katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, février 05, 2007

Créateur d'indifférence

14 mars 1916

« Je vous écris aujourd’hui, poussé par un besoin sentimental – un désir aigu et douloureux de vous parler. Comme on peut le déduire facilement, je n’ai rien à vous dire. Seulement ceci – que je me trouve aujourd’hui au fond d’une dépression sans fond. L’absurdité de l’expression parlera pour moi.

Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais eu d’avenir. Il n’y a qu’un présent immobile, encerclé d’un mur d’angoisse. La rive d’en face du fleuve n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face, la rive de ce côté-ci ; c’est là tout la raison de mes souffrances. Il est des bateaux qui aborderont à bien des ports, mais aucun n’abordera à celui où la vie cesse de faire souffrir, et il n’est pas de quai où l’on puisse oublier. […]»


Pessoa possède la langue, habite l’écriture, d’une manière à peine imaginable.

Pour que des lignes traduites dégagent une telle puissance, une beauté aussi aveuglante, alors même qu’il écrit sur une indicible douleur, il faut vraiment un génie démesuré.

Le plus étourdissant, à mon sens, c’est ce qui m’a également marqué dans la leçon d’acteur qu’est « Truman Capote », c’est le sentiment, non, la certitude, d’être un artiste hors du commun.

Avant même de se mettre à écrire, il y a cette évidence qui s’impose à eux, une sorte de flamme qu’il convient de déposer dans l’âtre, sans se brûler, mais au prix de quelles souffrances.

Suite aux commentaires de ma chère maman, la semaine dernière, je suis retourné me promener dans le jardin de l’intranquillité, il me semblait qu’il y avait un passage qui faisait un lien direct, au moins à mes yeux, avec les propos de Benoît.

Un extrait qui me semble être la meilleure réponse possible à ceux qui me demandent pourquoi l’enseignement et le social institutionnel ne me tente pas, ou plus, … et pourquoi j’écris.

« La devise que je préfère aujourd’hui pour définir ma forme d’esprit, c’est celle de créateur d’indifférences. Je voudrais que mon action en faveur de la vie consiste, par-dessus tout, à former les autres à sentir toujours d’avantage pour eux-mêmes, et toujours moins selon la loi dynamique de la collectivité. Former à cette antisepsie spirituelle grâce à laquelle il ne peut y avoir de contamination par le vulgaire, voilà ce qui m’apparaît comme le destin astral par excellence du pédagogue intime que je voudrais être. Que tous ceux qui me lisent puissent apprendre (même si c’est pas à pas, comme le sujet l’exige) à n’éprouver aucune sensation sous le regard d’autrui, devant l’opinion d’autrui- voilà un destin qui couronnerait de manière passable cette stagnation scolastique de ma vie. »

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