katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, février 11, 2011

des pointillés de nuages en forme de colibris





Une fenêtre peut claquer en s'ouvrant, aussi; je l'ai compris la première fois que ta voix a fait de moi un long frisson aigre-doux.


Le vent s'était engouffré, je ne savais plus si j'étais à l'intérieur ou à l'extérieur, ni d'ailleurs de quoi. L'avais-je jamais su?!?


Il y a eu un grand bruit, j'ai réalisé plus tard que c'était celui de ton cœur qui battait contre mes tempes, puis tous mes sens se sont retrouvés en alerte.


Ta musique écroule les frontières, on les entend s'émietter, des oiseaux picorent leurs lambeaux avant qu'ils ne touchent le sol. Elle oscille entre violence et tendresse, déroulant une incroyable puissance. Nous dépliant ta fragilité, tu bouscules la géographie, secoues notre architecture bancale, floutes la ligne de démarcation entre rêve et réalité, entre l'ici et l'au-delà, entre le maintenant, l'avant et l'après..


Tout cela, tu en fais des pointillés de nuages en formes de colibris.


A trois reprises je t'ai vue chanter que ton angoisse, tu l'appelais poésie, mais que les autres en riaient, la considérant comme de la vanité. A chaque fois, décillant mes lèvres sans bruit, je te jurais, de loin, de trop loin, un amour éternel. Je déposais alors ton effroi essentiel au creux d'un petit nid, dans ma poitrine. J'avais le sentiment qu'il s'y accordait avec ce qu'il y trouvait: des mains de dentelle façonnées en aménageant mon souffle au seuil de tes notes.



Je t'écris depuis Lisbonne. C'est toi qui m'as fait découvrir le fado, un soir de juillet 2003. Tu chantais à Nyon, vous arriviez d'une tournée au Portugal. Vous nous aviez joué une chanson d'Amalia. A trois notes de la fin, il y avait eu un problème technique; plus de son ni de lumière pendant de longues minutes.


Tu étais revenue avec le sourire, nous expliquant que nous venions de souffler la plus grande bougie du monde pour un de tes musiciens. Vous aviez repris exactement où vous aviez dû vous arrêter. A la fin, au deuxième rappel, tu avais les larmes aux yeux.


Tout le monde était suspendu par les pieds, des fragments de joie et de tristesse s'entrechoquaient dans l'assemblée. C'est puissant, des corps et des âmes qui s'oublient trop souvent, quand on leur fait sentir combien ils existent.


J'ai écrit « jouer », plus haut, mais c'est un terme qui ne convient pas, on est bien plus proche d'une prière que d'un jeu, quant il est question de ta musique. En portugais, les verbes arroser (regar) et prier (rezar) sont très proches. Il y a cela, dans ta voix, beaucoup d'eau et beaucoup de verticalité bleutée. Du vent aussi, presque toujours du vent.


Une île qui avance sur l'Océan, entre tempêtes et accalmies.


Je t'écris depuis Lisbonne, cette ville où l'espace et le temps se réinventent en permanence, où les perspectives se superposent pour mieux partir danser chacune de leur côté.


Ici, on n'a pas encore réussi à cacher la vieillesse, alors le murmure de la mort fait partie du paysage.


On se faufile dans l'entremêlement des années, chaque façade a son propre visage.


A ne pas se rêver immortel, on se sentirait presque plus sage.


Chaque jour, dans le Tage soudain limpide, je te vois qui nage.


Les goélands aussi, alors ce ne doit pas être un mirage.


3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Chanson poétique et tendre pour Lhassa, une vraie ode à l’amour éternel ! Certaine qu’elle l’écoute….

Une plume magnifique, des émotions fortes qui, jaillissant de ton cœur,
touchent profondément les nôtres.

Un grand Karim !

C'est du bonheur de te lire.

11 février, 2011 18:17  
Anonymous Anonyme said...

Toujours aussi sublime Karim, tes mots vacillent entre Bobin et la mer,
tu portes la lumière au fond de ton coeur. N'oublie pas :)

13 février, 2011 18:41  
Anonymous Anonyme said...

Conseils tres interessants. A quand la suite?

15 février, 2011 13:11  

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