katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, février 17, 2012

quand bientôt la nuit









Il y avait ce type en train de se tapoter le crâne avec un bâton, à Adamastore, répétant qu'il avait avalé un petit oiseau, et que si on ne l'aidait pas à l'extirper, le passereau allait rendre l'âme dans sa gorge entravée. Il disait cela et il riait, un rire qui était un tremblement de tête dont les secousses me faisaient vaciller. Il disait cela et il demandait à mon voisin de bien vouloir lui prêter sa guitare, ce que ce dernier refusait. Il disait cela et il nous accusait, tous autant que nous étions, de ne pas savoir le poids des mots, de ne pas avoir de paroles. Alors que le petit oiseau qui se mourait. Alors que les notes qu'avec l'instrument il aurait pu libérer. Alors que le monde. Alors que la réalité.


Le parterre bigarré le regardait sans broncher, mêmes les personnes âgées, du côté droite rassemblées. Une fois de plus les chiens semblaient les seuls intéressés. D'ailleurs une odeur, de leur fait, de leurs si naturels méfaits, émanait d'un bosquet, ou d'un rien qui s'y apparentait. Des effluves se mariant peu avec soleil qui s'en allait. Alors que le monde. Alors que la réalité. Alors je me suis déplacé.


J'ai croisé un tas de neige.


Non ?!?


Non, des restes de glaces où des poisson avaient été étalés, derrière le marché de Cais do Sodré. Il y avait aussi des fragments de parapluie que le vent faisait danser.


Sur les quais, quelques joggers fous défiaient le froid qui, bien que ne s'abattant pas avec autant de conviction que plus à l'est de l'Europe, n'en restait pas moins capable de congeler mes mains en moins de temps qu'il ne fallait pour les glisser dans mes poches. Je dégainais mes gants, histoire de lire encore un peu pendant que Turner s'amusait avec le ciel et l'Océan, avec le feu sans artifices qu'ils allument quand bientôt la nuit.


Lorsque je me suis résolu à tourner le dos au tableau, je m'en suis allé en levant la tête ; des oiseaux fredonnaient des taches de rousseur sur la frimousse de la lune. Un peu plus loin, cette dernière contrefaisait un roi ne voulant pas se laisser mater, sur l'échiquier tissé par les fils du tram. Elle était poursuivie par un fou qui oubliait parfois qu'il était tenu d'avancer en diagonale. Il se rêvait cheval, peut-être reine.


Vasco Graça Moura, écrivain et nouveau directeur du Centre Culturel de Belém, a demandé à tous ses collaborateurs de désinstaller les correcteurs d'orthographe appliquant la nouvelle réforme, qui est selon lui une honte et un massacre pour le portugais. Ceci n'est, on s'en doute, pas du goût de nombreux politiques. Tabucchi, en ce lieu, il y a trois mois, disait que l'accord avec une langue n'est pas orthographique, mais spirituel. Annie le Brun, parlant de Sade, de Jarry, et d'autres infréquentables qu'elle admire, dans le Matricule des anges, dit qu'il « n'est pas de pensée en quête d'elle-même qui ne s'éloigne de ce que chaque époque cherche à imposer comme réalité. »


Pour écrire, n'a-t-on de cesse de me répéter, il faut que tu commettes quelques assassinats, que tu arrêtes de citer à tour de bras. J'échangerais toutes les métaphores pour un mot qui rentrerait dans les limites de ma peau. Je n'ajouterai donc pas à la liste déjà conséquente du paragraphe précédent le nom de celui qui a écrit cela,


J'échangerais toutes les métaphores pour un mot qui rentrerait dans les limites de ma peau,


vous trouveriez de toute manière que son nom est imprononçable, je ne vous le dirai pas, non, mais c'est plus fort que moi, quand je trébuche sur ce genre de choses,


J'échangerais toutes les métaphores pour un mot qui rentrerait dans les limites de ma peau.


je me relève, je ramasse le fautif, je le mastique, et ça y est, sa saveur se loge quelque part entre ma tête et ses absences.


Je suis allé à la présentation d'une biographie de Fernando Assis Pacheco – voilà pour mes bonnes résolutions d'il y a quelques lignes, balayées par la constellation en (dé)formation perpétuelle qui préside à mon geste d'écriture -, journaliste, poète, écrivain, mort d'une attaque cardiaque à 58 ans dans la librairie où il avait l'habitude de passer tous les jours. Avant les discussions d'usage, il y avait un petit documentaire.


