Errer dans une terre morte
Et la pluie arriva, on aurait pu penser à une petite averse de printemps, il n’en fût rien, ou plutôt : il en fût bien plus. Lourdes et chaudes gouttes sous quoi je m’empressai d’aller courir, toujours à l’affût de ces moments d’éternité où je me réconcilie entièrement avec l’enfance. Mieux, je lui offre des ailes, me permettant certaines choses qu’aucune adulte présence ne peut plus tancer de sa voix « responsable ».
Responsable ? Une expression un peu triviale me monte alors à la tête : pis mon cul c’est du poulet ?!?
A la question de savoir si j’ambitionne d’écrire pour être lu ou pour être compris, je ne saurai rien répondre d’autre que : je n’ai pas d’ambition. Situation, ou précisément absence de situation, qui m’a souvent valu quelques railleries. Par exemple lorsque l’on apprend l’assiduité avec quoi je pratique la course à pied, simplement pour moi, sans envie de me frotter aux troupeaux qui compétitionnent un peu partout.
Se dessaisir, une fois de plus, pour mieux s’asseoir sur les conventions, pour mieux dégager les opinions d’une certaine stagnation cérébrale. La pourriture des cerveaux a donné des champignons nauséabonds avec quoi il faut composer aujourd’hui, même s’ils rongent tant et tant d’âmes. J’essaye de vivre en poésie pour donner le change, marquant le refus du règne des nantis, qui flaire bien trop le ranci.
Samedi soir, nous sommes arrivés à Côme avec Béatrice, accompagnés par l’ambiance festive de la ville. Musique et parades. Renseignement pris, il s’agissait de manifester la joie de certains après que Berlusconi a fait accepter le projet visant à ce que figure dans les lois « le délit d’immigration clandestine ». C’était alors, malgré le cadre merveilleux, comme un goût de sang dans nos bouches. Nous ne voulions en aucun cas être assimilés à ceux qui ont pour seul horizon la cristallisation des peurs et des rancunes.
Nancy Huston, dans son dernier essai intitulé « L’espèce fabulatrice », donne cette définition de ce qu’elle appelle l’Arché-texte de l’espèce humaine : « Tu es des nôtres. Les autres, c’est l’ennemi. ». Elle mentionne alors combien le roman nous ouvre la porte d’une certaine « éthique de la nuance », nous rappelant qu’être dans sa peau peut/doit aussi vouloir dire être dans celle des autres. Elle aime beaucoup Romain Gary, faut-il le préciser ?!?
La question de la mendicité pointe le bout de son nez dans les journaux suisses parce que Genève a rendu cette pratique illégale. Nicolas Deiss, le préfet de
(In)sécurité et pouvoir d’achat, d’aucuns conseillent de tourner dix fois la langue dans la bouche avant de parler, je ne peux m’empêcher de cracher six fois par terre après avoir prononcé ces mots. Mais une certaine âcreté persiste, signe que l’indignation s’accroche ; les nôtres ne changent jamais l’eau de leur bain.
Mes propos, ce matin, sont décousus. Ainsi en va-t-il de mes pensées qui, prises dans un de ces grands filets de pêche qui gobent et ratissent tout sur leur passage, sont obligées de se faufiler comme elles peuvent entre les mailles. Quelques unes parviennent à s’en sortir, les autres gonflent un peu plus la masse des cadavres s'en allant orner les assiettes d’épouvantails peu scrupuleux.
Dans une terre saine, bien plus précieuse que les terres saintes, peuvent se mouvoir des tonnes de vers de terre. Aujourd’hui, dans bien des sols, en creusant longtemps, on trouve, si on de la chance, quelques lombrics perdus. Ils ont oublié de disparaître, probablement parce qu’ils ont un petit côté rêveur, ou révolutionnaire.
Quand j’étais petit, le premier métier que je voulais faire, bien avant footballeur ou journaliste, était « vétérinaire pour les vers de terre ». Peut-être avais-je déjà senti que, quelques années plus tard, écrire, vraiment vouloir écrire, avec le refus de l’insipide que cela signifie à mes yeux, ressemblerait à ça, errer dans une terre morte.
Libellés : Pensées vagabondes
1 Comments:
"A la question de savoir si j’ambitionne d’écrire pour être lu ou pour être compris, je ne saurai rien répondre d’autre que : je n’ai pas d’ambition."
Pfff. Pas d'ambition ?
Tu dis ça, et quelques lignes plus loin, tu nous sors "J’essaye de vivre en poésie pour donner le change".
Ce n'est pas de l'ambition au sens traditionnel de "réussir dans la vie" mais ce serait plutôt "réussir sa vie" et c'est TRRRRÈS ambitieux ça...
Décousu ?
Pas spécialement.
Les gens festoyant à Côme, méprisant les mendiants, "les vers de terre"... Non non, fais toi confiance. Moins de questions sur l'écriture, et juste écrire, y aller.
Et je t'offre ceci, d'Antoni Casas-Ros, qui à mon oreille sonne tellement vrai que je vais la placer quelque part ou tu sais à propos de qui tu sais:
"Un écrivain est un fuyard qui rêve d'être rattrapé."
Benoit
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