Dans
le train qui relie St-Moritz, en basse Engadine, à Coire, j'ai vu un
monsieur, avec de la neige jusqu'à mi-cuisse, qui balayait un muret;
un ballet gracieux qui se superposait avec celui aperçu au petit
matin, l'automne dernier, quand nous avions tout juste quitté
Teboulba pour aller prendre le bateau à Tunis, direction Marseille.
Une procession aquatique composée de silhouettes de tous âges et
tous accoutrements, marchant, les bras dans le dos, la mer à
mi-mollets, avec comme un léger balancement de gauche et de droite,
à moins que celui-ci ait été inventé uniquement par mon regard
amusé.
Un cortège dissipé, probablement à la recherche de
quelques victuailles, ou d'un minuscule rien qu'un regard, une
histoire, une habitude ou au contraire une exception, transformeront
en trésor, comme l'incarnent si bien, je ne le dirai jamais assez,
les tessons de jean prod'hom.
Le
soir précédent, alors que Marie mettait Béatrice au lit, que la
nuit était déjà bien avancée, je leur avais lu "Ecrire",
les dernières pages du "bord intime des rivières" de
Bohringer. Des pages qui sentent la fumée, l'alcool et la perte
d'amis importants. C'est aussi le cas des quelques chroniques de
Peter Bichsel que je leur ai imposées au réveil, le matin de mon
retour en train. Mais la musique n'est pas la même. Ce serait du
jazz décapant pour le premier, un arrière-fond sonore plus indéfini
pour le second, quelque chose comme la soupe pop qui doit s'entendre
dans les cafés de sa ville de Soleure.
Autre grand écart entre les
deux: l'urgence et l'incandescence d'une vie qui se fait la malle en
criant souvent hagard, pour Bohringer, la couleur dominante étant
plutôt celle de l'ennui, pour Bichsel, un ennui qui le rend
philosophe dilettante, pour notre plus grand plaisir.
Le
soir de mon anniversaire, seul dans un café genevois que j'aime
beaucoup, c'est à nouveau Bohringer que j'avais convoqué, et Jean
Sulivan, pour être avec des membres de la famille. Je les reconnais
tout-de-suite, à leurs marotes, à leur rythme. Ils m'agacent tous
les deux, par moments; par leurs répétitions et leurs maladresses,
qui ne sont pas les mêmes, loin s'en faut, mais ils savent aussi
merveilleusement m'écouter et me parler dans une valse à mille
temps emplie de fraternité.
Je
conversais avec eux quand m'a fait signe, à l'extérieur, un
monsieur d'une bonne cinquantaine d'années, qui me montrait le ciel,
puis sa main dans lequel vivotaient quelques pièces, puis le ciel,
puis le froid, puis sa main. On se souriait. Et là, quand je me suis
levé pour sortir, quand j'ai pris dans mon porte-monnaie quelque
chose à lui apporter, j'ai vu qu'il se mettait à pleurer.
Je me
suis approché, les larmes coulaient de plus belle, des merci
et des c'est
dur s'échappaient
maladroitement de ses lèvres. Et moi devant lui, comme un con, en
t-shirt alors qu'il devait faire zéro degré, à continuer de lui
sourire, à ne rien trouver d'autre à murmurer que courage,
à ne pas savoir quoi faire d'autre que lui mettre ma paume sur
l'épaule.
Lui
ne me montrait plus le ciel, ni ses mains, il laissait juste son
désespoir esquisser de fins ruisseaux dans sa barbe fournie.
Il
m'a dit de rentrer, que j'allais attraper froid. Il a mis sa main sur
son coeur. Il est parti, dans la nuit, vers un ailleurs proche
tellement lointain du mien.
Il
est parti, dans la nuit, laissant dans ma poitrine le vent tendre et
violent qui soufflait si mal sur ses blessures d'éternel errant.
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