« Est-ce que votre père écrivait tous les jours ?!? »


« Je ne sais pas, c'est difficile à dire, mais ce que je peux affirmer, sans peur de me tromper, c'est qu'il lisait tous les jours, beaucoup. »


La musaraigne, revenant d'un rendez-vous :


« Depuis que je te connais, à chaque fois que je retrouve quelqu'un qui est en train de m'attendre sans lire, je trouve ça étrange. »


Cette remarque a sonné à mes oreilles comme le bruit sec que font les cannes à pêche quand il s'agit de lancer la ligne le plus loin possible, un sifflement brusque, puis le fil qui se déroule jusqu'à l'amerrissage ; peut-être d'ici peu une prise. Chorégraphie laissant place à l'étirement du temps, à l'introspection.


Oui, cela me plaît infiniment, grâce aux livres, grâce à mon amour démesuré des mots imprimés sur papier, à rebours de la pensée unique, inique, économique, de revêtir le monde d'étrangeté.


A une cinquantaine de mètres de la maison où est né Fernando Pessoa, un nouveau café-restaurant-boulangerie a ouvert, il y a peu. J'y ai travaillé le temps d'un ou deux clignements de paupières. J'avais un collègue angolais qui me donnait du « Salam al'ikoum » quand j'arrivais de bon matin ; « Al'ikoum Salam o meu amigo ! » Cela sentait bon le bois, le pain ; cela sentait aussi le Lisbonne où je ne vais jamais, celui en papier mâché. Alors que le monde. Alors que la réalité. Alors il y a eu incompatibilité. Violente intranquillité que celle de la lucidité. Du coup, le premier baiser à peine expiré, nous nous sommes déjà séparés.


Il me reste plusieurs possibilités pour récolter quelque menue monnaie, une me permettrait de participer à une histoire qui, si elle n'est pas séculaire, a tout de même commencé à gagner ses lettres de noblesse il y a de nombreuses années : devenir un arrumador. Un « (ar)rangeur ». Il s'agit de gustions, plus rarement de donzelles (le cas échéant il est généralement difficile d'être catégorique, cela à avoir avec l'état de décomposition avancé de l'individu), aidant tout un chacun à stationner son véhicule un peu partout. Cette mise en scène étant généralement récompensée par une poignée de centimes. Un élément me retient : vu les talents de danseur contemporain que certains ont développé, avec tout ce que cela suppose de réinvention permanente de son rapport à l'espace et au mouvement, je ne suis pas sur d'être à la hauteur.


Les « arrumadores » me font, suivant les jours, marrer ou pitié, cela dépend davantage de moi que d'eux, mais ce dont je suis certain c'est qu'ils disent plus que Vasco de Gama d'une incertaine réalité de ce pays.


J'aurais aimé vous ramener, d'une journée à Campo de Ourique, une photo du petit vieux qui, sur un banc, semblait s'être fait une cabane d'un parapluie immense, ceci sous un soleil peut-être pas de plomb, mais quasiment d'argent. Au moment de viser, panne de batterie. Vous devez donc vous contenter de mes mots, pour l'imaginer. Des mots qui, pour Pessoa, dont nous sommes allés visiter la demeure lui rendant hommage, sont « des corps touchables, des sirènes visibles, des sensualités incorporées. » Rien que ça. Voilà de quoi me faire oublier que j'avais un appareil inutile en poche ; un petit bloc-notes était amplement suffisant.


Maintenant que je me sens vraiment bien dans la lecture en portugais, je défriche des territoires qui me sont inconnus. Une amie aime beaucoup un auteur qui a peu écrit : Nuno Bragança. J'ai donc emprunté son premier livre à la bibliothèque. Ma recherche rapide ne m'a pas permis de trouver quoique ce soit du bonhomme, en français. Je vous en traduis donc un mise en bouche :


« Ainsi je rêve mon premier livre. Dans lequel je ne ferais rien d'autre que ceci, aller jusqu'au fond nécessaire pour harponner la forme possible. Ma forme, évidemment.


