katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, juillet 04, 2011

un pèlerin emprunté

Nom de pipe.



Longtemps que je n'avais pas entendu cette expression. Là, elle a été répétée plusieurs fois, refrain de quelques « bastringues » en pays de Vaud remémorées autour d'un verre de thé. Nom de pipe. C'était surprenant de l'entendre à Teboulba, mais sans doute encore plus de la part d'un prénommé Béchir, dont le nom de famille est le même que celui du président tunisien déchu. Le gaillard en question a passé 35 ans en Suisse, à Thierrens, et il a un accent vaudois comme je peux vous assurer qu'on n'en entend plus tant que ça, même là-bas. On constate vite qu'il a laissé quelques plumes dans ses copinages arrosés, mais Nom de pipe que c'était ravigotant de l'écouter me conter quelques aventures de nos contrées.



Dans l'hôtel où j'ai passé deux nuits, en arrivant, il y avait une inscription qui aurait régalé Gary et Pessoa, sa tournure étrange est due au français approximatif du lieu : Veuillez vérifier votre identité en la rendant. Ma suissitude s'affirme d'éclatante manière quand je suis en Tunisie, je me dois de la reconnaître. Même si je garde mes identités pluriels, ce terreau-ci est bien imprégné ; qu'il s'agisse de m'enchanter ou de m'indigner.



L'Aouina, c'est le nom du quartier où habite une partie de la famille, à Tunis. Enfin à une quinzaine de kilomètres de Tunis. Quand j'ai voulu venir depuis le centre, au début de mon séjour, j'ai arrêté quelqu'un pour lui demander comment m'y rendre à pied. Le type a souri. « A pied, mon frère ? Demande plutôt à un taxi. » Effectivement, le trajet n'est pas tout à fait, comment dire ?, bucolique. Plutôt magistralement motorisé et bordélique. L'Aouina, c'était un endroit populaire, il y a de cela une petite poignée d'années ; maintenant, les immeubles y ont poussé, non pas comme des champignons, mais comme des immeubles. Entendez que cela ne fait ni saliver ni penser à des sous-bois. Du coup, les anciens résidents vivent en plein ce terme technique signalant une hausse des prix n'allant pas de paire avec le revenu de ceux qui ont fait l'âme du lieu : gentrification. Un processus qui va bon train à Tunis.



Comme j'avais envie de passer dans une librairie de la Marsa, je me suis dit que j'allais m'y rendre à l'aide de mes sandales de compétition. Trajet fort contrasté. Parti d'immeubles reluisants, j'ai traversé quelques friches où se côtoyaient des troupeaux de sacs plastiques et des moutons. En premier plan, accrochés à des branchages, des hordes de sachets ; derrière eux, des animaux à l'air fatigué ; encore plus loin, un champ improbable où travaillaient quelques personnes. Autour, des briques rouges entassées dans l'espoir de donner un jour naissance à des maisons. Quelques carcasses de voitures également, juste pour le style.



Pas mécontent d'arrivé enfin à bon port, j'ai fait une petite revue de presse en terrasse, puis m'en suis allé dans le lieu que j'avais repéré. Après avoir sélectionné quelques ouvrages de la magnifique maison d'édition Elyzad, le libraire m'a dit que, si je prenais tout ceci, il allait m'offrir un livre, mais attention, des pages qui allaient me faire mal à la tête. Il s'agit de « Qui sont les barbares ? » de Youssef Seddik. Un anthropologue et philosophe tunisien dont je viens de terminer « L'attente du soir ». La charge de celui-ci s'annonce claire :



" J'ai beau connaître et aimer vos Ovide et vos Baudelaire, vos Shakespeare et vos Sénèque, votre savoir à vous ne m'a pas accueilli "



La discussion s'amorce, le libraire me dit tout de suite qu'il est « un activiste de gauche militant pour la laïcisation de la société tunisienne ». Il ajoute qu'il a eu la chance d'avoir un père qui n'était pas croyant, mais qui était un type bien. « Non seulement bien, mais bon. Toute la Marsa vous le confirmera. » Il me montre alors deux petits ouvrages sur le Kama Soutra, ainsi qu'un bouteille de Whisky préparée pour des amis. « Est-ce que sont des éléments qui peuvent mesurer la qualité d'une personne ?!? Bien sûr que non !!! »



Je me suis un peu perdu en rentrant. Disons égaré. Je réfléchissais aux propos échangés le matin-même, s'y superposaient les paroles de Naïma, ma tante qui représente à mes yeux la foi incarnée, aussi des bribes me restant de « L'Islam sera spirituel ou ne sera plus » d'Eric Geoffroy.



Est-ce que je vais me faire une carte d'identité tunisienne, histoire de voter en octobre ?!? Seule réponse possible, après ce séjour : je ne m'y trouve aucune légitimité. Mes identités me paraissent incontestablement multiples, pas ma citoyenneté. Serait-elle donc uniquement suisse ?!? Plutôt nulle, ou partout ailleurs que dans les urnes, pour être exact.



Alors que j'avais retrouvé des marques me permettant d'espérer bientôt me reposer sur un canapé, un malaise, petit à petit, grandissait. Je me rapprochais d'une mosquée ; c'était vendredi. La voix qui s'échappait des hauts parleurs ne priaient pas, elle hurlaient. On aurait dit notre premier lieutenant, lors de notre dernière nuit de service militaire, quand il avait constaté que certains fumaient d'illicites cigarettes. Il braillait sur cent pelés, alignés dans la cour, en petites tenues puisque nous avions dû sortir d'urgence de nos chambres. Que les « criminels » se dénoncent, autrement nous passerions la nuit ici, pendant que les chiens de la police militaire dépiauteraient nos affaires. L'explorateur Maffioletti s'était avancé, rapidement suivi par cinq de ses amis.



Je scrutais les environs du minaret pour voir s'il s'agissait du même genre de problèmes. Apparemment pas. Les cris continuaient sans que personne ne bronche. Je décidais de faire de même. Pas de crier, de continuer.



Ces détestables exhortations m'ont poursuivi longtemps, comme les relents de chameaux morts qui ne lâchaient plus Raoul, quand il croisait leurs carcasses, pédalant en Mauritanie et en Guinée. Dans mon cas, la tristesse a vite remplacé la gêne ressentie.



J'aime quand piété rime avec bonté et fraternité, pas avec virilité et animosité.



Nom de pipe.


1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Chez moi dans mon Chablais on Dit " Non d'une pipe! "mais j'en profite pour te faire un petit coucou et je t'envoie pleins de bisous .Taratata

04 juillet, 2011 20:43  

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