katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, février 06, 2008

Quand la littérature réalise le lecteur

« Je voulais rejoindre, pas

à pas, le soleil

et ce n’était

qu’un trou dans la terre. »

Claude Esteban, « La mort à distance »




Je ne sais pas exactement quand la question du suicide est devenue un élément primordial dans le champ de bataille de mes pensées. Je sais que c’était avant de lire « Le mythe de Sisyphe » où se trouve l’affirmation de Camus selon laquelle il s’agit du seul problème philosophique. Il est clair que c’est bien avant ma fascination pour la vie de Gary, et donc pour sa mort. Une balle dans la tête en décembre 1980. Je ne suis par contre pas certain que ce soit beaucoup avant d’avoir écouté « J’appuie sur le gâchette » de NTM. Je viens de me rendre compte que, alors que je ne l’ai pas entendue depuis bientôt dix ans, j’en connais encore les paroles par cœur.

« Tout a commencé sûrement le jour où je suis né, le jour où je n’ai pas croisé la bonne fée qui aurait fait de moi ce que je ne suis pas ce qu’il m’arrive d’envier parfois ceux que la vie a doté d’une chance mais moi malheureusement voilà je n’en suis pas là et privé de ça pour qui devrais-je mener un combat de toute façon pas la peine je connais la rengaine mais j’en ai pas la force. Mon amour pour la vie s’est soldé par un divorce. »

Je récite ceci intérieurement et ne peux m’empêcher de penser que j’ai, vous me passerez l’expression, la gueule de l’emploi. Particulièrement aujourd’hui. Il est 6h, je suis dans le train, j’ai en dessus de l’arcade droite un pansement fortement imbibé de sang suite à un choc tête contre tête à l’entraînement hier soir. Il ne me resterait plus qu’à glisser mes pantalons dans mes chaussettes et le tour serait joué. Je m’en garde et laisse un autre souvenir lié à ce morceau me revenir à l’esprit. Je m’étais enregistré en train de le déclamer sur un appareil que mon petit frère avait reçu pour ses deux ans, mon père l’avait écouté et m’avait demandé si je voulais en parler avec lui. Il pensait que j’avais écrit ce texte, que j’étais terriblement mal dans ma peau. C’est la première fois que j’ai réussi à lui dire que le soupçonnais fortement d’être paranoïaque. Je trouve aujourd’hui que cette réaction était déplacée, pas adéquate, cependant je me console assez vite puisque cela ne compense pas toutes les fois où j’aurais eu raison de le lui dire mais ne l’ai pas fait.

C’est étrange où me mène le clavier lorsque je commence à le caresser. Au début de ces lignes, je voulais parler d’un article que j’ai lu dans le journal samedi, un chiffre qui s’est inscrit dans le courant de mes tracasseries cérébrales et ne veut plus me quitter. Et voilà que je me mets à parler de mon enfance.

Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide. L’endettement est un facteur, mais pour le reste ? Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide. Pas de geste plus singulier que celui de se donner la mort, et pourtant, lorsque cela atteint une telle ampleur, on n’arrive même plus à individualiser cet élan morbide. Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide. Plein de réminiscences sortent de la nuit en lisant ceci, je repense notamment à ces paysans chinois qui s’étaient tués violemment, en public, lors d’une manifestation pour protester contre certaines directives de l’OMC. Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide. Je pense à la « mode » des suicides collectifs qui sévit chez certains jeunes japonais.

Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide.

J’ai passé beaucoup de temps avec mon grand-père jusqu’à ce qu’il nous quitte. J’avais alors douze ans. Beaucoup de mes intérêts et des mes émerveillement viennent de lui. Beaucoup de mes incompréhensions et de mes colères aussi. Je me souviens très bien qu’il estimait qu’un homme ne devait pas se suicider, autrement il aurait été « maudit », ou quelque chose d’avoisinant. C’est pour cela que je ne comprenais pas pourquoi tout le monde insistait pour me dire, alors qu’il, mon grand-père, avait été brièvement maintenu en vie suite à une attaque cardiaque, qu’il « n’avait pas voulu revenir », « qu’il avait souhaité s’en aller ». Il m’a fallu longtemps pour comprendre que ce n’était pas un désaveu, bien au contraire, que dans sa vision du monde et de l’au-delà, quel qu’ait été son niveau de religiosité, une existence artificielle était encore plus « maudite ».

Benoît a la lourde tâche de lire une partie de mes épanchement littéraires. Il constate souvent, prenant les pincettes de circonstances, que mes mots, dès qu’ils prétendent s’aventurer sur le terrain de la fiction, perdent pratiquement toute leur substance. Ma plume se débat dans le vide. Il n’y a pas nécessité, aussi pompeux que se terme puisse paraître. Mon cœur ne bat alors pas au bout de mes doigts, le relief se refuse à la feuille.

Je partage cet avis. Cela me désole en partie, mais est fidèle à ma manière de vivre la littérature. Si je crois aussi intensément dans mon œil, de lecteur et d’homme curieux, c’est que je sais combien certains livres m’ont permis de garder toujours la tête haute, sans fierté, avec seulement la certitude que je me dois de fixer chaque minute dans les yeux. Un regard qui ne se dérobe pas. Cela je le dois aussi à mon grand-père. Ne jamais laisser la personne qui te fait face te négliger, sans arrogance, avec même, dans le scintillement des pupilles, une main tendue, mais ne pas accepter d’être déconsidéré. Cela indispose, parfois, mais cela permet aussi des rencontres fabuleuses. La confiance en soi comme moteur interne pour garantir l’intensité d’une vie, pour préserver de l’ennui, pour allumer quelques unes de ces flammes que trop de monde étouffe.



