katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, janvier 08, 2010

une perspective poétique










« […]

Et dans le bec des oiseaux des brindilles qui annoncent des alphabets. »


Quand le film se terminait, je me glissais dans mon short, je me chaussais à l’extérieur, je traversais la pinède pour la rejoindre : la mer, me concernant, ne s’impatiente jamais, ni ne me fait de reproches. Il n’y a guère qu’elle et Raoul pour m’accorder cette faveur. Je leur rends cet amour comme je peux. Avec ferveur. Mais pas assez.


J’ai passé trois semaines entre Narbonne et Perpignan, avec ma très chère maman, des heures à nous bercer de livres, de promenades, de discussions et de DVD. La parcelle de méditerranée qui nous berçait a connu d’inégales agitations. Un des jours où elle « brassait » le plus, il n’y avait pas un souffle, le vent batifolait ailleurs. J’avais constaté ceci pendant mon pas de course. Comme le crépuscule pointait, j’avais accéléré pour proposer à ma maman de venir profiter de cette incongruité. Nous étions retournés ensemble sur la jetée, nous avions laissé les vagues enlacer le sable de nos âmes, sans détruire les châteaux cathares déjà bâtis grâce à lui.


Un matin, j’ai ouvert les yeux au moment où, dans mon sommeil, je me disais que j’aurais voulu dormir sereinement, mais que je n’y arrivais pas, comme si la nuit incarnait toute l’insécurité du monde. C’était exactement la formulation, entre rêve et réveil, à l’instant précis où les deux se confondent : « comme si la nuit incarnait toute l’insécurité du monde ».


Je ne sais pas si j’étais dans ma tête. Je dors tellement bien, m’endors tellement vite. C’est étrange.


Je vais quand même proposer à Morphée d’installer une vidéosurveillance.


Il me semble que l’outrage langagier va jusqu’à dire vidéo-protection, parfois.


Ou quand le pathétique de l’époque entache le vocabulaire.


Quand le film se terminait, je me glissais dans mon short, je me chaussais à l’extérieur, je traversais la pinède pour la rejoindre : la mer, me concernant, ne s’impatiente jamais, ni ne me fait de reproches.


Un jour, la séance s’étant acheevée un peu plus tard, mes foulées s’étaient accordées à l’obscurité.


Plage déserte, goélands silencieux ; énormes vibrations en moi, bonheur intense de l’instant dans l’éclat de sa nudité.


Moi : rien ; dans cette aire en plein air : tout.


L’infiniment petit qui jouit de se sentir dans un absolu indéfini.


Indétermination salutaire: j’ai une foi énorme. LA foi ? Connais pas.


Une de mes découvertes de fin d’année, grâce à une petite librairie narbonnaise : Antonella Anedda. « Et dans le bec des oiseaux des brindilles qui annoncent des alphabets. », c’est elle.


Je n’achète presque plus que de la poésie. Je suis heureux de soutenir tant que faire se peut cette pratique si contraire à l’époque. Une antynomie du XXIème siècle, la poésie. Elle est lente, contre-productive ; d’aucuns ajouteraient inutile et inefficace, ce que je ne peux ; elle m’aide à respirer bien trop puissamment pour me permettre de lui faire un tel affront.


« Supporte tes pensées dans l’ombre épaisse


Pour qu’elles avancent en cohortes de mémoire. »


Port-Leucate et Le Barcarès - nous étions tapis au milieu - ne sont pas des endroits charmants ; leur configuration, en grande partie des sortes de HLM construits pour accueillir un maximum de gens quelques mois dans l’année, explique le pourquoi du comment.


En hiver, la multitude absente confère aux barres d’immeubles une dimension qui oscille entre sinistre et ridicule.


Par contre, le reste, le cadre privilégié, prend sa vraie dimension. Du coup, la petite maison de mon oncle, située dans « Le hameau des pêcheurs » - le nom est déjà plus plaisant que celui des autres lotissements : Dallas, Hawaï,… -, permet de jouir de la mer et, si l’on effectue une rotation, de la vue, notamment des massifs montagneux, quelques uns ornementés d’éoliennes, qui trônent au loin.


Depuis que j’ai écouté Nedim Gürsel parler de son dernier roman, « Les filles d’Allah » – sache que je vais te le piquer, sœurette -, je pense à lui à chaque fois que je contemple les montagnes. Un des personnages de son livre est un petit garçon qui les regarde chaque matin, les montagnes, histoire de voir si elles ne sont pas en train de « se mettre en marche », pour annoncer la fin du monde telle qu’elle figure dans le Coran ; un passage répété chaque vendredi par l’Imam.


