 06:34  

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