« Avec des mots très vieux

écrire

la même phrase ou presque

encore un jour. »

Claude Esteban, « La mort à distance »

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7 Comments:

Blogger Cicic said...

Comme quoi, même après une immense pétée au crâne tu arrive encore à écrire des trucs qui prennent des heures à lire...
Te rends tu juste compte que j'ai pas toute ma journée de travail pour lire tes articles !!! Tu pourrais pas faire des résumés pour les gens pressés ???
Bonne journ...

06 février, 2008 09:21  
Anonymous Anonyme said...

ça va pas le châlet!!!!!!Ecrire des choses pareils!c'est le coup sur la téte,le matelas trop mou,ou les endives froides qui te font penser à tout ça, de plus écrit a 4h du matin ... Mais bon quel talent dans l'écriture,dans la façon d'expliquer tes souvenirs ,je me suis même surprise a faire moi aussi un petit détour dans mes souvenirs avec ma grand-mére et aussi avec mon beau-pére.(On se comprend.)Bisous

06 février, 2008 22:27  
Blogger Raphu said...

Comme cicic, j'ai tout lu cette fois-ci! Au début j'ai eu une appréhension, puis cela a été, et maintenant me réjoui de manger cette fondue avec toi ce soir! Allez bonne route!!

07 février, 2008 12:18  
Blogger katch said...

Eh bien voilà que même Taratata se met à me laisser des p'tits mots!

Entourée de Cicic et Raphu, voilà qui me fait grand plaisir!

Un jour où l'autre, lire nous donnera raison!

Tout de bon!

07 février, 2008 12:27  
Anonymous Anonyme said...

désolé mec, mais moi, j ai même pas eu le courage de commencer à lire....

see next time to the dzo's

08 février, 2008 18:31  
Blogger Unknown said...

Ma soeur me dit, il va bien K, il écrit sur le suicide...pas pu lui répondre, je sais pas comment tu vas ;-)... par contre suicide, je me demande pourquoi c'est si compliqué.. à écrire...(devrait rechercher l'étymologie probablement, à moins que tu ne puisses m'expliquer la racine)

Suicide, ça me fait penser à Bruno avec qui j'ai fait plusieurs cours de danse...lui ça fait perpét qu'il y pense et qu'il chasse l'idée, se bat contre peut-être et surtout ne comprend pas bien d'où elle vient...grand mystère...alors la danse, miam que du bonheur... la danse c'est la vie et pour un homme conduire la femme pour un voyage corps à corps dans l'immaginaire...enfin je vois ça comme ça et j'adore la danse ;-)...
Et puis autre souvenir aussi, indirects, ceux de l'incompréhension et d'une sorte de culpabilité portées par les amis, laissées sans voix... oui, c'était pas top pour lui(elle), il (elle) l'a partagé, nous en avons discuté, nous avons avancer avec lui (elle)...[sorry, mais il y a les deux souvenirs qui se mèlent et les 2 fois les mêmes "bras balants" des amis qui restent... je ne connaissais que de vue ceux qui sont parti, c'est ceux qui restent que je connaissais]
...et puis flop, l'ami décide que c'est trop difficile, qu'il n'y arrive plus, que décide-t-il, pourquoi, comment... qu'est-ce qu'on a fait, pas fait, qu'est-ce qu'on aurait dû faire...qu'est-ce qu'on pas pas compris, n'a-t-on pas mesuré sa difficulté......difficulté aussi d'accepter le choix de mort...remise en question de ses propres choix par rapport à la vie, aux difficultés, à la souffrance, à la douleur...

J'ai pas d'idée sur le suicide...juste des expériences indirectes, des sentiments diffus,... souffrance, incompréhension, douleurs...

Un truc sans mots qui fait mal, on ne sais où mais profondément....au fond de soi...

souffrances, incompéréhension, douleurs, pour celui/celle qui vit et qui décide de ne plus vivre...que vit-il/elle, vraiement?....mais les mêmes mots pour ceux qui vivent et restent...

Ce que je sais c'est que j'adore:
« Avec des mots très vieux

écrire la même phrase ou presque

encore un jour. »

Sinon, je ne sais pas pour la fiction, doit-elle être toujours fictive?...ou ce qui fait vivrer un livre n'est-ce pas la part de réel transformé par les souvernirs et les mots de l'auteur?...
Tout dépend de quelle hauteur on lit...peut-être...ces 4 derniers jours je les ai passés là haut d'ailleurs, en hauteur... Pays d'Enhaut, Ormonts...la vraie vie...qui vibre de partout...yououou...(oups, me suis égarée)
Je t'embrasse...et puis, t'as tjs les boîtes à Läckerli?? ;-)

11 février, 2008 14:36  
Blogger katch said...

Je vais très bien, merci, j'ai les boîtes et ai réussi le remarquable exploit de les prendre deux fois avec moi chez Fahrenheit, sans penser à les y laisser...

Je vais tenter d'être moins stupide la prochaine fois que je suis dans le nord vaudois...

Baci

12 février, 2008 12:07  

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