katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, janvier 17, 2012

les éclaboussures de la nuit







Sur les quais que l'on distingue depuis notre fenêtre, les éclaboussures d'une nuit pluvieuse avaient, dimanche matin, dessiné des racines au fleuve ; qui n'en courait pas moins après les marées, moi à sa suite. Encore que je m'accorde un peu de laisser-aller ces derniers temps, concernant l'enchaînement des foulées ; pas envie de bousculer ma carcasse déjà diversement sollicitée par les intempéries de la vie.


Lors de mon premier séjour à Lisbonne, je ne m'étais que peu approché du Tage, je l'avais flairé de loin. Ses bordures étaient d'ailleurs difficilement praticables, depuis le centre de la ville, du fait de travaux à rallonge. Cela a bien changé.


Désormais j'y vais, je m'assieds, ou pas ; et voilà que ça s'écrit même sans papier.


A l'étage supérieur du marché de Cais do Sodré, l'après-midi en question, il y avait thé dansant à volonté. On y croisait des couples nouvellement formés, d'autres anciennement déformés ; aussi un benêt cherchant où s'attabler sans payer, histoire de noircir quelques feuillets. Il regardait le bal enjoué d'un oeil inattentif, de loin ; on balance vigoureusement entre pathétique et ridicule, se disait-il sans trancher.


Annick est arrivée. Annick, alors que l'on buvait le premier café du séjour, à Adamastor, a dit qu'elle avait à coeur, ces temps, de comprendre certaines choses qui depuis longtemps lui échappent : l'amour, les marées,...


J'ai hasardé que l'amour avait sans doute quelques choses d'assez proche du déploiement et du retrait des marées. Peut-être s'agit-il donc d'apprendre à marcher sur le sable, patiemment, calmement, quand l'eau s'est retirée ; guettant, du bout des yeux et des doigts, les curiosités qui y sont restées. Attendre que l'eau revienne nous caresser les mollets. La laisser peu à peu nous habiller. Et les heures où cela est à nouveau possible, nager comme si notre vie en dépendait.


Il y a un poème d'Al Berto, intitulé « Vestiges », qui commence comme ça : « Dans d'autres temps / quand nous croyions à l'existence de la lune /... »


J'aime écouter des émissions radiophoniques lorsque je façonne du pain. Concentré, appliqué sur mes gestes, je prolonge mon attention dans les paroles émises. Pierre Alechinski, il y a peu, me parlait de Christian Dotremont pendant que je pétrissais la pâte. Les écritures du second nommé sont de passage à Paris. Son ami expliquait qu'elles y arrivaient enfin après avoir beaucoup circulé de par le monde. Première exposition au musée Jenisch, à Vevey. J'y étais. Quelque part entre fin 2004 et début 2005. J'avais été très impressionné par ces textes que l'on ne parvient pas à déchiffrer ; il faut s'en remettre aux mots figurant en petit, au bas du tableau, qui donnent alors un sens à l'émerveillement premier. « J'écris pour voir », disait il ; mouvement inversé de ceux qui découvrent ces oeuvres, qui aperçoivent d'abord, interpelés, puis qui, se penchant pour lire, voient ensuite plus complètement. J'avais recopié ceci, dans mon carnet de l'époque : « J'ai eu des mots avec le soleil et des silences avec la nuit. »


« J'écris pour voir », ceci ne m'a jamais quitté depuis lors ; l'autre phrase non plus d'ailleurs.


Annick nous a parlé de son travail dans des archives, qui n'est pas passionnant, non, juste alimentaire. Les archives évoquent, dans la mosaïque de mes souvenirs diversement colorés, celles de la ville de Neuchâtel, gardées à la Collégiale, un site magnifique, où, si l'on ne s'est pas laissé effrayer par la statue imposante du protestant mythique de la ville, on peut voir le lac qui somnole ou s'affole, ça dépend. Le séminaire pour lequel je devais défricher des vieux papiers s'intéressait à la ligne de chemine de fer entre Neuchâtel et La Chaux-de-Fond, moi pas. Du coup, je fouinais un moment, pas bien longtemps, puis j'allais sur un banc ou au café du coin.


Je lisais « L'insoutenable légèreté de l'être ». J'avais la sensation que la manière dont Kundera disséquait les scènes qu'il romançait me nourrissait davantage que les comptes du canton. Cette impression n'a pas changé d'un iota, mais devant désormais m'amuser à noter sur un carnet mes dépenses pour voir quand je peux m'autoriser des cafés, qui coûtent ici moins d'un euro, je comprends aussi pleinement qu'il y a nourriture et nourriture, que des deux jamais je n'ai manqué, mais que c'est agréable quand on a un peu plus de marge au niveau de son porte-monnaie.


Hier matin, je suis sorti pour laisser tout ce qui m'orage cheminer en moi. A Portas do Sol, slalomant parmi des tables en train de se dresser et des flaques gorgées de ciel, un vieux monsieur, sacoche à la main, écouteurs sur les oreilles, dansait, dansait, sans se soucier des aboiements pressant d'un chien, pas loin, sans se soucier des crissements et des klaxons du tram, sans se soucier des premiers appareils photos qui commençaient à arriver, sans se soucier de rien. J'ai repensé à ce que dit Kundera, que souvent, plus on relit une histoire drôle, plus elle devient triste. Je regardais le bonhomme qui continuait de tourner, déjà éméché à 9h du matin, sans doute plutôt encore imbibé de la veille. De la veille de la veille. De la veille de la veille de la veille. Je le regardais et je me disais que lui c'était le contraire, à force d'avoir regardé sa misère, elle avait fini par lui donner, pendant quelques insouciantes minutes, un immense bol d'air.


A la place du commerce, avec un sono dont il aurait pu se dispenser, un type chantait, sa guitare l'accompagnait. Bob Dylan. J'ai continué le long des quais, pour écouter cette réponse que le vent aurait dû m'apporter.


C'est étrange de se sentir dans la peau d'un arbre dont les racines seraient une arabesque infinie et invisible dessinée par les oiseaux qui s'y nichent.


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2 Comments:

Blogger Zorblog said...

Elles sont excellentes, ces photos!

17 janvier, 2012 11:21  
Blogger Alexandre said...

Depuis la collégiale, près de la statue, un petit homme fait signe de l’œil tout seul au bout de la colline. Le regard plongé dans le changement de temps. Voyant les nuages danser qui s'acclimatent pendant que le vent se refroidit.

Deux jours de froid annoncent Eiger, Mönsch et Jungfrau. Le dernier rayon de soleil avant la nuit, au crépuscule, caresse les sommets d'une couleur brûlante. L'hiver est là, c'est sûr! Mais la neige n'y est pas encore tout à fait.

Alors, le petit homme regarde plus attentivement et distingue des mots dessinés à la mains dans le ciel!

Salutations l'ami!

26 janvier, 2012 01:51  

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