S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres.
Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour.
Les inviter à s'ébrouer.
Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.
lundi, décembre 10, 2012
Dans et sur les hommes, José Luis Peixoto
Comme je trouve cette lecture, ainsi que presque toutes celles de ce Dizedor de génie, à couper le souffle, je me suis dit que j'allais la traduire et la mettre en ligne par ici.
Eussé-je été plus doué, vous auriez eu droit à des sous-titres.
Attention, texte et récitation décapants.
Comme
le sang, nous courons à l'intérieur des corps au moment où des
abîmes les tirent et les dévorent. Nous traversons chaque branche
des arbres intérieurs qui croissent de la poitrine et s'étendent
par les bras, par les jambes, par les regards. Les racines
s'accrochent au cœur et nous recouvrons chaque doigt fin de ces
racines qui se ferment et s'ouvrent et écrasent cette pierre de feu.
Comme du sang, nous sommes des larmes. Comme du sang, nous existons à
l'intérieur des gestes. Les mots sont, tellement souvent, faits de
ce que nous signifions. Et nous sommes le vent, les chemins du vent
sur les visages. Le vent dans l'obscurité comme unique objet qui
peut être touché. Sous la peau, nous enveloppons les mémoires, les
idées, l'espérance et le désenchantement.
Après
les nuages, dans le dernier lieu du monde, nous restons là où les
voix n'arrivent pas. Nos regards s'étendent dans les coins les plus
oubliés des maisons, au fond de la mer, dans les lieux que seuls les
aveugles voient, les pierres couvertes par des feuilles dans la
forêt, les rues de toutes les villes. Nos regards touchent les lieux
illuminés et touchent les lieux noirs. Personne et rien ne peut nous
fuir. La nuit, nous étendons les bras pour délivrer une balle, ou
un flacon de venin, ou une lame, ou une corde. La nuit, nous touchons
des visages. Et nous sourions. Le son d'un tir. Le feu dans un flacon
de venin. Du sang qui sèche sur le tranchant d'une lame. Une corde
étendue dans la nuit. Mort feu sang mort. Et nous sourions. Loin de
la lune, après les nuages, notre visage est une blessure ouverte
dans le ciel de la nuit. Le monde, devant nous. Nous pouvons te
toucher maintenant. Avec le mouvement le plus petit d'un doigt, nous
pouvons détruire ce qui te paraît le plus sûr. Tu es devant nous.
Si nous voulons, nous pouvons te toucher. Si nous voulons, nous
pouvons te détruire.
Dans
et sur les hommes, nous sommes la peur. Ce sont nos mains qui
déterminent la furie des eaux, qui font marcher l'armée, qui
plantent des échardes sous la peau. Nous savons que tu nous connais.
En n'importe
quel instant de ta vie, nous te remplissons et nous t'enveloppons
avec l'image de notre voix, avec l'image de notre signification, le silence et
les mots. En un instant que nous choisirons nous pouvons recommencer
à te remplir et à te couvrir. Nous savons que tu connais le froid
de la solitude au bord des routes quand la nuit est tellement
obscure, quand la lune est morte, quand existe un désert de noir au
bord des routes. Regarde à l'intérieur de toi et tu nous
rencontreras. Regarde le ciel, après les nuages, et tu nous
rencontreras. De nous jamais tu ne pourras te cacher. Ceci est le
prix pour que tu chemines sur la terre où, un jour, tu entreras pour
toujours. Les dernières pelles de terre qui te couvriront seront nos
paupières en train de se fermer. Seulement alors tu pourras te
reposer.
Nous
sommes la peur. Nous connaissons tellement d'histoires. Tous les
amants qui regardent par la fenêtre et imaginent qu'ils se sont
perdus pour toujours. Tous les hommes qui, dans une chambre
d'hôpital, embrassent leurs fils. Tous les noyés qui, pour la
dernière fois, lèvent la tête hors de l'eau. Tous les hommes qui
cachent des secrets. Et toi ?!? Tu caches quelque secret ?!?
Tu n'as pas besoin de répondre. Nous connaissons ton histoire. Nous
te voyons même quand tu ne nous vois pas. Nous te voyons maintenant.
Tu caches quelque secret ?!? Réponds quand tu te regardes dans
le miroir. Ton visage dupliqué : ton visage et ton visage.
Quand tu verras tes yeux en train de te voir, quand tu ne sauras plus
si tu es toi ou si ton reflet dans le miroir est toi, quand tu ne
parviendras pas à te distinguer de toi, regarde au plus profond de
cette personne que tu es et imagine ce qui se passerait si tous
savaient ce que seul toi sais sur toi. A ce moment, nous serons avec
toi. Nous t'envelopperons et tu seras seul.
Après
les nuages, sur les hommes, sous la peau, dans les hommes, nous
t'attendons. Nous sommes en train de te voir maintenant, pendant que
tu lis. Nous te verrons quand tu arrêteras de penser à ces mots.
Dans et sur ton visage, nous savons tes secrets. Nous savons même ce
que tu caches à toi-même. Tu ne peux pas nous fuir. Dans la paume
de nos mains nous tenons ton cœur, nous pouvons l'écraser. Tu ne
peux rien faire pour nous en empêcher. Notre regard est arrêté sur
chacun de tes gestes et sur chacun de tes mots. Dis un mot
maintenant. Fais un geste. Nous sourions devant tes mots, comme nous
sourions devant ton silence. Personne ne pourra te protéger.
Personne ne peut te protéger maintenant. Tu es encore moins que ce
que tu imagines. Nous avons accompagné mille générations d'hommes
comme toi. Pour notre plaisir, nous les laissons cheminer sur les
lignes de nos mains. Pour notre plaisir, nous leur prenons tout. Nous
avons guidé des générations entières d'hommes dans des tunnels
que nous avons construits en direction de rien. Et, quand ils sont
arrivés au vide, nous sourions. Tu es égal à chacun d'entre eux.
Nous t'attendons dans et sur ton visage. Continue ton chemin. Suis
cette ligne de notre main. Nous savons où termine ce tunnel dans
lequel tu chemines. Continue à cheminer. Nous t'attendons. Nous
sourions à te voir. Après les nuages, nous sommes la peur. Sous la
peau, nous sommes la peur.
"Ton visage dupliqué : ton visage et ton visage. Quand tu verras tes yeux en train de te voir, quand tu ne sauras plus si tu es toi ou si ton reflet dans le miroir est toi, quand tu ne parviendras pas à te distinguer de toi, regarde au plus profond de cette personne que tu es et imagine ce qui se passerait si tous savaient ce que seul toi sais sur toi."
Merveilleux! Je te remercie pour la traduction parce que le portugais, je ne sais pas le lire.
S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres.
Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour.
Les inviter à s'ébrouer.
Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.
« Cours autant que peuvent te porter tes jambes, cours d’un ouragan à l’autre et élève ton petit cœur comme une supplique adressée aux plaines où se bousculent les lettres et les étourneaux. [...]. N’y a-t-il pas dans ta voix le fracas d’une rupture ? »
Salim Barakat, Le criquet de fer
2 Comments:
C'est pas beau ce bleu, contrairement au texte.
"Ton visage dupliqué : ton visage et ton visage. Quand tu verras tes yeux en train de te voir, quand tu ne sauras plus si tu es toi ou si ton reflet dans le miroir est toi, quand tu ne parviendras pas à te distinguer de toi, regarde au plus profond de cette personne que tu es et imagine ce qui se passerait si tous savaient ce que seul toi sais sur toi."
Merveilleux! Je te remercie pour la traduction parce que le portugais, je ne sais pas le lire.
Salutations
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