Cet ouvrage, selon son auteur, interroge non seulement la foi, mais pousse à s’en défaire.


On pourrait proposer aux chantres de l’UDC de le distribuer à la sortie des mosquées.


L’exhorte de l’archange Gabriel à Mohammed n’était d’ailleurs pas autre :


« Lis ! »


André Agassi vient de sortir une autobiographie. Il a accordé un grand entretien au quotidien « L’Equipe », il y explique qu’il a mis trois ans pour la rédiger, que cela lui a semblé être une fabuleuse thérapie, qu’il a appris beaucoup sur lui, ce faisant.


« Cela vous a donné envie d’écrire d’autres choses ? »


« Non, cela m’a donné envie de lire plus. »


Laferrière, à son neveu qui lui demande quels exercices faire pour améliorer son écriture :


« Il vaut toujours mieux lire. »


Parmi les hauteurs qui se déroulent à l’horizon, il y a un sommet qui m’intriguait particulièrement, depuis le premier jour ; un peu de neige tentait difficilement de s’accrocher à son extrêmité, les nuages venaient souvent le courtiser.


Le Mont-Canigou.


Nous sommes allés l’admirer de plus près, avec Caroline, Luca et Raphu, pour marquer le début de 2010. Nous avons franchi en voiture le col qui est juste avant, quand on vient depuis le littoral, nous lui avons caressé le menton.


Il n’a pas bronché.


Deux jours plus tard, nous avons repris la route pour la Suisse avec ma maman. La joyeuse bande avait levé le camp avant nous. C’est un message de Raphu qui m’a appris la nouvelle.


Lhasa de Sela ne montera plus sur scène.


Elle ne m’avait jamais semblé tout-à-fait vivante, elle ne sera jamais entièrement morte.


Elle danse à présent avec les fantômes qui voltigeaient dans sa voix et son regard.


« Bientôt cet espace sera trop petit ».


Les trois fois où elle m’a subjugué, en concert, elle a terminé avec cette chanson.


Elle y murmure que la poussière dira ce que sa chair ne disait pas.


Saurons-nous l’entendre ?



Je suis de retour à Fribourg pour de nouvelles aventures avec Béatrice. Hier, je suis allé à la bibliothèque, j’ai emprunté le dernier livre de Maurice Chappaz, « La pipe qui prie et fume ». La mort de ce dernier n’a apparemment pas bousculé beaucoup plus la curiosité au seuil de la poésie. Ce bel ouvrage attendait d’être ouvert depuis plus d’une année. Je vais le plier et l’annoter pour lui rendre justice.


« Depuis ici je crois entendre Dieu ou le chat qui miaule.


Un chuchotis insinue dans ma pipe les trois demandes (Qui sommes-nous ? – D’où venons-nous ? – Où allons-nous ?) qui s’envolent en même temps.


J’écoute les vieilles montagnes sombres. L’insaisissable nuit se promène.


Une étoile se fixe et s’argente au milieu du ciel à l’entrée de ma porte. »


Alors que je feuilletais différents journaux et revues, j’ai croisé cette interrogation : « Existe-t-il encore une perspective pour l’homme ? ».


Elle me trottait dans la tête alors que je courais près de la chapelle de la Lorette, enivré par le panorama unique qu’offre la vieille ville de Fribourg.


J’écoutais la réponse que murmurait des bribes de lumière sur de petits îlots neigeux.


La réponse ne venait pas de Copenhague, pas des innombrables listes dressées pour marquer la fin de la première décennie du troisième millénaire, pas du taux de chômage.


Non, elle s’accordait au souffle rauque et indocile de Chappaz :


« Je l’écoute avec ce qui se cache en moi. »

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2 Comments:

Blogger Ondine said...

J'ai pensé à toi très fort, là-bas, quand j'ai été foudroyée par le décès de Lhasa... et n'ai pas osé être celle qui te l'annoncerait. D'autres y ont veillé pour moi.
Bisous.

10 janvier, 2010 20:54  
Anonymous Stivo said...

Merci beaucoup pour votre post qui mentionne Chappaz. Vous lui rendez vraiment justice.

14 janvier, 2010 01:23  

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