katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, avril 13, 2012

nudité enneigée

Me rendant à Bordeaux à pied, depuis une zone périphérique, j’ai aperçu, à un arrêt de tram, un mec complètement saoul, à 8h le matin, qui était lancé dans un monologue agrémenté de moult postillons ; les personnes qui attendaient se tenaient à l’écart, des fois que ce soit contagieux, des fois que la bave du poivreau atteigne les blanches savates. A côté de lui, il y avait un transistor qui devait probablement avoir le volume au maximum. S’en échappait « Imagine » de John Lennon.

J’ai pensé à ces lignes de Guillevic :

« Être poète

C’est garder ses dix ans

Tout en faisant sienne

La langue des autres

Et tout le noir

Qu’ils transportent »

Pendant ma petite semaine en Gironde, j’ai aimé voir Maud qui gesticulait pour expliquer sa motivation dans l’acquisition du langage des signes, d’un langage des signes ; j’ai aimé trouvé plein de livres à lui laisser, pendant notre dimanche vélo-vide-grenier ; j’ai aimé aller courir autour du lac de Bègles, et deviner un monsieur qui me chronométrait par curiosité ; j’ai aimé le gustion avec deux chignons tellement grands, à gauche et à droite de son occiput crânien, qu’on aurait dit des oreilles de Mickey ; j’ai aimé l’ambiance brésilienne, au marché de Bègles, le samedi matin, avec les enfants qui remuaient du popotin, alors que leurs parents se tenaient comme on croit qu’il sied à des gens bien éduqués, soit désespérément quiets.

J’ai moins aimé la prostituée, derrière la gare, qui a remballé un mec en chaise roulante électrique. J’ai moins aimé une tristesse sourde, qui commençait à jongler en moi, et dont je ne me suis toujours pas débarrassé. Frédéric Boyer est venu mettre des mots là-dessus :

« En parlant l’homme pense à cette part qui échappe à notre existence et que nous connaissons davantage que l’existence même que nous menons. Un continent perdu qui s’étend chaque seconde un petit peu plus, à chaque doute, à chaque désillusion, cette part immense de notre vie que nous avons rêvée, redoutée ou imaginée. »

Le livre s’intitule « Personne ne meurt », je le mets aux côtés de « Patraque », de « Mes amis mes amis », de« Gagmen » et de « La Bible, notre exil » dans les ouvrages de l’auteur à déposer entre de nombreuses mains.

Depuis que je l’ai fini, j’ai de la peine à véritablement entré dans autre chose, je suis, quand je suis seul, dans un état brumeux peu propice. Je suis trop empêtré en moi pour me glisser ailleurs. Il y a seulement la correspondance entre Chessex et Roud qui fait exception, qui me sort de – plutôt me confirme ? - ma torpeur chagrine.

« Lire ? Impossible. On ne lit peut-être que pour retrouver un chant qui nous habite, et je ne puis le sentir plus confusément présent qu’aujourd’hui. Mais il n’a pas de voix.

Peut-être faut-il ses journées où se décante peu à peu notre chant pour qu’enfin surgisse un poème, comme une délivrance mystérieusement simple et nue, et qu’ainsi ses heures opaques soient rachetées… »

Chessex disait cela à Roud, le 15 juillet 1954, puis à moi, un matin d’avril 2012.

Derrière la bâtisse où je vais rester jusqu’à début mai, où je tente de saupoudrer de la gaieté sur les premiers pas en français de jeunes suisses-allemands, ainsi que de titiller leur curiosité (autrement à quoi bon ?!?), il y a un sentier qui se faufile, en montant, jusqu’à des bosquets. Un demi-tour sur soi suffit, après une petite ascension, pour apercevoir le lac de Neuchâtel pointer le bout de son étendue.

En arrière-fond, le Chasseral est de blanc dévêtu, ces jours. Oui, dévêtu, il me semble que cette neige le déshabille plus qu’elle ne le couvre, lui conférant une superbe fragilité. Alors que les paysages traversés depuis mon retour me laissent désespérément indifférent, me font me sentir terriblement absent, cette nudité enneigée m’émeut puissamment. Sans doute est-ce la sensation d’avoir commencé à perdre une partie de ma peau et de mon souffle, depuis la fin de l’automne, qui se confond avec cette douceur que je sais éphémère.

Il y a trois jours, alors que j’étais monté jusqu’à ce point-de-vue improvisé, trois goélands formaient un accroc blanc sur cette étendue rendue d’un vert éclatant par la pluie abondante, qui se rappelle enfin aux bons souvenirs du printemps. Trois goélands, des petites notes de saudade qui se matérialisaient dans un champ. Elles s’étaient probablement échappées de l’arbre qui les chapeautait, fleurs immaculées bousculant la réalité, se muant en une petite famille de regrets ailés. L’arbre, de loin, semble givré, davantage que fleuri. L’extrémité de ses branches donne l’impression d’avoir été figées par le froid. Mes mains aussi. Un autre froid. Une autre fixité. Les goélands, en prenant leur envol, ont déployé quelques cris où s’entendait la mer.

Des larmes leur répondaient, desserrant cette peine qui noue ma gorge, et que même la nuit ne parvient pas à chasser. Le sommeil, mon fidèle allié, est allé voir ailleurs si j’y suis. Il m’a envoyé une lettre pour me dire que oui, j’y suis. L’enveloppe n’a pas été affranchie. Il en arrive une nouvelle chaque jour. L’absence de timbre est toujours différente. Le regard qui la déchiffre aussi.

« S’il-te-plaît… Dessine-moi un mouton ! »

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3 Comments:

Blogger @ude said...

Retrouvez ce billet dans la Revue en ligne Poésie Illuminée: http://www.scoop.it/t/poesie-illuminee/p/1603346500/katchdabratch-nudite-enneigee

Merci.

@ude.

15 avril, 2012 14:30  
Blogger katch said...

Eh bien il me semble que c'est à moi de dire "merci" pour cette gentille attention.

16 avril, 2012 06:24  
Anonymous Anonyme said...

"La vie est plus un consentement qu'un choix. La seule liberté de l'homme, c'est de tenir la voile tendue ou de la laisser choir. Le vent n'est pas de nous."...
Cette citation de l'Abbé Pierre fait écho au vol de tes trois goélands déployant leurs ailes portés par le vent au dessus de la grande étendue verte avec en toile de fond le lac de Neuchâtel avec Le Chasseral et me donne l'occasion de te souhaiter la bienvenue en terre helvétique.
Amicales et cordiales pensées,
Claire

19 avril, 2012 18:30  

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