Pseudo
"On m'a interné pour la première fois lorsque l'environnement a remarqué que je m'étais mis à retenir ma respiration mille fois, du matin au soir. D'abord on m'a cassé la gueule, parce que c'était insultant, un crime de lèse-humanité, une profanation de Pascal, Jésus et Soljenitsyne. Mettons, par ordre d'importance: de Soljenitsyne, de Jésus et de Pascal. C'était un crachat à la figure de l'humanité, c'est-à-dire la plus grande insulte qu'on puisse faire à la littérature. J'étais alors communiste, mais je me suis désinscrit depuis, pour ne pas les compromettre, parce que je suis subversif. J'étais debout sur le trottoir, il y avait du monde autour, ils ont vu que j'essayais de ne pas respirer le même air qu'eux. Ils ont appelé les flics pour injure à la voie publique. Les flics, dans le fourgon, quand ils ont vu que je continuais à ne pas respirer et même à me boucher le nez, m'ont cassé la gueule pour outrage aux représentants des organes respiratoires dans l'exercice de leurs fonctions.
Quand je me suis trouvé devant le commissaire de police et que je suis resté là, retenant mon souffle, à me boucher le nez et à faire mon exercice d'hygiène, il s'est foutu dans une rogne noire et il m'a dit qu'on n'était pas en Argentine ou au Liban, ici, mais à Cahors. Ça ne sentait pas la merde, le sang, le pus et le cadavre. Je pouvais respirer comme le genre humain l'exige.
- Faut pas essayer de me la faire.
Mais on n'était pas seulement à Cahors. On était partout. Ce con-là ne paraissait même pas se douter que Pinochet et Amin Dada, c'est vous et moi."
Romain Gary
Libellés : Pensées vagabondes
1 Comments:
c'est excellent et pour des raisons qui me sont propres cela m'a particulièrement encore plus touchée; on est tous concernés...,
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