Petit bonhomme diurne
Le train a commencé à se dandiner, signifiant que oui, les deux petits bagages entassés à quelques pas étaient tout ce que je gardais pour faire chanter ma peau, pour changer de tempo.
Une sacoche en bandoulière, aussi, comme mon cœur, avec des pages à venir, des pages à vernir, des pages avenir.
Une petite fille, à côté de moi, lit les orphelins Baudelaire. Je souris, me dis que nous sommes plusieurs à être orphelins de Baudelaire. Enfants de la poésie, nos parents sont nombreux, pas tous morts, loin s’en faut, mais avoir envie de vivre avec eux fait sourire. Il s’agit de grandir. Ou de se faire adopter par une famille plus réaliste, économiquement réaliste, donc politiquement trapéziste.
Je lis, dans « Libération », ces propos de Catalin Dorian Florescu, un écrivain d’origine roumaine, résidant aujourd’hui à Zürich (il y a étudié la psychologie et est devenu psychothérapeute) :
«
Mais moi, je dis : chacun est responsable de sa peur. […]. Devant le devoir de mûrir et de devenir un homme à part entière, en pleine possession de lui-même, chacun est seul comme devant la mort. […].
En tout cas, on se sent en Suisse comme au paradis. De ce point de vue, c’est un pays plus proche de Dieu que d’autres Etats. On se traite avec douceur, on parle tout bas, on se tape sur l’épaule pour cette vie réussie. Mais on a peur de la vie en soi. »
Cela m’a fait étrange, quelques minutes après que mon train était parti, de lire exactement ce qui fait que j’ai besoin, pour me sentir plus proche de ce qui m’apparaît comme essentiel, de m’éloigner un moment de mon pays. Enormément de personnes et d’endroits que j’aime, « chez moi », mais aussi, trop répandue, cette incapacité à reconnaître la chance qui est la nôtre. Sans qu’il soit question de se culpabiliser ou de vouloir sauver le monde, juste ne pas se noyer dans l’indécence. Juste ne pas faire de sa vie un enchaînement de grandes et malsaines manigances.
De la peine à me débattre entre œillères et névroses, deux bijoux non exclusifs.
La vie en soi, la vie devant soi (Romain n’est jamais loin), j’ajouterai la vie sous soi. La vie qui est là, qui frémit, mais qu’on écrase avec une belle maison et une grosse voiture ; pour mieux s’asseoir dessus.
Un triste écho à mes pensées en dérives est venu stopper l’élan des wagons. Un « accident de personne ». Encore une expression qui atténue la réalité pour mieux la contourner. Quelqu’un n’en pouvait plus, il savait qu’un TGV passait, il avait décidé qu’alors il trépasserait.
J’ai toujours en tête le texte de Wouajdi Mouawad dans lequel il a écrit, il y a un peu plus de deux ans, que sa position, concernant le conflit au Moyen-Orient, n’en était pas une, que c’était une courbature. Je l’ai lu à voix haute, ce texte, à Paris, il était couvert des cendres venues depuis Gaza. Entre autres brasiers.
« Accident de personne ». Trop de personnes qui deviennent des accidents, voilà ce qui me secoue. Voilà ce qui devrait tous nous secouer.
Malgré le retard qui semblait déranger quelques voyageurs, le train de nuit qui partait d’Irun pour Lisbonne nous avait attendus.
Le Portugal me fascine depuis tout petit. Je voyais des travailleurs saisonniers s’entasser dans un petit appartement, en face de chez ma grand-maman, pour dépenser le moins d’argent possible. Ils passaient des heures, le soir, dans une cabine téléphonique, parlant avec leur femme, se persuadant que le lien, ainsi, ne serait pas complètement rompu ; écouter leur épouse raconter leurs enfants, pour tenter d’effacer en partie l’absence et la distance.
Quand je leur posais des questions sur leur pays, ils m’en parlaient avec une ferveur qui n’avait rien à envier à celle de mon grand-père maternel lorsqu’il me vantait les glorieux épisodes militaires qui avaient fait de nos compatriotes des soldats prisés et redoutés.
