katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, octobre 21, 2009

dans le bref soupir de silence entre un mot et un autre







Ne pouvant pas imaginer quitter la Corrèze sans m’être rendu dans la librairie « Préférence », où rayonne Pierre Landry, j’avais demandé à Cyrille de me déposer à Uzerche, petite ville se situant sur la ligne Brive - Limoges, avant d’embaucher.

Il y a une naïveté suisse, une habitude de privilégié, qui me dessine parfois une moue de dépit quand je suis chez notre grand voisin français, en province, loin des « grandes villes »: la désolation sanctionnant celui qui a envie de s’en remettre aux transports publics.

Arrivé sur place à 8h30, j’apprenais que la prochaine et seule correspondance pour Tulle prendrait la forme d’un bus, départ aux environs de 13h30.

Joie et bonheur.

Cyrille m’a souri: « T’as un pouce? T’as un morceau de carton? Je vais t’amener à la sortie de la ville, tu verras, ça va le faire, il y a plein de monde qui va à Tulle. »

Yeah my man.

Seul détail de l’histoire pouvant se muer en inconvénient : ma barbe, qui avait depuis longtemps pulvérisé son propre record de longévité; c’était un sourire « touffu » que j’allais présenter aux automobilistes.

Un type bossant dans le maraîchage bio et un couple de retraités plus tard, mes doutes quant à mon potentiel d’auto-stoppeur chanceux étaient dissipés; il était 9h30, je posais le pied à Tulle, un petit marché sympathique me déroulait le tapis vert le long du quai.

« Eh bien cela n’a pas été une mince affaire pour arriver chez vous! »

« Ah non?!? Assoyez-vous donc, je vais vous préparer un petit café pour que vous me racontiez ça. »

En un regard, une main sur l’épaule, je voyais s’incarner ce que j’avais deviné depuis que j’avais entendu parler du personnage: chaleur et envie de partage.

Nous avons peu parlé de livres, durant la matinée; après lui avoir conté une partie de mes aventures, après lui avoir expliqué comment je le connaissais, j’ai pris le temps de me laisser transporter par ses étagères pendant qu’il discutait avec des représentants de passage.

« Un ami suisse », c’est ainsi qu’il m’a introduit auprès des personnes qui entraient dans ce lieu fabuleux; j’étais là depuis moins d’une heure.

A midi, alors qu’il mangeait en charmante compagnie, je suis allé visiter la bourgade; je me suis vite retrouvé au cimetière, assis près de la chapelle qui surplombe les lieux. « La vitesse des choses » de Rodrigo Fresan, que j’avais glissé dans ma besace, n’y était sans doute pas pour rien.

« Je m’explique: quand on croit que tout est fini, les morts continuent de vivre dans les endroits les plus insoupçonnés, presque toujours très proches. Dans le bref soupir de silences entre un mot et un autre, par exemple. »

Si passer près de tombes de déportés ou de résistants ne me laisse jamais indifférent, c’est autre chose qui m’a remué, ce jour-là : un papier déposé sur de nombreuses sépultures en piteux état:

« Le propriétaire de la concession ou les membres de la famille sont priés de s’adresser au gardien. »

Des frissons jouaient à cache-cache dans mon corps, je revoyais les tombes de Champagne « retournées » parce que le « forfait » n’avait pas été prolongé.

Vous reposerez en paix ; enfin en tout cas 15 ans, après cela dépendra des finances des poursuivants directs de votre lignée.

Cette phrase est revenue me questionner quand je me suis glissé dans le cimetière de Montparnasse, rutilant, où tout un chacun déambule par intérêt « touristique », téléphone portable collé à l’oreille.

Pour me réconforter, j’ai laissé s’imposer à mon esprit le souvenir de celui situé au bord de la mer, à Mahdia ; innombrables pierres blanches anonymes surplombant et entourant un minuscule port rempli de barques bariolées. Pas loin de là, il y a le café sculpté dans une paroi rocheuse où nous sommes allés si souvent pendant les vacances d’été.

C’est là-bas que j’établirai mon bureau imaginaire, quand j’écrirai ma véritable « naissance tunisienne » ; quand je ferai en sorte que le lien « en puissance » qui me lie à la terre de mon père devienne, vraiment, une part de mon essence.

