katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, janvier 27, 2014

l'aurore indécise demeure









Les pas menant jusqu'au musée s'étaient pourtant dépliés impatients, guillerets. Il y avait eu la nuit précédente de quoi se sentir joyeux longtemps. Notamment la découverte d'une sorte de cave en altitude, un endroit redonnant à lui seul ses lettres de noblesse au qualificatif "improbable", souvent galvaudé, surjoué.

Les murs y étaient de pierre, le bar de bois. Le plafond, on ne sait pas; on pense qu'il vaut mieux ne pas savoir. Il avait au moins le mérite d'absorber la fumée que les nombreuses bougies aidaient à propulser en direction des cieux. Le reste de l'ambiance lumineuse était assuré par quelques lampes de chevet renforçant l'impression de côtoyer une frontière très floue entre rêve et réalité. La température n'était pas loin d'être suffocante, ceci grâce à un fourneau situé à l'entrée.

La chaleur venait aussi des choix musicaux orchestrés avec détermination par la baronne de la place, dont on ne tarderait pas à apprendre le nom. S'énervant contre la fille officiant au bar, elle haussa la voix, ce qui permit à Dominic de constater qu'il s'agissait d'une compatriote. Il s'empressa donc d'aller lui parler en roumain. Lumineta; manque un cédille sous le "t", à cause des limites de mon clavier (seulement de ma maîtrise de ?!?); un cédille le faisant siffler, le "t". Luminetsa. Petite lumière. La luciole de choc est à Francfort depuis 1981 (année de naissance de trois des quatre larrons de l'histoire en cours), venue alors de Bucarest.

Il y eut après les présentations décalées quelques tournées, quelques pièces maîtresses de la CD-thèque foireuse, ainsi que de nombreux fous rires pour délier guiboles et esprits. L'équipée se lâcha, gentiment mais sûrement.

On s'en est donc allés au musée, quelques heures plus tard, après avoir tout de même dormi un peu, la tête encore remplie (vidée?!?) d'images défiant les lois de la gravité. Mais, une fois entrés dans l'enceinte en faisant un pied-de-nez à la longue file déjà en train de se déployer (nous avions acheté nos billets le jour précédent), nous avons pu constater, arrivés au début de l'exposition déplaçant les foules, les dégâts causés par la toute-puissance du marketing de masse.

Ma curiosité s'est donc écrasée contre les remparts difficilement franchissables du totalitarisme culturel. Du terrorisme culturel, selon Luca. Les barbus de la culture, diraient peut-être certains journalistes peu inspirés. Comment?!? Non, cela ne manque pas, il est vrai. Ni de barbus, ni d'informateurs qui feraient mieux d'avaler leur clavier.

Bref, mes trois amis sont parvenus à faire fi; pour ma part, j'ai fui. Les divagations érudites et enjouées de Dominic sur Dürer ne parviendraient pas à me faire oublier le confinement. Je suis allé flâner ailleurs, dans ma caboche d'âne bâté et en dehors.

Não posso adiar o coração. Encore des vers de Ramos Rosa qui me martèlent les tempes. Je ne peux pas ajourner le coeur.

"Je ne peux pas ajourner l'amour à un autre siècle
je ne peux pas
bien que le cri suffoque dans la gorge
bien que la haine casse et crépite et brûle
sur des montagnes grises
et des montagnes grises

Je ne peux pas ajourner cette accolade
qui est une arme à double-lames
amour et haine

Je ne peux pas ajourner
bien que la nuit pèse des siècles sur le dos
et que l'aurore indécise demeure
je ne peux pas ajourner ma vie à un autre siècle
ni mon amour
ni mon cri de libération

Je ne peux pas ajourner mon coeur"

Je me suis dirigé au bord du Main. J'ai pensé à Bruxelles, où j'ai passé la première semaine de janvier, porté par une merveilleuse effervescence douce; j'ai pensé à ma soeurette belge, qui lisait "Ce que sait la main" de Richard Senett. Je lui avais alors parlé de "Penser avec les mains" de Denis de Rougemont. Une référence qui apparaît dans l'entretien du Matricule des anges de ce mois avec Jean Richard, le boss des Editions d'en bas. "Pour de Rougemont, la pensée est une éthique, elle doit se traduire en acte. C'est aussi une charge contre une pensée isolée du monde manuel, un intellectualisme désincarné."

Cela faisait également écho à un message de la musaraigne, des lignes de Clarice Lispector: " Je ne suis pas un intellectuel, j'écris avec le corps. Et ce que j'écris est une brume humide. Les mots sont des sons transfusés d'ombres qui s'entrecroisent inégaux, stalactites, dentelle, musique transfigurée d'organe."

Gonçalo M. Tavares vient de publier un livre fascinant: "O Atlas do corpo e da imaginação", une somme de réflexions, de citations, d'images. "Je ne sais pas vraiment ce qu'est ce livre", l'ai-je entendu dire à la radio, il y a peu.

Je ne sais pas toujours vraiment ce que sont mes déblogages non plus, pour dire vrai, mais je me plais à croire qu'ils charrient pas mal de moi, de mes envols et de mes chutes, traçant ce faisant un sillon de doutes et d'affirmations à même de vous donner à penser et à sentir; à pleurer et à rire.


Bonne année, fidèles lecteurs, mes invraisemblables, mes finistères.