Gare
d'Yverdon, fin de matinée ensoleillée. Sur la voie 2, un touriste
prend trois de ses amis en photo. Ils sourient, assis sur un banc.
Derrière eux, trois affiches publicitaires, identiques. Inscrit
dessus: "Ma
vie c'est pas seulement la schizophrénie."
Denis,
qui se bat contre sa dépendance à l'alcool; Denis, qui signe ses
messages Nez Pâle parce qu'il a été adopté au Népal; Denis,
parlant des anxiolytiques qui lui sont administrés parce qu'il a des
problèmes d'insomnie: "C'est
souvent comme ça, avec la médecine occidentale, elle utilise un
Bazooka pour tuer un moustique."
Mia
Couto, parlant des liens entra la biologie, qu'il a étudiée et
qu'il exerce encore professionnellement, et l'écriture, qu'il
pratique avec une inventivité merveilleuse: "Il
s'agit de trouver le plus de réponses possibles, pour finalement ne
jamais en trouver. Les mots, pour moi, ne servent pas seulement à
décrire, mais à découvrir."
Ma
grand-maman, alors qu'on descendait le village, discutant d'arbres et d'oiseaux; ma grand-maman qui venait de me dire avoir entendu la première hirondelle de la saison, le jour précédent; ma grand-maman, une fois
dépassée une assemblée de tilleuls: "L'amour,
c'est sûr que c'est les plus beaux moments d'une vie, mais c'est
aussi une sacrée saloperie."
João,
que tout le monde appelle JO-A-O, alors qu'il s'agit simplement de
prononcer "jouons" sans marquer plus fortement la première
syllabe; João, qui est le catalyseur d'un projet de défilé-spectacle
qui se tiendra dans une communauté où flotte l'esprit de l'Abbé
Pierre; João, qui parle aussi bien de "In the mood for love"
que de Tabucchi ou de Tati; João, qui appartient à Emmaüs depuis
vingt ans; João, qui, d'une bonne cinquantaine d'années d'altitude,
vient de devenir père pour la deuxième fois; João, alors que nous
sommes en train d'essayer différentes tenues et qu'il explique ce
qu'il aimerait réussir à inventer avec nous: "Surtout,
il est important de ne pas perdre une certaine urgence qui naît du
désir."
G.-A.
Goldschmidt, dans un entretien à la radio, expliquant pourquoi il a
délaissé un temps la traduction, notamment de Handke: "J'avais
envie d'écrire mes fromages à moi."
Au
Centre Social Protestant, quand elle voit que je paye les livres au
kilo, comprenant enfin comment je fais pour en amasser une telle
quantité, ma grand-maman laisse échapper:
"Faudra que tu m'expliques pourquoi tu t'obstines à écrire
alors que les livres ne valent définitivement que pouic!!!"
Entendu
alors que je me trouvais dans les toilettes du train: "Sur
ces îles, y a pas beaucoup de bouffe pour les chiens, parfois."
Magnificence
des champs de colza, au printemps. Dire qu'ils sont d'un jaune
éclatant est encore trop peu dire. L'intensité de leur couleur
confère à l'ensemble du paysage une puissance à la bienfaisante
singularité, permettant au bleu et au vert de mieux respirer.
Près
du noyer désormais complètement extrait de la terre, énorme dent
de bois aux racines moribondes, il y a un parterre de confettis,
saupoudré par les cerisiers alentour. Il ne suffit apparemment pas à
leurs fleurs d'être une fête pour les yeux quand elles se ouatent
sur leurs branches, elles continuent le festival une fois sur le sol,
enchantant le regard jusqu'à leur tout dernier souffle.
L'écriture
comme moyen de déboulonner les généralités dans quoi on baigne. L'écriture comme attention renouvelée à ces minuscules bouts de tout qui nous entourent.
Dépiauter des petits riens. Jongler au centre d'un festival de
miettes. Être un boulanger de récupération.
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