« Dors, ou fais semblant de dormir, mais tais-toi, sinon tu serais capable de lui demander ce qu’il fuit et il faudrait alors expliquer des choses que tu n’as pas encore la force de comprendre. Car, vois-tu, on fuit toujours les mêmes choses : les espoirs non réalisés, la banqueroute d’un amour malheureux que plus rien ne nourrit, le quotidien que tu as mis toi-même en place en attendant de construire une prison confortable avec vue sur le mur du voisin, et tout cela payé au prix fort, en temps de vie. On fuit – et c’est ce qu’il y a de plus difficile à expliquer alors que tu viens à peine de finir tes études et que le monde entier t’appartient – on fuit le talent dilapidé. »
Voilà un livre qui fait partie de ces petites accolades du destin dont il semble impossible de se lasser.
Lorsque je suis sorti du cinéma après « Into the wild », à deux doigts, ou plutôt à deux bras, de me lancer dans la traversée du lac avec mon sac sur le dos, je me demandais quel livre allait bien pouvoir me remplir autant que ces minutes de vitalité totale que je venais de recevoir en plein cœur.
Puis, le lendemain, traînant sous une pile d’arrivages, je devine un ouvrage de chez Verdier, maison d’édition que j’aime beaucoup, ne serait-ce que pour nous avoir offert quelques livres de Michèle Desbordes, notamment « L’emprise », dont le point final a été mis quelques minutes avant de se donner la mort. Un élément primordial, qui confère une dimension encore plus éblouissante à ces pages. Je l’ai appris en lisant « Sa dernière journée », de Jacques Lederer.
Mais reprenons.
Un livre chuchotait, je m’approche.
« Eloge des voyages insensés » de Vassili Golovanov.
« J’aurais dit : Mais pourquoi diable aller vite ? A quoi nous sert de gagner vingt-quatre heures si nous transformons trois jours de fête en deux jours de torture ?
Vers où et pourquoi nous hâtons-nous, capitaine ? Pourquoi, sur nos bateaux, la cloche ne sonne-t-elle plus l’heure, capitaine ?
Et pourquoi les théoriciens du progrès ne s’intéressent-ils qu’à la vitesse et non au merveilleux clapotis de l’eau sous les pales des lourdes roues accompagnant le mouvement du bateau à aubes ? C’est cela qu’on nous enlève, capitaine ! Comme on nous enlève la possibilité d’aspirer le vent frais sur le pont, d’enlacer la taille chaude d’une jeune passagère et la chance, le soir tombé, de faire, le soir venu, un tour de valse inattendu…
Cela ne revient-il pas à dire, capitaine, que le progrès nous a purement et simplement dépouillé ?
Notre dialogue imaginaire se prolonge depuis quelques années déjà. Dialogue précieux, essentiel. A mesure que les questions surgissent, je vous les pose, et quand il n’y a pas de réponse, je lis tout simplement à voix haute les pages préférées des livres qui toujours m’accompagnent. »
Depuis que je me suis glissé sous cette couverture orange, m’allongeant dans ce lit de prose, rêvant avec le narrateur de L’Île dont il est imprégné, je n’ai pas envie d’arriver à la dernière page. Alors j’avance peu, je garde sous l’oreiller les quelques chapitres qui me restent. Je relis les paragraphes annotés.
Je ne suis pas subjugué, même si j’ai un peu l’impression de lire « Le mont analogue » de Daumal récrit par Pessoa, ce livre n’a rien d’exceptionnel, à proprement parler, mais, bercé par ces notes qui sentent le galetas de mon enfance, je me sens bien, incroyablement bien. Avec la sensation que ces lignes étaient déjà inscrites en moi.
« Qu’est-ce que je pensais donc trouver ici ?
Le mot : voilà la clef de toute cette histoire. Soit. Je trouverai donc le mot. Pour moi, le mot naît de la matérialité du monde, il me faut juste regarder et écouter, rien de plus. C’est pour cela que je viens me perdre ici, pour ressentir, sur ma peau, ce qui plus tard deviendra verbe. […]. Le don d’exprimer en silence l’émerveillement devant l’énigme du monde, ce don qui m’avait accompagné jusqu’au moment où je me suis posé les questions auxquelles je voulais des réponses précises, bien formulées. Ne les ayant pas obtenues, je me suis mis en quête, seul, ramassant les mots avec minutie, allant les débusquer avec un soin maniaque, mais sans jamais ou presque, trouver celui qui aurait l’absolue beauté d’une couleur, l’absolue justesse d’une ligne, l’absolue plénitude d’un dessin. Le verbe … comment dire … est mouvant. C’est ainsi. Comment être sûr que cette recherche vaille tous ces efforts ? Et pourtant il est impossible de ne pas chercher… »
Hier, en rentrant de St-Moritz avec Béatrice, endroit extraordinaire où se côtoient les splendeurs de ce monde et les flambeurs de l’autre monde (On a pas vu Poutine, Berlusconi ou super Sarko, mais leurs bâtards avatars. Et une des discothèques de la place s’appelle l’empereur. Véridique.), nous avons vécu un moment qui dépassait ce que le papier et la parole peuvent tenter de transmettre.
Nous avons traversé le col du Julier en début d’après-midi, le soleil sculptait des ombres de neige, faisait sourire le blanc et miroiter le bleu qui ne voulait rater cette fête pour rien au monde.
Les violons de Damien Rice (il vous suffit de cliquer quelque part à gauche de l’écran…) complétaient l’impression de déborder de vie et de bien-être.
Les mots d’Annie Leclerc me revenaient en mémoire : la perception est jouissance.
Libellés : Littérature, Pensées vagabondes
3 Comments:
babuzHere's a silly " Happy birthday" for the little wanderer I love
Ouaich mec...moi je vais pas avoir le temps de tout lire mais j'profite de mon passage sur ton blog pour te dire qu'effectivement Sean Penn est trop fort...et que j'ai failli faire mon sac a dos en rentrant du ciné...
J'en profite également pour te faire un bisous d'anus...
"Smack"
...voilà c'est fait...
Alors pas bisous d'anus de ma part, mais juste te souhaiter une bonne journée de train demain....ben oui, c'est con d'oublier sa brosse à dent à St Moritz...c pas la porte à côté pour aller la rechercher! Bon voyage!!!
Enregistrer un commentaire
<< Home