katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

jeudi, juillet 14, 2011

des âmes de bleu repues








Un des endroits où je me suis senti le mieux, en Tunisie : le cimetière marin de Mahdia. Quand j'ai montré à la musaraigne quelques photos que j'en avais pris, elle m'a dit : « Ah mais c'est un cimetière, en fait ! » Diantre, qu'est-ce que tu croyais donc que c'était ?!? Elle avait imaginé un truc genre cimetière d'éléphants, mais pour des bateaux ; un lieu leur permettant de sombrer tranquillement quand ils se sentiraient en bout de course. Les pêcheurs les accompagneraient, le regard humide, dans la main un bouquet de jasmin pour les bénir par ce jour sans lendemain.



Eh bien non, il s'agit de pierres blanches, éparses, sur une colline surplombant la mer ; une route les traverse ; un petit port et un terrain de foot y dessinent deux charmants carreaux. Subsistent également, pratiquement dans l'eau, des ruines d'une ancienne fortification édifiée par les Fatimides. Surveillant cela, un phare cligne de l'oeil aux marcheurs déambulant parmi ce parterre d'âmes de bleu repues.



Ayant tourné la page d'outre-méditerranée 2011, je suis arrivé à Genève le jour des puces de Plainpalais, estimant qu'il serait tout à fait bienvenu d'y faire un saut. N'ayant pas opté pour l'itinéraire le plus direct, je me suis retrouvé au cimetière de Plainpalais. Du vert partout, des arbres et des buissons qui sifflotent un air apaisant. On y trouve bien quelques tombes, mais elles sont presque anecdotiques. J'ai appris depuis que j'étais au « Cimetière des Rois », ou « Panthéon genevois », excusez du peu. Il n'y a donc que des personnes illustres qui sont enterrées ici.



Petite anecdote sympathique : quand il a été créé, à la fin du XVème siècle, il était destiné à accueillir les pestiférés. Depuis lors, l'Histoire a modifié les contours de la ville, et du coup repensé les modalités de ce carré.



Borges y est enterré, mais je n'ai pas vu sa sépulture ; pas davantage le buste de Musil, fraîchement érigé en l'honneur de l'écrivain autrichien, décédé dans la ville de Calvin (monsieur repose aussi ici, évidemment) sans le sou et sans avoir pu achever son « Homme sans qualités ». Mes manquements étaient sans doute le fait d'une autre curiosité enjouée : j'étais trop occupé à regarder se dérouler l'imagination d'une petite fille, venue ici avec sa maman pour profiter de la verdure et de la fraîcheur qui s'étalaient.



J'ai quand même vu la tombe de Léon Nicole (« Tout par le peuple Tout pour le peuple » en guise d'épitaphe ; vous imaginez cela sur celle d'un des prochains candidats socialistes à la présidentielle, en France ?!? Vous pensez que DSK a cette formule en tête quand il propose à quelqu'un de lui faire voir son koala?!? ) et celle de Grisélidis Réal, sur laquelle il est écrit: écrivain – peintre – prostituée. Un peu plus d'un mois avant de fermer les yeux pour la dernière fois, elle avait écrit ce poème :



Mort d'une Putain

A Gabrielle Partenza
A toutes,
A nous autres

« Enterrez-moi nue
Comme je suis venue
Au monde hors du ventre
De ma mère inconnue

Enterrez-moi droite
Sans argent sans vêtements
Sans bijoux sans fioritures
Sans fard sans ornement
Sans voile sans bague sans rien
Sans collier ni boucles d'or fin
Sans rouge à lèvres ni noir aux yeux

De mon regard fermé
Je veux voir le monde décroître
Les étoiles le soleil tomber
La nuit se répandre à sa source
Et m'ensevelir dans sa bouche
Muette la dernière couche
Où m'étendre enfin solitaire
Comme un diamant gorgé de terre

Me reposer dormir enfin
Dormir dormir dormir dormir
Sans plus jamais penser à rien
Mourir mourir mourir mourir
Pour te rejoindre enfin ma mère

Et retrouver dans ton sourire
L'innocence qui m'a manqué
Toute une vie à te chercher
Te trouver pour pouvoir te perdre
Et te dire que je t'aimais »



Ecrivain – Peintre – Prostituée. Cela a pas mal jasé quand la ville a accepté d'enterrer la dame ici. Ecrivain – Peintre – Prostituée. Je ne sais pas si elle aurait choisi d'être résumée ainsi, d'être figée dans cet ordre-ci.



