nouvelles déambulations cimetiériennes
Dans mon sac un thermos rempli - infusion de gingembre miellée à souhait au programme -, un livre – j'y reviendrai - et du papier – j'y suis, en quelque sorte -, je pouvais aller prendre mes aises sur un banc. Direction le parc Edouard VII. Un endroit plutôt mal fagoté, ceci dit. Il prolonge l'Avenue de la Liberté, cette ouverture au couteau effectuée par le marquis de Pombal, dont la réplique statufiée semble vouloir en découdre avec le ciel. Une démesure qui ne le rend pas bien sympathique.
Un lieu étrange, difficile de ne pas avoir l'impression qu'il s'agit d'un bel espace complètement gâché – alors qu'il serait tellement facile de mettre deux goals de foot et un petit kiosque-café-librairie, non mais je vous jure -. Une longue tranchée divisée en trois partie: quelques bosquets tentent de rendre verte celle du milieu; des arbres sont bien sagement alignés sur les parties extérieures bétonnées. Accoudé contre ceci: un passage boisé où somnolent quelques tables; un bâtiment qui prétend être le musée du sport mais que je n'ai jamais vu ouvert; une fontaine aussi perdue que les oies qui y barbotent. Tout ceci, en pente, pour plus de fun.
En traversant la route pour venir lire au soleil, j'ai aperçu une voiture qui devait s'arrêter, poursuivie qu'elle était par la police. Tout le monde regardait cela avec avidité. Ils avaient du sensationnel à portée de pupilles. Ils allaient avoir quelque chose à raconter.
Je me suis dit, en détournant le regard, que j'avais précisément envie, dans ma manière de respirer le quotidien avec un kaléidoscope épris de lenteur, de déplier délicatement tout ce qui est le contraire de ceci.
C'est déjà raté.
Les paupières sont la première chose à disparaître, après la mort, quand le corps commence à se décomposer. J'ai lu ceci dans « Les jardins de Kensington » de Rodrigo Fresan. Un type qui me bluffe pour la troisième fois, et sans doute pas pour la dernière. C'est tout de même fabuleux d'écrire des trucs complètement déjantés, et de réussir à en faire de remarquables grilles de lecture de nos vies, de ce qui ronronne en nous.
Les paupière s'éclipsent, chargées de souvenirs; elles vont déposer ce précieux pollen dans une ruche à histoires, quelque part.
On croit que Nabokov chassait des papillons, mais pas du tout, il tentait d'attraper des fragments de vie échappés de cercueils empotés.
D'où mes fréquentes déambulations cimetiériennes.
J'y vais avec mon filet, à l'affût de l'imagination qui me fait défaut.
Je ne fais pas de raffut.
Ce que j'y recueille est souvent confus.
Mais c'est délicieux, apprêté avec un peu de Tamiflu ou de tofu.
Hier, pour ne pas perdre nos funèbres habitudes dominicales, nous sommes allés, quand la musaraigne est sortie du musée du théâtre (je n'arrivais pas à lâcher Rodrigo), nous promener dans le cimetière de Lumiar.
« Tiens, j'ai l'impression d'être de nouveau en Iran » m'a-t-elle dit, lorsque nous avons vu passer une vieille portugaise, recouverte de noir des pieds à la tête. Elle est allée sur une tombe, elle y a pleuré longtemps, avec un volume sonore plutôt surprenant.
Je me suis dit qu'il faudrait proposer à certaines dames du pourtour méditerranéen n'étant pas de confession musulmane, d'aller habiter à Belleville, ou de s'inscrire dans certaines universités, histoire que le débat sur le voile soit un peu moins stéréotypé. On pourrait intituler ceci: « Les hirondelles se raboulent pour foutre les boules ».
En portugais, aimant se dit íman. Il s'agit de l'objet, pas du participe présent d'un verbe important. C'était juste en passant.
Il y a dans ce cimetière un « espace d'inhumation réservé à la communauté musulmane », hormis trois ou quatre tombes, toutes celles qui sont dans cette partie ressemblent à celles qui, dans les autres parcelles, logent des anonymes. Elles sont remarquablement sobres. Il y a une différence avec celles des catholiques (ou supposés tel) enterrés sans que l'on sache leur nom: il n'y a même pas l'année du décès.
La mort, débarrassée d'une certaine faconde, a un je-ne-sais-quoi de plus délicat. On semble se rappeler qu'elle va de soi.
Marchant dans une des allés, je constatais que, du fait de légères différences de dénivelés, certaines tombes se confondaient, dans la vue qui s'offrait à moi, avec les immeubles qui se trouvaient derrière; ceux d'une de ces zones construites en vitesse pour loger un maximum de gens sur un minimum de surface. Interpellante superposition.
Sur certaines plaques, il y a des photos. Les petits mots gravés sont diversement inspirés. J'ai noté cette inscription: « Il a vécu comme il a aimé. »
Entre les HLM et le cimetière, il y avait une friche qui nous faisait de l'œil. Nous avons donc décidé d'aller y voir de plus près. En nous y rendant, nous avons observé une ribambelle (j'adore ce mot où résonnent « bambins », « rabibocher » et Babibel) de pigeons, ils étaient disposés tranquillement sur le toit d'un magasin de fleurs en plastique. Ceci explique peut-être cela.
Les pieds zigzaguant dans les décombres, je pensais déjà à ces lignes, ainsi qu'à bien d'autres, à venir ou à vernir. Dans le début d'une lettre à ma soeurette belge, qui aime aussi se confronter au blanc de la page, je lui ai écrit qu'en portugais, esquisse (esboço) et effort (esforço) se ressemblent beaucoup. Ce qui agite dans ma tête ces vers de Vladimir Holan: « De l'esquisse à l'œuvre, le chemin se fait à genoux. »
On m'a eu dit que, quand je joue au foot, je suis souvent parterre. Quand j'écris aussi.
Juste une question de combativité.
Certains ajouteront que je suis surtout un peu "chtarbé".
Je dois dire qu'il y a du vrai.
Libellés : Pensées vagabondes, Photos
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