Alors que j’étais arrivé depuis quelques instants, que j’avais déposé mes affaires sur un banc pour prendre un ticket de métro, un couple est venu me poser une question en portugais. J’ai haussé les épaules en souriant, même si j’étais content d’avoir été pris pour un autochtone, j’étais bien obligé de leur faire comprendre que je ne parle pas encore la langue de Pessoa.
« Oh, Stranger in the night ! » hasarda le monsieur. Sa femme ajouta « Not in the night » en me saluant.
Non, je ne suis assurément pas un personnage « de la nuit », qu’elle soit calme ou mouvementée. C’est par l’intermédiaire de la télévision qui se trouvait dans une des rares brasseries ouvertes aux alentours de la gare Montparnasse, le premier jour de l’an 2009, que j’ai appris que plus de 500'000 mille personnes avaient festoyé sur les Champs Elysées pendant que je dormais profondément. 7000 policiers étaient mobilisés, des voitures ont quand même brûlé. Bêtise contre Bêtise, match nul, qui s’en étonnera ? Super Nicolas a expliqué que les réformes continueraient. Il faut que tout bouge, en permanence, que tout change en accélérant. Mais il faut être solidaire, aussi.
Pendant les intermèdes publicitaires, deux spots mettent en garde, crachent des adresses internet où aller se renseigner pour ne pas laisser « le danger entrer chez vous », « pour protéger vos enfants ». Je ne comprendrai jamais comment on veut réanimer le terme de solidarité, déchiré qu’il est de toutes parts par des signaux de peur incessants.
J’ai écrit « réanimé », je me relis sans pouvoir m’empêcher de me demander s’il ne s’agit pas d’un terme qui, si on l’entend dans un cadre où certains n’ont rien à y gagner, n’a pas passé son existence, dès sa naissance provoquée, dans le grand coma des idées.
Voire dans la mare de sang des idéologies.
Je pianote ces impressions à peine arrivé à Lisbonne, dans un café qui, eczéma du XXIème siècle oblige, est muni de deux écrans plats. D’un côté une chaîne musicale qui sert de la soupe, chaude ou froide, de l’autre un match de foot entre deux équipes anglaises.
L’âme de cette ville se mérite, comme souvent. Il va falloir que je sorte de la débattue des avenues.
Libellés : Pensées vagabondes
7 Comments:
Quel drôle de hasard... je viens tout juste de commencer train de nuit pour Lisbonne que tu m'avais conseiller il y a un an.
Pinpin
J ai tout lu pour une fois!!! Bonne année mon ptit tchoupo!
The living-room football player!
Un délicieux périple, décrit avec subtilité, délicatesse et profondeur. Bonne route!
In bocca al lupo pour ton expérience dans ce pays riche de glorieuse histoire et magnifique art, même si un peu voilé de mystérieuse tristesse…
Je l’avais traversé en longue et large, il y’a dix ans ; j’ai trouvé
Lisbonne absolument fascinant , un peuple ( surtout dans les campagnes )
orgueilleux , honette, d’une pauvreté énormément digniteuse ( ?) , que ai beaucoup aimé.
Mais la langue …oh, oh j je jj jj ..help !
Je voudrais te saluer ,puisque the winds of change me porteront moi aussi pour un peu , si tout va bien , défiant la neige , le gel et le froid Sibérien vers ceux qui savent bien comment réchauffer mes mains et non cœur .
Très affectueusement ,
Jane
Katch, comme d'habitude, tes mots sont une douce mélodie. Tes mots, quand tu parles de toi, de ce qui t'anime ou te ré-anime, sont bien plus fort que les extraits de ceux qui te nourissent.
Je suis certaine que dans la douce Lisbonne, ton âme saura trouver son bonheur.
A bientôt
L.
éventuellement demander des infos à tiago, c'est un grand amateur de poésie, et il est originaire de lisbonne; voici les coordonnées de son blog:
http://guesswhoandwhere.typepad.fr/carnets_de_poesie/
le top peut-être serait d'arriver à rencontrer nuno judice, c'est le plus grand poète portugais vivant, il écrit des merveilles. ( http://www.bibliomonde.net/auteur/nuno-judice-496.html )
il parle français couramment, en plus.
bon séjour
drôle de hasard, je suis en train de lire train de nuit pour Lisbonne! Pinpin
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