Le jour où ce premier pas aura été fait je commencerai à être moi. Dans la prose comme en toute part. Ou plutôt en toute part puisqu'avec ma propre prose, découverte. »


Avant de m'effacer : Zbigniew Herbert. C'est le nom, celui qui manquait un peu plus haut.


J'échangerais toutes les métaphores pour un mot qui rentrerait dans les limites de ma peau.


Non mais, c'est le moins que je puisse faire que de rendre hommage à mes bouées.


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3 Comments:

Anonymous denise said...

oups, il ne semble pas d'accord de continuer sa sieste...le mot que je voulais t'écrire c'était à propos de tree of life...une anecdote (que je ne sais pas comment écrire...le mot anecdote, il s'entend)...que je venais de vivre...
Une discussion au hasard d'une belle journée devant l'affiche du cinéma sur Solano avenue... je regardais l'affiche, tu la vois? Celle avec les photos, la vie, des fragments en fait, des gens, des visages, des mains et des paysages, des morceaux plutôt, de terre, de mer, de désert, de ciel ou d'univers... je me disais, tiens c'est probablement un film que j'aimerais voir (mais on a toutes les excuses possibles pour ne pas aller au cinéma ;-))...mais bon, peut-être quand même un jour je le regarderai (tu remarqueras qu'il s'est finalement rendormis, sinon j'aurais abrégé...du coup je vais aussi replacer ce commentaire à la bonne place )...
Bon alors cette anecdote?
...mmm...patience, elle suivait une autre, j'étais passée chez la fleuriste d'en face demander si elle avait des graines, elle n'en avait pas mais elle était toute attendrie, son regard sur le personnage occupant le stroller (eh oui, il y a des mots comme ça qu'on apprend dans une langue et ensuite il y sont collés et faut se creuser la tête pour les traduire...pousse-pousse en français?)...et la fleuriste, donc, me parle de ses enfants maintenant adultes avec son accent espagnol (ou mexicain, mais peut importe),c'était chouette...
Et puis devant l'affiche, un homme... tiens noir aussi, comme le tiens du Tage (peut-être aussi qu'on s'est aimé l'espace d'une seconde...enfin c'était plutôt un échange de tendresse, souvenir et sourire)... s'arrête et me demande si je vais aller voir le film... I don't know...lui ne sait pas non plus, il a lu et étendu, des critiques et des gens, lui dire qu'il était excellent ou qu'il ne valait pas la peine... bref, je me dis, un film qui ne laisse pas indifférent, un bon présage ;-)...puis il digresse, how old is he?... ils grandissent si vite...ma fille, l'autre jour...elle a 14 ans, elle était au volant, je lui faisais de l'autoécole...elle s'est parquée et est sortie pour aller à son cours...j'ai fermé les yeux, ça passe si vite, j'ai eu comme un flash...je me suis souvenu quand elle avait 3 ans, peut-être, elle était à table en face de moi, je mettais mes mains sur mes yeux et elle pleurait, j'enlevais mes mains et elle retrouvait le sourire... ma femme me disait que ce n'était pas sympa de jouer comme ça, moi j'aimais bien...she was so little et maintenant elle apprend à conduire...ça passe si vite, enjoy every day...I will try, thanks for sharing...have a good day...take care...c'est précieux et rare les gens qui s'arrêtent quelques minutes et partagent un fragment de leur vie comme une instantané sur une affiche...ou comme un trait d'union entre âme et authenticité?...
Et peu après, j'avais lu ton poste sur le film et j'aime les coïncidences... mais je n'avais pas pris le temps de t'écrire...et ce n'est pas parce que le temps passe qu'il ne faut pas partager les bulles de bonheur flottant au hasard des jours ensoleillés... Today clear, a little windy, 64°F... After the nap, let's go for a ride, as he has just exchanged his hat for a red helmet ;-)

17 février, 2012 16:37  
Blogger Ondine said...

Je partage illico ta citation/inspiration avec une amie qui écrit et me dis du même coup qu'il faudrait avoir peur de ce que nous pourrons trouver sous nos mots.

21 février, 2012 23:58  
Anonymous Anonyme said...

merci. Ma crispation intérieure de ces jours s'est liquéfiée sous tes mots pour retrouver une joie de vie, une joie de créer l'instant en souriant.

23 février, 2012 13:09  

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