katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, novembre 05, 2012

ceux qui ne font que passer






A deux pas d'ici, disons trois, surplombant la Sarine qui s'apprête à devenir le fantasmé lac de Pérolles, il y a le chemin des falaises. Il semblerait qu'il ait des prolongements secrets, puisque c'est assurément sur lui que je bégaye mes pas depuis de longs mois. Le chemin des falaises. Une chauve-souris m'y a escorté un bout, hier; elle me voletait autour avec cette manière saccadée qui leur est singulière.

C'était agréable d'inhaler avec elle la nuit, qui n'avait encore pas tout à fait revêtu son costume de noirceur; seulement ses bas, discrète promesse de douceur.

Une fois à la gare, c'était battle musical au programme: d'un côté ambiance rap; de l'autre, une techno imbuvable, qu'on appelait, quand j'étais gosse, allez savoir pourquoi, de la "spatze". J'ai vite eu fait de choisir mon camp: celui de ceux qui ne faisaient que passer.

Dans le train, j'ai repris un peu de "Le tout sur le tout" d'Henri Calet, dans lequel il parle une fois de plus de son Paris. Une ville lumière qu'il dorlote en lui donnant des claques, qu'il maltraite avec amour. Paris, sous sa plume, est en même temps une grand-mère adorable, une mère envahissante, un frère chiant et un vieux pote.

"Je me suis coiffé de cette ville, elle me botte parfaitement, elle est à ma taille. Je l'ai vue sous toutes les coutures. C'est une intimité sans plus aucun secret. Paris en chemise, Paris à poil. Je m'en fais un tour de cou... C'est entre nous à la vie à la mort (la vie pour elle, la mort pour moi)."

La patte de Calet me transporte dans une sorte d'hébétude heureuse et mélancolique; j'entoure au crayon les chapitres à quoi je reviendrai. Un sur deux.

Voilà qui me donne envie de vous copier un poème d'Antonio Ramos Rosa

Para um amigo tenho sempre um relógio
esquecido em qualquer fundo de algibeira.
Mas esse relógio não marca o tempo inútil.
São restos de tabaco e de ternura rápida.
É um arco-íris de sombra, quente e trémulo.
É um copo de vinho com o meu sangue e o sol.

Pour un ami j'ai toujours une montre
oubliée dans un fond de poche.
Mais cette montre n'indique pas le temps inutile.
Se sont des restes de tabac et de tendresse rapide.
C'est un arc-en-ciel d'ombre, chaud et tremblotant.
C'est un verre de vin avec mon sang et le soleil.

Arrivé sur les hauts de Lausanne, lors d'un crochet dans la capitale vaudoise semi-improvisé, j'ai constaté que la campagne, à cet endoit, borde encore en partie la ville. La Blécherette dépassée, parti direction le Mont, on voit des vaches, une grosse étable aussi, qui semble toute surprise d'être toujours en vie. Elle secoue la tête en regardant le long bouchon de voitures qui s'étire depuis la sortie d'autoroute.

J'allais dans un endroit où les livres sont refourgués au poids, et les CD pour ainsi dire donnés. Je trouve à chaque passage de quoi remplir un sac. Puis, quelques mois plus tard, quand je ne peux m'empêcher de reprendre mes pérégrinations, que les tas de rebuts se sont superposés, se repose la sempiternelle question: tu fais quoi de tout ça, maintenant, espèce de couillon?!?

Le retour au centre s'est déroulé par le bord du ruisseau qui donne son nom à la zone devenue tendance ces dernières années, le Flon. En amont des magasins et autres paradis pour noctambules, il chemine tranquillement dans une verdure surprenante, il salue le Bois-Gentil, sa prison, son centre oecuménique fort moderne et ses terrains de sport. Il clapote des pieds de nez aux automobilistes pressés.

Avant d'amorcer la descente, j'ai pris une dernièer bouchée de panorama, on apercevait un carreau de lac qui guignait; au-dessus de lui, des montagnes rendues inquiétantes par des traînées de neige déjà bien édulcorées.

Oui, c'est vrai, je vous ai trimbalés de Fribourg à Lausanne sans transition. Vous vous êtes même rendus à Berne sans le savoir. Il y avait aussi entre ces paragraphes un crochet bâlois que j'ai omis. Sans parler de Paris et de Lisbonne. Un moment la nuit arrive, soudain c'est le jour qui est là.

C'est somme toute une sympathique perversité du clavier, ces téléportations à volonté, cette vitalité à discrétion; cette synchronicité fantasmée des frissons.

Calet vous salue:

"De trente à quarante, je me suis débarrassé de quelques inutilités; je ne crie plus, j'ai mis la sourdine; je vais plus librement. Et puis, à force de grimper, je crois que j'ai accédé à une sorte de plate-forme d'où l'on distingue un peu plus nettement les objets et les hommes, et soi-même. Ensuite, il n'y aura plus qu'à se laisser aller, doucement. Cela devrait marcher tout seul. Mais il se peut que je me trompe."

1 Comments:

Anonymous Druon said...

Passe donc, passe donc par chez nous, bel ami.
Bisous

11 décembre, 2012 14:15  

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