Au moment où j'écrivais ceci, la musaraigne m'a montré sa carte d'identité française en riant. Après « Signes particuliers », il y est inscrit : « Néant. » On a eu fait plus flatteur.



« On dirait que, quand on est sur la terrasse, le ciel est plus grand », a-t-elle ajouté. Je suis sorti vérifié. Vu leur entrain, je peux affirmer que les hirondelles n'en pensaient pas moins.



Quant à moi, ce que j'en dis, c'est que je suis très content d'être là. Et au risque de me répéter et de changer complètement de sujet, j'ai toujours autant de plaisir à lire Foglia, qui sévit ces temps sur le Tour de France ; enfin pas tout à fait, puisqu'il se considère en vacances. Ses écrits n'en sont que plus jouissifs. Cet extrait de Lorand Gaspar, découpé dans ses « Feuilles d'observation », résume bien ce qui est en jeu dans les écrits du chroniqueur ronchon et déjanté :



« Ce qui fait la vigueur d'une « écriture » c'est l'incarnation d'une langue, chose générale, dans une existence particulière, l'appropriation des signes communs par l'intensité d'un désir. Cette irrigation de l'universel inerte par le mouvement d'une vie, c'est bien ce qui permet tous les jours et à chaque instant à une langue de vivre. Mais à de rares moments le particulier et le général se composent dans un rapport si juste que nous dressons l'oreille. »



En allant au Jura pour amener les affaires d'Anne, puisque Lisbonne bientôt nous revoilà, nous sommes passés saluer ma grand-mère à Champagne. En tchatchant un chouilla, elle m'a confirmé ce dont je m'étais douté en lisant le Journal de Gustave Roud, à savoir que ce dernier était très copain avec un des cousins de ma mère-grand, décédé il y a peu, à pratiquement cent ans. Quant à Chappaz, qui a écrit que quand il se demandait parfois pour qui il écrivait, sa réponse était : pour Roud, eh bien mon grand-père l'a côtoyé lors de la construction du barrage de la Grande Dixence.



Ces proximités m'émoustillent malgré le glissement de terrain des années.



Pour goûter à la fraîcheur du Doubs, nous avons traversé Les enfers, sans grand dommage ; puis nous avons regagné Delémont, où nous avons été accueillis par des grêlons géants. Le lendemain, quand ces agresseurs givrés n'étaient plus qu'un souvenir confus et diffus, nous sommes allés nous promener.


Au bord de la Sorne, il y a une inscription indiquant que son cours a été modifié entre 1919 et 1923, par des chômeurs employé par la ville pendant une période difficile. Je regardais ce bel ouvrage, réalisé grâce aux deniers de l'état, en pensant aux coupes dans les dépenses publiques exigées un peu partout pour engrosser FMI et consorts. Cela étant décrit comme la seule solution par les médias dominants. Devant sa télé, on apprend à acquiescer tête baissée. De sacrées sornettes que ces néo-libéralités.



Lagarde, lors de son intronisation, n'a eu de cesse de parler de « gouvernance mondiale » ; à quoi nous allons nous faire le plaisir d'opposer d'impertinentes gouvernantes régionales.



L'échelle humaine, celle qui permet de cueillir des cerises, est assurément moins carnassières que celle que certains aimeraient ériger entre eux et une éternité monnayée.



Les chrétiens pensent que Dieu est dans le ciel, établissant ainsi un rapport particulier à la verticalité ; les musulmans estiment qu'il est insituable, puisque partout.



Pour ma part, j'aime la manière dont son absence souffle dans les cimetières et dans les arbres.


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1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

J'imagine Georgy en train de deviser avec Monsieur Chapatte, comme quoi, une fois de plus, je ne crois plus vraiment aux coïncidences, c'est tout à fait par hasard qu'on a discuté de cela chez Béatrice...
Par contre, j'ignorais que nous avions aussi des "accointances" avec Monsieur Roux, maman ne m'en avait jamais parlé, il est vrai que nous ne partageons pas grand chose, à mon plus grand regret...

Une fois de plus, un grand bravo pour tes photos qui magnifient à chaque fois tes textes, ainsi qu'aux sons que tu me fais découvrir, moi qui n'écoute presque plus que des talents disparus...

Clé

17 juillet, 2011 09:16  

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