tricoter le chandail de la vie
Séjournant du côté de Montreuil, je suis passé voir, en me doutant bien du résultat de cette inspection, s'il y avait encore des Roms sur une friche où j'avais eu plaisir à en découvrir, il y a de cela environ une année. Pas même la silhouette d'un mégot ne m'a accueilli. Et vu la hauteur de la végétation, l'interdiction d'y séjourner ne date pas d'hier.
Jouxtant la place du marché en chantier, le bâtiment squatté jusqu'à l'été dernier n'est plus non plus.
Un vent de disparition s'entortille dans mes oreilles, il y souffle un refrain où une trop certaine idée du vivre ensemble m'indispose grandement.
Sur une place toute proche, un monument, d'une laideurs confondante, en hommage aux Résistants. Des vers d'Eluard sont inscrits sur son socle: « Si l'écho de leur voix faiblit, nous périrons. » J'ai lu ceci en pensant combien leurs acquis sont laminés l'un après l'autre par le Medef, entre autres philanthropes avertis.
Petit soulagement, aujourd'hui, en apprenant que vient d'être lancé un appel par des « économistes atterrés », qui dénoncent la persistance du modèle financier, et rappellent que « l'explosion des dettes publiques résulte de tout autre chose que les dépenses sociales inconsidérées. Elles sont la conséquence des plans de sauvetage de la finance et de la récession provoquée par la crise bancaire. »
C'est jour de marché, je suis donc venu y humer l'atmosphère de bon matin; avec fromage et crudités, j'ai emporté un petit livre de Patrick Deville intitulé « Une photo à Montevideo », que j'ai lu sur une terrasse que j'affectionne, en une petite heure, bercé par son ton familier.
« Le livre et la photo n'avaient objectivement rien à voir, comme peut-être n'ont rien à voir les deux pelotes de l'espace et du temps, dont l'entrecroisement des brins finit cependant par tricoter le chandail de la vie et vous habille pour l'hiver. »
Hier soir, je me suis glissé dans la peau d'un espion, j'avais l'impression d'être pour quelques minutes le narrateur d' «Étrange façon de vivre » de Vila-Matas. La cible de ma curiosité: Richard Millet, à qui j'ai écrit de longues et parfois virulents lettres, dans ma tête, quand je cours. Des missives qui ne se sont jamais aventurées ailleurs que dans le brouillard de mon cerveau.
J'étais donc dans une bouquinerie, quand j'ai presque buté contre un homme qui reposait un livre pour s'en aller; c'était lui. J'ai tout d'abord eu de la peine à le croire, puis je me suis rendu compte que cela n'était en fait, au vu de l'endroit où je me trouvais, pas si étonnant. Je l'ai suivi, sans trop savoir pourquoi, peut-être parce que je me proposais d'enfin l'apostropher vraiment. Le fait est qu'en personne, il perd singulièrement de la superbe de ses harangues. Je l'ai observé un moment, alors qu'il sirotait un jus d'orange en attendant quelqu'un qui ne daignait pas venir; un malaise profond et ancien se dégageait de son corps maladroit et des regards inquiets qu'il promenait à la ronde.
Je ne voulais pas creuser encore davantage le lit de l'étang asséché où il semblait choir péniblement. Je l'ai laissé en guerre, avec lui et l'ombre de ses contemporains qui l'indispose tant.
Je m'en suis alors allé écouter Maryline Desbiolles. Du moins était-ce ce que je croyais, peu au fait des us et coutumes de la librairie où elle venait présenter son nouvel ouvrage. Mais il n'en fût rien, elle était simplement là, disposée à distribuer des dédicaces et à tenter de ne pas mourir d'ennui en écoutant la bonne société parisienne. Ce que je n'ai pas réussi à faire. Je me suis donc permis une approche assez rapidement, pour discuter un peu avec elle, sans trop l'accaparer. Nous avons évoqué John Berger, Zouk et le Portugal.
Desbiolles est un membre de choix dans ma famille d'écrivain, pas uniquement parce que je la lis avec bonheur depuis quelques années, mais aussi parce que j'ai un souvenir bien précis lié à sa voix. Je découvrais les chutes du Rhin par un inquiétant matin d'automne, je m'y étais rendu pour interroger mes pas, comme on le fait parfois quand on a l'impression qu'ils sont devenus trop convenus; je marchais dans la bruine, écoutant l'émission où, face à Alain Veinstein, elle présentait « C'est pourtant pas la guerre. » Elle m'avait offert quelques réponses, sans s'en douter; ou plutôt précisément parce qu'elle doutait.
« Bien sûr qu'écrire ne fait pas danser, mais au fond je ne m'y résous pas. Je voudrais que cette troisième voix ondule, qu'elle danse une danse que j'aurais vue les yeux bandés, les oreilles bouchées de cire, et que je connaîtrais cependant à la lettre. »
Libellés : Pensées vagabondes, Photos
1 Comments:
pour les oiseaux s.c
pour les oiseaux.
à cause du regard des hommes, de celui des femmes, de leurs actes manqués, de leur envie balayée, sans cesse ré-exprimée, d'ériger une Babel de papier.
Votre tentative ascensionnelle -conter l'errance choisie avec les mots de l'intime- dit, peut-être, "reconnaissez-moi".
J'espère un jour vous lire sur le papier.
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