« Le propriétaire de la concession ou les membres de la famille sont priés de s’adresser au gardien. »

Qu’est-ce qu’il est censé faire, alors, le gardien ? Il le(s) sermonne en tendant un bulletin de versement ? Il lui (leur) demande s’il(s) serai(en)t content(s) de voir sa (leurs) tombe(s) dans cet état, après quelques années ? Il débouche une bouteille de Whiskey ? Il signale cette autre formulation « officielle » où grotesque et gravité se bousculent : « En cas de tempête ce jardin sera évacué » ?


« Rappelez-vous que ceci est peut-être l’histoire d’une cicatrice. Ou peut-être pas. En tout cas, il n’est pas très sage d’exiger d’une cicatrice qu’elle soit disciplinée ou excessivement cohérente.

Les couteaux sont là pour ça. »


Fresan, de nouveau.

Puis je suis retourné dans la librairie, j’y ai bu un café en trois heures, du moins c’est l’impression que j’ai eue ; tout à coup, il était 16h, je devais aller retrouver Cyrille et Marion.

Livres et pensées avaient une fois de plus détraqué le temps.

« Tu m’écriras, je te répondrai, sois-en certain. Merci de t’être donné la peine de venir me trouver. »

Yeah my man.

Alors je m’en suis allé, j’étais un peu « à côté », plaisamment « à côté » ; déconnecté, mais confirmé.

Sa voix reviendra souvent, je l’entendrai me dire que tel livre doit être lu extrêmement lentement, la première fois ; les relectures, c’est autre chose, on y voit mieux, différemment. Mais la première lecture. Je l’entendrai me dire qu’il regrettera toujours de n’avoir pas lu, pas su lire « Guerre et paix » à 15 ans.

Les premières lignes de « Pour Sganarelle » (ce ne serait pas Gary qui a écrit ça ?) se superposeront aux paroles de Pierre Landry : « parce qu’autant commencer par Tolstoï, puisqu’il faut bien commencer quelque part » ; je reproduis de tête, les puristes me passeront cette licence.

Alors je m’en suis allé, j’étais un peu « à côté », plaisamment « à côté » ; déconnecté, mais confirmé.

Depuis une semaine, je suis parti des environs de Lubersac pour rejoindre Paris, où s’épuise ma douce. Il a fallu d’abord se séparer avec peine de Marion, Cyrille et Mila – photo à l’appui, dès trois mois, on peut faire comprendre à un petit comment s’affirmer haut et fort, sans pleurer ; « tonton Karim », pas peu fier avec la petite révolutionnaire -, j’ai fait le trajet avec un militaire fraîchement retraité, parcours où les discussions ont pris leurs aises entre Histoire, voyages et livres ; le monsieur a travaillé à Berlin de 89 à 91, du décès de Rudolf Hess à la réunification des deux Allemagnes, voilà qui n’est pas anodin.

Une amie de Manel nous a mis à disposition une charmante petite chambre de bonne, non loin des Jardins du Luxembourg ; je suis donc irrésistiblement attiré par les bouquinistes ; pôles puissants qui m’ont mis entre les mains les « fragments verticaux » de Roberto Juarroz ; en une phrase, le poète argentin concentre ce que je tente de dire, laborieusement, à chaque fois que je m’époumone par écrit :

« Penser entre deux, comme si faire la pensée fût pareil à faire l’amour. »

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2 Comments:

Blogger Ondine said...

Étrange émotion à cette lecture d'une histoire dont je connaissais déjà la trame mais qui prend une densité autre, exprimée comme ça... comme une relecture, en fait, que j'ai pu lire plus lentement que la première (M. Landry me pardonnera sans doute).

23 octobre, 2009 14:38  
Anonymous IsaBercée said...

Bonsoir Karim
Je fais regarder cette page de photos si belles & touchantes...Vraiment c'est troublant.
Jspr que tu vas bien et viens des que tu peu..assez bleu..en ce moment....
Bisous ami poète
xxxBercée

12 novembre, 2009 22:35  

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