entre véhémence et cisèlement
Au seuil du corps.
Ces derniers temps, l’envie me reprend de donner forme aux voix qui m’ont offert leurs frémissements sur l’horizon du corps, sur les vagues qui souvent se dessinent à sa surface.
Ceci en grande partie par la grâce d’un lutin déguisé en musaraigne, ou l’inverse ; j’ai de la peine à savoir.
Revenant de St-Moritz avec Béatrice, nous avons écouté « Qui touche à mon corps je le tue » de Valentine Goby ; s’y entremêlent les propos d’une faiseuse d’anges, d’une femme avortée, d’un exécuteur et d’un narrateur ; texte dur, empreint d’une force qui va où le bât laisse de douloureuse traces ; il va aux interrogations essentielles, les malmenant, nous avec.
Le livre est construit autour de la condamnation à mort de Lucie L., pendant la deuxième guerre mondiale, dénoncée comme étant une faiseuse d’anges.
Le droit à l’avortement, une victoire des femmes qui ont dû se mettre en danger pendant des années, physiquement et socialement, est de nouveau menacé, depuis peu ; ici parce qu’on projette de ne plus rembourser cette pratique si une assurance complémentaire n’a pas été contractée, en France parce que différents hôpitaux ne peuvent plus répondre aux demandes, pour raisons budgétaires, compliquant l’accès à cette requête.
Combien de temps va-t-on continuer de regarder les acquis sociaux se noyer, restant les bras ballants tant que nos petits conforts personnels et moraux sont préservés ?
J’ai eu vent de cet appel par l’entremise du texte important de Bastien Cazals, intitulé « Je suis prof et je désobéis », je suis content de le faire figurer ici. Au seuil du corps. C’est Lucie L., qui dit n’avoir joui que deux fois, sans permettre qu’on entre en elle – seul son mari avait le droit, à lui, elle « prêtait » son corps -, elle a joui deux fois par le biais d’hommes qui sont restés « au seuil de son corps ». « Si j'arrive à sentir l'espace, un mètre plus loin que mes extrémités, alors je sens où je suis. […] : le corps n'est pas un corps seul, il est un corps en lien avec l'espace autour de lui, il est un corps en communication avec l'au-delà de ses limites. » Dixit le lutin, ou la musaraigne. C’était agréable de lire un miroitement aux couleurs de Gary, dans sa contribution à mon petit dossier corporalité. Je vais lui offrir « Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable », c’est décidé. Un mot, pendant l’écoute des pages de Valentine Goby, a résonné particulièrement fort : désencombrement. S’imposant à moi, il s’est mis à danser avec les paroles de Julian Rios, dans le Matricule du mois passé, qui insistaient sur la nécessité de se « défamiliariser ». Des opérations qui nous rappellent que nous sommes souvent « excédentaires » dans notre sédentarisme outrancier, dans notre envie de sécurités permanentes et de santé cybernétique ; le hasard n’a plus droit de cité que dans les loteries et autres machines à sous. Alors se débarrasser de ce qui entrave pour apprendre à sentir, à voir et à se voir dans son ressenti. Oui, reprenant le texte sur Béatrice, j’ai envie de retravailler aussi un de ceux qui s’y étaient greffés ; j’aimerais défricher le flot des confidences pour arriver au seuil de cette formulation de Zeno Bianu : « Où la chair de la voix deviendrait visible. »
Libellés : Pensées vagabondes, Photos
3 Comments:
Résistance .... pourquoi l'homme s'éloigne-t-il de son essence? Est-ce que lorsque nos vies sont trop simples, l'homme s'oublie-t-il ? Nous vivons dans une belle illusion où l'argent est le roi .... où est l'homme et les valeurs qui nous unissaient? Est-ce que tout a disparu en moins d'un siècle ?
Beaucoup de questions qui tournent encore et encore dans ma tête ....
merci pour ce partage.
Bisous
Lise
"« Où la chair de la voix deviendrait visible. »"
Impossible de ne pas penser à Paedophilia d'Annie Leclerc, mais dans le sens inverse: comment le corps est tenu à distance, au-delà de ses limites, quand il devient outil de l'agression d'un autre. Comment alors donner chair à la voix qui n'a plus de mots?
Texte terrible et magnifique.
Benoit
RESPIRATION
Désencombrer la jouissance
Comme une averse de limpidité
Un ouragan de transparence
Pur volcan d'évanescence
Dont les laves tranquilles
Reposent en souriant
Au confluent des tempêtes
Intempérie immémoriale
Qui s'amplifie d'elle-même
Sans jamais remuer un cil
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