Vendredi
saint, mister Cicic est venu me chercher pour courir en duo; avec
dénivelé (jusqu'à de tardifs névés jurassiens) et kilométrage
conséquents. On a soigné la pompe et on a fait briller les
mirettes. Boudry, Gorges de l'Areuse, Noiraigue, Creux-du-Van,
back-to-Boudry; avec tape sur les fesses d'un bouquetin, un ancêtre
qui avait dû être corrigé par plus fougueux. Il avait tellement
triste mine que ses heures semblaient comptées. "Le poids du
papillon" d'Erri de Luca s'est posé sur le bout de mon nez. Un
vieil homme et la montagne, ce pourrait être le sous-titre
hemingwayen de ce petit texte. Je me suis dit qu'il fallait que je
l'envoie à mon compère de foulées. Et que je vous en touche un
mot. J'aime beaucoup cette expression: toucher un mot. Et puis c'est
exactement ce que fait de Luca dans chacun de ses ouvrages, il touche
des mots, les sous-pèse, les pose sur sa langue, les caresse avec
ses paupières; puis vous les tend pour que vous fassiez pareil.
Quand
je suis rentré de ma virée en essoufflements et transpiration
abondante, ma grand-maman arrivait de l'église, toute contente parce
qu'elle adore l'organiste qui avait suppléé l'habituel, malade. "Il
me semblait bien que cet instrument ne pouvait pas donner que des
petits sons tout maigrelets!!! Là c'était autre chose!!!" Si j'avais été dans les parages, je l'aurais
accompagnée, par curiosité. Du coup, je lui ai demandé combien ils
étaient, sachant que l'office se tenait pour trois villages. Dix,
ils étaient dix pelés. Ben ma vieille...
Le
repas de midi terminé depuis une demi-heure, elle s'est allongée
sur le canapé pour une petite roupillée pendant que je lisais le
journal. Le sommeil n'a pas mis long pour
l'emporter. Quand elle s'est réveillée, je lui ai dit, tout
sourire: "T'as
fait de puissantes ronflées!"
Sa réponse, du tac au tac: "Ouais,
après je suis re-bonne, mais jusqu'à deux heures, j'vaux pas grand
chose."
J'ai
commencé à pianoter ces lignes chez ma soeur, avec l'indétrônable
Lula Pena, lancinante, en musique de fond. Le chat de Leila, Virgule,
Gulon pour les intimes, qui vient de se faire enlever les points
consécutifs à l'ablation de sa queue (c'est un survivant, qui a
goûté de près aux joies de la circulation), avait d'abord grattouillé la porte en quémandant pour sortir. Comme je faisais
semblant de ne pas le voir, ou de ne pas comprendre, il était allé
percher sa déconvenue dans l'arbre à chats, objet aussi pouêt que
ridicule; mais apparemment salutaire, parfois.
Tenter
de suivre les sillons multiples tracés dans mon terreau familial m'a
permis d'esquisser une sorte de buisson généalogique touffu, avec
quand même quelques brèches comme des clairières; c'est là-dedans que je
farfouille, que je plonge ma plume. En même temps buvard et encrier.
A côté de ceci, qui s'écrit par fragments, le foot, la course, la
musique, les amis, les amours,... sont un peu mes arbres à katch.
J'y grimpe quand la serrure de l'écriture se refuse.
Parlant
foot, je répète souvent que ce sport que j'aime à la folie, qui
m'a apporté quelques uns des moments les plus intenses de me mon
existence, est aussi celui où l'état d'esprit, de manière
tristement répandue, est le plus déplorable. José Mourinho en
étant un des exemples les plus flagrants, refusant et détruisant le
jeu à chaque fois qu'il ne peut pas faire autrement, maître dans
l'art de l'attaque gratuite en conférence de presse. Je devenais
fou, tout seul dans mon canapé, en regardant le non-match aller
contre l'Atletico Madrid. Et sa troupe a remis ça quelques jours
plus tard, avec un hold-up à la clef, contre Liverpool, privant
probablement ces derniers d'un titre pas entrevu d'aussi près depuis
des années. Mais finalement, au match retour contre la bande à
Simeone, alors qu'ils avaient en une mi-temps produit plus de jeu que
lors des deux parties précédentes, la générosité et
l'intelligence collective des madrilènes ont eu raison des boys de
José.
