Une amie m'a envoyé une photo de la vitrine d'une bibliothèque, à Faro, qui rendait hommage au poète Antonio Ramos Rosa, décédé à l'automne 2013.
Je me suis alors souvenu d'un texte de José Tolentino Mendonça, le prêtre-poète qui avait pris la parole lors de la cérémonie d'adieux.
J'ai cherché dans mes fichiers, l'ai retrouvé, ai eu envie de le traduire.
Le voici:
"J'ai
entendu une douzaine de fois le poète Tonino Guerra citer le vers
d'un moine médiéval : « Il est nécessaire d'aller
au-delà de la banale perfection ». C'est cela même : la
perfection peut encore être un chemin que nous frayons par la
surface ou constituer une illusion qui nous empêche d'accéder au
véritable et paradoxal état de la vie. Nous mettons tellement de
temps jusqu'à perdre la manie des choses parfaites, jusqu'à nous
occuper de l'impulsion qui nous exile dans l'apparent confort des
idéalisations, ou jusqu'à parvenir finalement à bout du vice de superposer
à la réalité un cortège d'images fausses. « Il est
nécessaire d'aller au-delà de la banale perfection ».
Je
me souviens d'un film de Nanni Moretti, je crois que c'est « La
chambre du fils », dans lequel un personnage, vivant un deuil
difficile, se met à ranger dans l'armoire les tasses de thé. Il
comprend alors qu'une a un côté cassé. Il tente de dissimuler le
fait en rendant visible juste le côté intacte. Mais il sait qu'à
cette tasse manque quelque chose. Cette tasse est le symbole de sa
vie, de notre vie, que lui et nous devons accepter et redécouvrir
continuellement. Accueillir ceci est une condition nécessaire en
amour et en amitié, dans le vivre ordinaire et dans la maturité
personnelle qu'il nous faut gagner.
Il
y a ce refrain de Samuel Beckett qui, si nous savons l'entendre,
déploie sur nos embarras une grande lumière. Il dit ainsi :
« Rater, rater encore, rater mieux ». Qu'est-ce que c'est
rater mieux ? C'est savoir que, au fond, nous ratons toujours.
C'est ainsi: la perfection nous la trouvons dans les catalogues, mais
pas dans nos gestes ou en nous-mêmes. Le plus sensé est même
d'adopter l'humble sagesse de qui cherche consciencieusement le
meilleur, mais sait que son meilleur restera encore en-deçà. Ce que
nous pouvons apprendre, donc, c'est à semer, dans un travail de
confiance, de lâcher prise et de simplicité chaque fois plus grand.
Jung écrivait : « L'important ce n'est pas d'être
parfait, mais d'être entier ». Et pour nous, qu'est-ce qui est
réellement important ?
Pendant
des années, j'ai eu à la maison l'affiche d'une pièce de théâtre
pour enfant d'un grand auteur italien. Pour savoir parler aux enfants
comme il le fait, on comprend qu'il convient d'être équipé non
seulement d'une habileté énorme mais d'une espérance affectueuse.
Les enfants savent bien distinguer qui leur parle pour les divertir
ou qui veut réellement leur communiquer une vérité du cœur. Cet auteur, appelé Gianni Rodari, est ainsi. Pendant des années, j'ai eu
une de ses affiches avec cette phrase : « en se trompant
on invente aussi ». Regarder cette phrase me transmettait le
courage et la légèreté dont j'avais besoin.
La
perfection nous dépose devant la réalité comme s'il était
question d'un fait consumé : si on y arrivait alors bouger,
intervenir, retoucher ou changer, nous sentirions ceci comme une
perturbation. Cette perfection est statique. Elle existe pour être
admirée ... à distance. L'imperfection, par contre (et je pense
aussi à celle que nous identifions dans notre vie intérieure), est
une histoire encore ouverte, qui compte activement sur nous. Dans
l'imperfection il est toujours possible de commencer ou recommencer.
L'imperfection nous permet de comprendre la singularité, la
diversité, l'impact réel du passage du temps, la trace de ses
vestiges. L'imperfection nous humanise."
2 Comments:
"Dans l'imperfection il est toujours possible de commencer ou recommencer."
Je ne me souviens plus ou j'ai lu ça, mais R. Gary n'essayait jamais de retravailler ses manuscrits pour les amener à la perfection, et même, quand on lui soulignait les imperfections ou répétitions d'un de ses textes, il laissait passer, comme s'il souhaitait demeurer près (de la perfection, du chef-d'oeuvre) sans jamais même essayer de l'atteindre.
Benoit
Gary recommençait certains de ses livres, leurrant même ses éditeurs
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