katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, juin 28, 2011

l'absence de rapport et ses déclinaisons











Pas pu aller pêcher avec mes cousins, dimanche à l'aube. Trop de vent. La mer brassait avec entrain, obscurcissant l'eau et rendant toute manœuvre difficile. Souvent, à ces heures et en ces endroits, c'est du loup de mer qui se fait berner par les hameçons. Le loup de mer est aussi appelé bar commun. Cela n'a rien à voir avec ces endroits où on s'accoude au comptoir pour commander des boissons occasionnant des lendemain difficiles, mais alors rien à voir du tout. C'est une des manies de l'homonymie, l'absence de rapport. Une des miennes aussi, je vous l'accorde. Surtout dans mes photos. Pour le reste, j'ajouterai: apparent. Absence de rapport apparent. La progression de l'écriture tendant à démontrer l'inverse. Parfois.



C'est une des qualités de Vila-Matas, cet écrivain barcelonais avec qui je vous bassine parfois. J'envie un peu ce filon qu'il exploite à merveille : la digression enjouée avec abus de citations. Cela vous rappelle-t-il quelqu'un ?!? Il semblerait pourtant qu'il n'ait, pour sa part, jamais entendu parler de moi. Quel ingrat personnage. L'autre jour, à Tunis, j'ai dit à Zied, alors que nous étions chez un de ses amis dont l'habitat était pour le moins chaotique, que le titre d'un de ses ouvrages me venait en tête quand j'entrais chez de nombreuses personnes : « Etrange façon de vivre ».


Du coup, me sentant orphelin de ses refrains, je suis allé chercher du réconfort dans un de ses livres que je n'avais pas encore lu, « Le voyageur le plus lent », cela collait bien avec la chaleur suffocante du moment. Une des magies de la littérature, celle qui consiste à résonner avec de surprenants éléments du présent, survenait agréablement au gré d'une de ses déambulations à la foire du livre de Francfort :



« Toujours surpris, j'ai atterri sur le stand de la Lybie, dominé spectaculairement par la couleur verte et par Kadhafi, de qui il y avait autant de biographies que de livres, tous à couverture verte, la couleur du drapeau de ce pays dans lequel elle est plutôt rare, contrairement au sable du désert. Les Lybiens m'ont offert une brochure verte et qu'elle n'a pas été ma surprise quand j'ai vu qu'il n'y avait rien d'écrit à l'intérieur ! Je suis parti en me demandant si, dans ce pays, on n'en était pas encore au stade de la pré-écriture. »



Juste avant, il y avait une autre allusion involontaire à la Tunisie, qui a beaucoup à gagner d'une rapide décantation de la situation chez son voisin du sud. Une affirmation de Josep Pla en phase avec les interrogations légitimes d'une partie des jeunes ayant donné massivement de la voix en début d'année. La révolution ne serait qu'un changement de personnel.



N'étant pas revenu depuis longtemps, n'ayant pratiquement pas eu de nouvelles pendant ce laps de temps, j'ai appris d'un coup des aventures pour le moins éloignées les unes des autres arrivées à différents cousins. Au hasard, qu'il y en a un qui a fait de la prison parce qu'il allait un peu trop souvent à Lampedusa, vraisemblablement pour des raisons n'ayant pas trait à la saveur du poisson. Qu'un autre s'est empressé de courir dans les rues et de brandir des drapeaux de Ben Ali à l'issue de son ultime discours, de là à penser qu'il a dû être une précieux indic pendant les années de règne de Zaba, il n'y a qu'un pas ; le fait est que, depuis lors, il ne met plus tellement son nez dehors ; probablement de peur de le perdre, et d'autres choses avec. Qu'un autre, dont la fierté était, lors de mon dernier passage, d'écouter sa fille réciter deux Sourates par cœur (elle n'avait alors même pas deux ans), a désormais tendance à se laisser aller à la picole, ainsi qu'à d'autres délires tout aussi peu réjouissants.



Pas que je veuille faire dans le ragot, mais c'est fascinant les trajectoires que des vies parties presque du même décor peuvent prendre, épousant différemment les contours de l'Histoire en train de se tâter le pouls. De se triturer les poux.



Ce qui fait se gratter la tête d'une partie de la population, ce sont les voix que va rafler Nahda, le parti islamiste, lors de l'élection de l'assemblée constituante, en octobre. Certains craignent qu'ils ne respectent pas leurs engagements du moment (ils promettent pour l'heure de ne rien imposer, de laisser la liberté à chacun) s'ils venaient à être majoritaire. Le pari démocratique est à ce prix, mais certains l'estiment biaiser par les moyens financiers dont Nahda bénéficie grâce à de généreux donateurs extérieurs. Je vous laisse deviner qui. Pour ma part, s'ils sortent en tête, j'aurais une demande urgentissime à leur faire : envoyer à la mosquée de Teboulba un nouvel enregistrement de l'appel à la prière. La cassette est tellement vieille qu'on entend davantage les bandes tourner que la voix vantant les mérites d'Allah. Un peu comme si vous regardiez un clip de Lhasa sur une télé où neige et grésillements seraient rois; un sacré, c'est le cas de l'écrire, gâchis.



En plus, je dors souvent à la belle étoile, à quelques dizaines de mètres à peine du minaret, ce qui a la bonne idée de décupler les désagréments. Cela me rappelle le bond qu'avait fait Jules, lors de sa première nuit ici, il y a quelques années. Il m'avait regardé : « Katch, je crois qu'il y a un truc bizarre. »



Non, non, t'inquiète pas, tu verras, y en a bien plus que ça.

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