J'ai
repris ce déblogage en Italie. J'y ai lu un recueil d'hommages à
Tabucchi. Dans le premier texte, Alessandro Agostinelli y oscille
entre Pise, Paris et Lisbonne. Il s'envoie une carte d'un lieu à
l'autre, pour voir qui arrive en premier. Il écrit dessus: la
rapidité de l'écriture.
En exergue de cette vingtaine de pages magnifiques, tellement
tabucchiennes, il y a ces vers de Giorgio Caproni:
Si
je ne devais plus revenir
sachez
que je ne suis jamais parti.
Mon
art du déplacement a été de toujours rester,
ici,
où je n'ai jamais été.
Il
est difficile de traduire "Il mio andare è stato tutto un
restare", une phrase limpide et musicale, en italien, mais qu'on
ne peut pas rendre par le même jeu sur les infinitifs, en
français. Ce qui me renvoie à un autre petit bouquin, regorgeant
d'aphorismes géniaux: "Traducteur Auteur de l'Ombre" de
Carlos Batista. Une incitation à avancer entre ses deux maximes:
"Nul
n'est traducteur qui ne doute sérieusement de son droit à l'être."
"Moins
le traducteur abdique sa personnalité, plus il parvient à rendre
celle de l'original."
Mais
je m'égare. La rapidité de l'écriture, j'y ai pensé en voyant
qu'un livre d'entretiens avec Rudi Garcia est déjà sorti. Ce
monsieur est l'entraîneur de l'AS Roma depuis ... le début de la
saison. Il réalise quelque chose d'absolument phénoménal,
sportivement, puisque son équipe, qui s'était traînée dans les
bas-fonds du classement l'année dernière, va terminer deuxième du
championnat, sans grand remaniement du contingent. C'est remarquable,
mais de là à publier un ouvrage avant même la fin du présent
exercice, ce n'est plus de rapidité qu'il est question, mais bien d'absurdité.
Observant
la périphérie de Follonica, j'ai réalisé que j'aime toujours un
peu plus ces zones ingrates. Leur absence de charme me fredonne une
autre présence, qui aurait à voir, elle, avec l'acuité de
l'écriture, avec sa volonté de gratter sous le vernis des
apparences, avec sa capacité à questionner les taches et les
tâcherons du paysage.
Puisque
mes jours et mes nuits se tricotent avec des aiguilles de pages, je
vous quitte avec ces lignes de Georges Borgeaux, extraites de ses "Italiques". Un extrait qui fait écho autant à l'actualité qu'à
l'image fabuleuse s'étant offerte à moi quand, lorsque ma boucle en
courant m'a déposé au-dessus du château de Scarlino, des rais de
lumière se sont extraits d'un plafond nuageux pour éclairer
uniquement Follonica, un miroir éblouissant sur la mer, et Massa
Maritima.
"Quand
le souverain pontife (Pie XII) s'approche du lieu où je suis, le
voisinage s'effondre comme un plancher. J'ai le vilain caprice de
rester debout et de lever la tête pour fixer dans les yeux le pape.
Ses longues mains bleues bénissent cette arrogance et je plie le
genou.
[...].
Le
pape parle. La pluie de printemps, subite et mêlée au soleil, tombe
sur les dernières paroles. Un arc-en-ciel inscrit nettement sa
demi-auréole sur la basilique et les palais du Vatican, soulevant un
murmure d'admiration auquel je m'associe sans toutefois croire qu'il
y ait là fatalement un signe du ciel, sinon à la lettre."
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home