La lucidité, arme de déstructuration massive
Un monde insupportable. Il convient donc de vivre dans un monde insupportable où les gens meurent et ne sont pas heureux. Une vérité toute simple et toute claire, un peu bête même. Mais tellement difficile à découvrir et vous revêtant alors d’un poids insurmontable.
Voilà ce qu’assènent Charles Berling et Camus qui viennent d’entrer en scène.
Trois jours et trois nuits. Caligula s’en était allé, trois jours et trois nuits, il avait décidé de disparaître. Sa sœur, qu’il aimait à la folie, est morte. Lui pas, il se sent même, dans cette souffrance, plus vivant que jamais. A quoi cela rime-t-il ?
A rien, évidemment, comme tout. A tout, cela va de soi, comme de rien.
Il faut quelque chose qui se situe hors du monde pour continuer de respirer. La lune, le bonheur ou l’immortalité. Le bonheur ne mérite donc pas plus que ça, une petite place entre l’astre triste et la vie éternelle. Pas plus que ça ? Mais c’est déjà énorme ! Oui, mais c’est surtout ailleurs. Loin, très loin.
Encore Charles Berling et Camus, qui nous mettent la tête sous l’eau, en face de cette absurdité que nous essayons de voiler à grand recours de sécurité illusoire.
L’argent. La seule valeur communément admise, misérablement partagée, placée au sommet des préoccupations du pouvoir. Bien plus haut que la vie. Puisque tel est le cas, allons au bout de cette logique calfeutrée, avec fracas, calquons cette calamité sur nos bien minces certitudes.
Le seul être véritablement libre est le condamné mort, pour qui tout se vaut, tout se vautre. Caligula veut rendre leur liberté à tous ses sujets, il décide donc de faire d’eux des condamnés à mort en puissance, des êtres à la merci de critères totalement arbitraires. Des insectes dont la disparition aura au moins le mérite d’enrichir l’empereur.
On assiste comme cela, en apnée, pendant plus de deux heures, à la dissection de ce monde de cadavres.
Caligula espère la révolte jusqu’au bout, veut croire qu’une rébellion le consolant un peu va prendre place pour chasser la résignation, le libérant de ce poids de passé et d’avenir qui nous accompagne partout. Ne nous laissant jamais seul.
Charles Berling et Camus, à nouveau, pour un renouveau, pour que le théâtre soit habillé de ces plus beaux habits, ceux que l’on décide de brûler pour marquer son refus, ceux qui nous rappellent à quel point la vie, bien plus que par des hochements de tête dociles, se construit autour de refus.
Je me demande souvent ce qui permet d’actualiser une pensée, d’ouvrir vraiment les yeux sur les aberrations qui nous entourent, de prendre ces sentiers sinueux qui sont à une enjambée, une toute petite enjambée, qui sont marqués d’un NON bienvenu, d’un NON qui peut mettre hors cadre sans mettre hors jeu.
Qu’est-ce qui, malgré tout, nous donne la force de sourire, puisqu’il convient d’imaginer Sisyphe heureux ?
Cette pièce a tout pour être un début de réponse si elle n’est pas considérée comme une simple distraction du samedi soir portée par une critique favorable, mais que, en lieu et place de « l’endroit où il faut être », elle devient, véritablement, l’interprétation de « l’envers où il ne faut pas être ».
Libellés : Pensées vagabondes
2 Comments:
... Aaah c'est donc pour ça que t'as fait l'impasse sur la soirée PES6 sur écran géant !! Pfiou quelle histoire !! En tout cas tu nous as bien luné !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Merci!
Pascale
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