katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

dimanche, juillet 18, 2010

anachroniques de l'éphémère






Ce type m'intrigue car il pourrait être moi, le sourire en moins, la bedaine en plus.



Il m’a tout juste accordé un hochement de tête quand je l’ai salué pour lui demander si je pouvais m’asseoir en face de lui, n’a pas davantage desserré les dents quand, après un éternuement, j’ai prononcé une des formules d’usage.



Ce type m’intrigue, il découpe des articles de journaux, prend des notes, laisse son regard cheminer dans un labyrinthe imaginaire, qui se déplace apparemment à la même vitesse que le train ; peut-être même un peu plus vite ; j’ai aussi remarqué qu’il s’est presque démis la nuque pour parvenir à déchiffrer ce que je lis.



Ce type m’intrigue car il pourrait être moi, le sourire en moins, la bedaine en plus.



Troublé par cette sensation, je sors mon calepin ; il y a un moment que je n’ai pas écrit, contrarié par des vents circulaires.



Revenir à ce précieux sanctuaire, il tempête dans mes doigts.



Je devrais davantage m’ancrer dans la terre, m’a-t-on dit ; j’ai peur d’alors perdre les élans qui m’encrent dans la mer.



Même s’ils sont puisés dans l’amer ?



Oui, sans hésitations.



Verseau, signe d’air; mais mon verso aime se dessiner dans l'eau ; écrire, m’agenouiller dans l’Océan qui relie ma tête et mes pieds ; qui les recouvre parfois.



Demeurent, quand l'eau abandonne le rivage, des coquillages inconnus à la recherche d’oreilles fatiguées.



Ce type m’intrigue car il pourrait être moi, le sourire en moins, la bedaine en plus.



Dans le lit qui faisait face à celui de Béatrice, à l’hôpital, se trouvait une dame souvent délaissée par sa tête ; elle(s) errai(en)t d’un moment d’absence à un autre. Son mari, aussi « coincé » ici, mais quelques étages plus bas, passait parfois la voir. Leurs échanges oscillaient entre absurde et tragédie ; quand le second registre prenait le dessus, s’échappaient d’obscurs éclats. En voici un, resté figé dans mon oreille qui s’égarait : « On en a vite marre de souffrir. »



Garrocher : jeter des petits cailloux à des fins propitiatoires.



Ecrire : garrocher en esprit, au rythme de ses paupières.



Passant une soirée à Neuchâtel pour regarder un match de la Coupe du Monde – délicieux Danemark-Japon -, j’ai écouté avec bonheur Xavier me parler de l’époque où, comme personne n’avait de téléphone portable, l’habitude était, pour certains jeunes de Bevaix, d’appeler depuis chez soi la « cabine du verger » ; si quelqu’un répondait, il était l’heure d’aller prendre un bain d’amitié.



Jean-Pierre Le Goff, suite à l’affaire Anelka, a parlé, dans « Libération », d’adultes « mal finis », avançant notamment le fait qu’il n’y a plus de service militaire à même de transmettre le sentiment d’appartenance à une communauté ; l’armée considérée par un sociologue comme rite indispensable pour passer à l’âge adulte; peut-être qu’il a regardé les matchs avec Eric Besson et Alain Finkielkraut; le fait est que, pourtant fort peu porté à quelque vulgarité que ce soit, je leur servirais volontiers la phrase qui a lancé le débat.



Ce type m’intrigue car il pourrait être moi, le sourire en moins, la bedaine en plus.



En quelques semaines, des élèves m’ont demandé si j’étais Grec ; un type pas complètement étanche, à la recherche d’une glace, m’a demandé si j’étais Italien; l’ami d’un ami m’a pris pour un Libanais ; une dame a pensé que je faisais partie de l’Ensemble Kaboul, qui venait émerveiller l’église St-Michel ; un milan, avant de disparaître dans les entrailles d’un nuage, m’a pris pour un des pigeons qu’il venait d’effrayer.



Cette multiplicité m’irrigue.



Derrière le type bizarre qui me fait face, derrière ce miroir déformant, une dame lit ; je crois déchiffrer le titre de l’ouvrage : « Chroniques de l’éternité ». Je souris, je me dis que c’est exactement le contraire de ce que je sculpte en silence. Ce qui me donne une idée pour emballer mes pensées sens dessus dessous, elles pourraient avantageusement s’appeler : « anachroniques de l’éphémère ».

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2 Comments:

Blogger Ondine said...

Je passe par là, te lis avec délectation et retrouve un accent de chez moi (garrocher, c'est québécois, quand même) dans ta multiplicité, qui te rend unique.

18 juillet, 2010 18:53  
Blogger Petchal said...

KatchDaBratch fait son comeback!!! grand plaisir!!!

bedaine en plus, sourire en moins c'est pas pour demain!

27 juillet, 2010 17:57  

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