A deux pas d'ici,
disons trois, surplombant la Sarine qui s'apprête à devenir le
fantasmé lac de Pérolles, il y a le chemin des falaises. Il
semblerait qu'il ait des prolongements secrets, puisque c'est
assurément sur lui que je bégaye mes pas depuis de longs mois. Le
chemin des falaises. Une chauve-souris m'y a escorté un bout, hier;
elle me voletait autour avec cette manière saccadée qui leur est
singulière.
C'était agréable
d'inhaler avec elle la nuit, qui n'avait encore pas tout à fait
revêtu son costume de noirceur; seulement ses bas, discrète
promesse de douceur.
Une fois à la
gare, c'était battle musical au programme: d'un côté ambiance rap;
de l'autre, une techno imbuvable, qu'on appelait, quand j'étais
gosse, allez savoir pourquoi, de la "spatze". J'ai vite eu
fait de choisir mon camp: celui de ceux qui ne faisaient que passer.
Dans le train, j'ai
repris un peu de "Le tout sur le tout" d'Henri Calet, dans
lequel il parle une fois de plus de son Paris. Une ville lumière
qu'il dorlote en lui donnant des claques, qu'il maltraite avec amour.
Paris, sous sa plume, est en même temps une grand-mère adorable,
une mère envahissante, un frère chiant et un vieux pote.
"Je me suis coiffé de cette
ville, elle me botte parfaitement, elle est à ma taille. Je l'ai vue
sous toutes les coutures. C'est une intimité sans plus aucun secret.
Paris en chemise, Paris à poil. Je m'en fais un tour de cou... C'est
entre nous à la vie à la mort (la vie pour elle, la mort pour
moi)."
La patte de Calet
me transporte dans une sorte d'hébétude heureuse et mélancolique; j'entoure au
crayon les chapitres à quoi je reviendrai. Un sur deux.
Voilà qui me donne
envie de vous copier un poème d'Antonio Ramos Rosa
Para
um amigo tenho sempre um relógio
esquecido
em qualquer fundo de algibeira.
Mas
esse relógio não marca o tempo inútil.
São
restos de tabaco e de ternura rápida.
É
um arco-íris de sombra, quente e trémulo.
É
um copo de vinho com o meu sangue e o sol.
Pour
un ami j'ai toujours une montre
oubliée
dans un fond de poche.
Mais
cette montre n'indique pas le temps inutile.
Se
sont des restes de tabac et de tendresse rapide.
C'est
un arc-en-ciel d'ombre, chaud et tremblotant.
C'est
un verre de vin avec mon sang et le soleil.
Arrivé sur les
hauts de Lausanne, lors d'un crochet dans la capitale vaudoise
semi-improvisé, j'ai constaté que la campagne, à cet endoit, borde
encore en partie la ville. La Blécherette dépassée, parti
direction le Mont, on voit des vaches, une grosse étable aussi, qui
semble toute surprise d'être toujours en vie. Elle secoue la tête
en regardant le long bouchon de voitures qui s'étire depuis la
sortie d'autoroute.
J'allais dans un
endroit où les livres sont refourgués au poids, et les CD pour
ainsi dire donnés. Je trouve à chaque passage de quoi remplir un
sac. Puis, quelques mois plus tard, quand je ne peux m'empêcher de
reprendre mes pérégrinations, que les tas de rebuts se sont
superposés, se repose la sempiternelle question: tu fais quoi de
tout ça, maintenant, espèce de couillon?!?
Le retour au centre
s'est déroulé par le bord du ruisseau qui donne son nom à la zone
devenue tendance ces dernières années, le Flon. En amont des
magasins et autres paradis pour noctambules, il chemine
tranquillement dans une verdure surprenante, il salue le Bois-Gentil,
sa prison, son centre oecuménique fort moderne et ses terrains de
sport. Il clapote des pieds de nez aux automobilistes pressés.
Avant d'amorcer la
descente, j'ai pris une dernièer bouchée de panorama, on apercevait
un carreau de lac qui guignait; au-dessus de lui, des montagnes
rendues inquiétantes par des traînées de neige déjà bien
édulcorées.
Oui, c'est vrai, je
vous ai trimbalés de Fribourg à Lausanne sans transition. Vous
vous êtes même rendus à Berne sans le savoir. Il y avait aussi
entre ces paragraphes un crochet bâlois que j'ai omis. Sans parler
de Paris et de Lisbonne. Un moment la nuit arrive, soudain c'est le
jour qui est là.
C'est somme toute
une sympathique perversité du clavier, ces téléportations à
volonté, cette vitalité à discrétion; cette synchronicité
fantasmée des frissons.
Calet vous salue:
"De trente à quarante, je me
suis débarrassé de quelques inutilités; je ne crie plus, j'ai mis
la sourdine; je vais plus librement. Et puis, à force de grimper, je
crois que j'ai accédé à une sorte de plate-forme d'où l'on
distingue un peu plus nettement les objets et les hommes, et
soi-même. Ensuite, il n'y aura plus qu'à se laisser aller,
doucement. Cela devrait marcher tout seul. Mais il se peut que je me
trompe."
1 Comments:
Passe donc, passe donc par chez nous, bel ami.
Bisous
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