Mort et Raison: mariage de déraison
« Au seuil de la pesanteur, le poète comme l’araignée construit sa route dans le ciel. En partie caché à lui-même, il apparaît aux autres, dans les rayons de sa ruse inouïe, mortellement visible. »
René Char, « Partage formel »
J’ai lu, hier, un livre dont la quatrième de couverture dit qu’il est « déjà considéré comme un classique de la littérature sur le deuil ». Il s’agit du récit de Joan Didon, « l’une des figures intellectuelles les plus respectées outre-Atlantique », sur les mois qui ont suivi la mort de son mari, écrivain également, John Gregory Dunne.
Je n’ai pas vraiment l’habitude de lire des témoignages, je trouve, pour ceux que j’ai lus (ce qui veut dire tout de même quelques uns puisque la deuxième femme de mon père en raffole) qu’il manque souvent le « petit truc » en plus qui permet à un écrivain de dépasser le simple exposé de la douleur pour en faire une expérience à même d’être véritablement partagée. Une plume qui confère à cette nécessité un élan qui évite au mal d’être enfermé sur lui-même. Voire même, pour les plus talentueux, de toucher « au plus juste » alors que tout sort de leur imagination.
Dans le cas présent, il y a une remarquable maîtrise d’écriture, dans l’agencement des faits, dans le rythme, dans la répétition savamment dosée de phrases « clés », mais ce qui m’a surtout frappé c’est l’exposé terrifiant du maladif besoin de comprendre qui a accompagné l’après. Une nécessité de cerner les raisons qui ont fait que, tout d’un coup, il y a eu perte de maîtrise. Avoir les bonnes coordonnées, disséquer les manuels de médecine n’a pas suffi, la vie, et donc la mort, échappe aux manuels. Ce qui est considéré comme injuste.
C’est également l’élément qui m’avait le plus troublé dans le « Philippe » de Camille Laurens, le fait de décortiquer rapports d’expertise et encyclopédies pour « comprendre ».
Ecrivant, Joan Didon interroge cette volonté de contrôle, démasquant en partie l’aspect fondamentalement tronqué de ce raisonnement. En partie, parce qu’elle ne réussit jamais à en sortir complètement.
Le contraste avec le livre terminé juste avant ma beaucoup interpellé. Il s'agissait de « Nahui » de Pino Cacucci. Une biographie romancée de Carmen Mondragon, alias Nahui Olin, artiste mexicaine née au début du vingtième siècle qui a participé, tant par ses excès que par ses revendications, à une des périodes les plus significatives de la culture contemporaine.
Je vous laisse sur un des passages qui clôt ces pages débordant de folie géniale :
« Tout a une fin mais nous autres Mexicains, nous en sommes davantage conscients, voilà pourquoi nous vivons avec davantage d’intensité tandis que les autres survivent dans la peur de mourir, nous savourons le cadeau d’une journée, d’un instant et demain n’existe pas, la vie c’est ici et maintenant, demain qui sait ? On dit que nous sommes épris de la mort, mais ce n’est pas vrai : nous la respectons, et le respect fait partie de l’amour … mais ne l’épuise pas. […]. Nous ne rions pas de la mort, nous rions avec elle. »
Libellés : Littérature
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