katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, juillet 24, 2009

Je est impondérable








Sept heures de voiture qui s’apparentent à un bon film, avec au final l’envie que le road trip ne s’arrête pas, il n’en faut pas beaucoup plus pour sentir combien le quotidien peut être éclatant lorsque une part d’improvisation s’en mêle.

Au volant un jongleur français naviguant dans toute l’Europe, jongleur « par défaut » parce qu’il était doué pour cela et que la vie de nomade l’a toujours titillé ; à ses côtés un Camerounais aveugle, étudiant à Sciences-po, débordant de vitalité, décortiquant le monde avec le sourire en s’appuyant aussi bien sur des notions d’anthropologie ou de sociologie que de
management ; à ma droite un artiste Burkinabé slalomant entre peinture, musique et toutes les activités socioculturelles permettant de créer du lien et de l’écoute ; à ma gauche mon petit miracle, une Tunisienne, fraîchement diplômée en architecture après des mois de travail acharné à Paris, passionnée par les questionnements et les enjeux tournant autour des lieux de mémoire.

Est-ce que j’ai une gueule de lieu de mémoire ?

Montrez-voir votre profil. Ouvrez la bouche. Il y a quelque chose, oui, oui, il y a indéniablement quelque chose de cet ordre-là.

« Moi je remercie la chicote, non mais c’est vrai, si je n’avais pas eu peur de la chicote je n’aurais jamais réussi à apprendre autant de choses par cœur. »

Suit une récitation de la règle sur l’accord des participes passés qu’il a connue pendant des années sans la comprendre.

« Ce n’est que quand j’ai perdu la vue que j’ai commencé à aimer l’école et que je me suis rendu compte combien était importante cette capacité de mémorisation. Vive la chicote ! »

Je repense à Firyel, outrée à raison lorsque je lui ai dit que la dédicace des « Cerfs-volants » de Gary,
à la mémoire, est devenue à l’innocence dans l’adaptation pour la télévision.

« Pour la peine, c’est même carrément le contraire ! » s’était-elle exclamée.

Dans « La nuit sera calme », un livre d’entretiens dont on sait aujourd’hui qu’il a écrit questions et réponses, Gary commence en évoquant un souvenir d’école à Nice, il s’auto interpelle : tu avais déjà cette mémoire impressionnante.

Ne pas oublier, ne pas pouvoir oublier certaines choses, ou quand le devoir de mémoire devient, par moment, une chape de plomb se balançant en permanence au-dessus de la tête, empêchant l’apaisement d’affleurer ; « dépression nerveuse qui dure depuis que j’ai âge d’homme » dira Gary, encore, dans les derniers mots qu’il laissa pour la presse avant de glisser un pistolet dans sa bouche.



Arrêt. Des rails qui s'enchevêtrent puis s'effacent sous quelques touffes d'une végétation qui a repris le dessus; vraiment? Non, en fait, dans ces non-lieux, même le vert semble gris. Arrêt. Je ne sais pas ce qui était acheminé ici, je ne chercherai pas à le savoir. Même combat, quelle que soit l'industrie concernée, même combat à l'issue connue d'avance. Tous dans le même sac, on secoue un moment, on use le contenu, on lance le sac; on va construire, produire, ailleurs. Arrêt. Des friches comme refrains du monde contemporain. Entrepôts vides, délabrement avancé; peut-on encore parler d'entrepôts? Plus qu'une mémoire négligée qui hurle entres des peaux d'acier. Arrêt. Vitres brisées, portes fracassées; des déchets jonchent le sol, conchient encore davantage l'oubli; l'humaine Bêtise s'est donné la main. Arrêt. Endroits rendus fantômes par le rouleau compresseur économique; de la cabine du machiniste, sifflotant, une silhouette lance des anti-dépresseurs. Arrêt

Cadavre d'usine, abuseur moderne aujourd'hui désabusé.

C'est agréable de te lire, mais on se perd facilement, on cherche une cohérence, des liens; parfois en vain.

"Tu verras, le p'tit jeune assure grave quand il balance son slam!"

Deux dames de cinquante ans discutent au bar. Je lève la tête, me demandant si j'ai bien entendu. Oui, la réponse est oui. Des paroles traçant comme une fêlure dans le temps, un basculement des aiguilles. Le papy précoce que je suis réfléchis en écoutant les mamies défiant la notion de génération.

Etre jeune, être cool. Double impératif qui me divise, tristement drôle ou drôlement triste?

C'est agréable de te lire, mais on se perd facilement, on cherche une cohérence, des liens; parfois en vain.

C'est vrai, j'aime quand des bribes de réminiscences personnelles parviennent à prendre de l'ampleur en se déroulant ailleurs, même sans fil conducteur.

Entre publicité et new age, je me méfie de ceux qui veulent réduire la vie à des slogans; je n'aime pas les démonstrations qui flairent le parler fort et le coup de poing sur la table.

Je trouve dans certaines poésies une fraîcheur qui résiste à chaque lecture, qui demande au lecteur de participer au mouvement des mots; une invitation qui défie le mysticisme et le mystérieux pour lui préférer un important "mets-y du tien" qui préserve de tout endoctrinement.

La pensée est un mouvement perpétuel.

T’as pas quand même l’impression de sauter un peu du coq à l’âne, avec escale sur une loutre disjonctée, dans tes divagations ?

Tout à fait, j’adore avoir une ménagerie d’idées, dans ma caboche, je trouve cela plus vivant que les schémas organisationnels qui prétendent enterrer l’impondérable un peu partout.

Je est impondérable.


"Un poème sauve un jour.

Plusieurs poèmes pourront-ils
sauver la vie entière?
Ou suffit-il d'un seul?

Tout ce qui sauve
pose ce dilemme.
Le résoudre est la clé
du hasard de se sauver."


Roberto Juarroz,
Treizième poésie verticale, je dois la découverte de cet auteur à l'exergue du "Théorème d'Almodovar", livre fabuleux et déstabilisant d'Antoni Casas Ros.

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2 Comments:

Blogger Blue said...

"La pensée est un mouvement perpétuel."

La vie l'est aussi...
Je est inaltérable.

26 juillet, 2009 12:39  
Anonymous Janeczka said...

J'aime beaucoup les photos et l'atmosphere qui s'en degage. Tu as 'un bon oeil', autant dans tes ecrits que dans tes photos. Sympa de te revoir ici.

27 juillet, 2009 03:41  

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