comme des scarabées à l'intérieur d'une pyramide
"Attendez! Voulait-elle lui dire.
Pendant des années, ils avaient laissé le temps se décolorer, user, transformer tous ces objets en fragments et morceaux éparpillés sur le sol, assimilés à lui, de la même couleur et de la même substance que lui. Mais elle voulait lui dire qu'il y avait des objets qui ne disparaissaient pas, qui n'avaient ni poids ni matière, mais qui se métamorphosaient en souvenirs. Ils se transformaient en fluide immatériel, ils entraient et sortaient du corps immatériel des gens, ils se fondaient avec la circulation du sang et pénétraient dans les cavernes de la mémoire pour s'y loger tout au fond de la vie, ils demeuraient près d'elle, et cette nuit-là il aurait suffi d'approcher la lampe à pétrole du corps de la fille en chemise de nuit et enveloppée dans la courtepointe pour voir que ces objets habitaient dans sa tête. Silencieusement, sans trouver les mots pour le dire, elle avait thésaurisé les objets qui avaient constitué son héritage, elle les avait conservés, intacts, comme des scarabées à l'intérieur d'une pyramide. Si Walter avait approché la lampe de son front, il aurait vu qu'elle avait gardé intégralement les guêtres noires, la gourde en émail, le mouchoir blanc, le havre-sac brun, l'uniforme de flanelle grise, la grande capote en laine avec sa longue manche. Voilà ce qu'elle aurait voulu lui dire."
Lidia Jorge, La couverture du soldat
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