le quai le plus sûr pour contempler le monde
La vieille dame secoue la tête pendant que la maraîchère arrange ses cheveux. Un amoncellement de couleurs et de fraîcheur les sépare. Derrière elles se devine un étal de poissons. Plusieurs mètres au-dessus de leurs têtes, des néons sont allumés, sans trop que l’on comprenne pourquoi, la lumière qui, de l’extérieur, s’engouffre dans cette halle immense semblerait suffire.
L’agitation et les conversations tournant autour du prix des denrées me parviennent étouffées ; entre cette partie du marché et moi, la vitre du café où j’aime venir, de bon matin. Les chaises en plastique détonnent au milieu d’une abondance d’azuleijos. Le bar, constitué d’un amoncellement de fausses briques, s’avance d’étrange manière dans la pièce en L.
Le serveur arbore, derrière son tablier, une cravate surprenante. La radio disperse volontiers une soupe pop qui, ici, l’exploit n’est pas mince, ne m’horripile pas.
A deux pas, Cais do Sodré regarde tranquillement se presser les gens qui débutent leur journée, ils arrivent depuis l’autre côté du Tage, ou depuis les trains qui le longent entre Lisbonne et Oeiras.
Composant avec mon dictionnaire un milieu de terrains qui ferait frémir même celui de Barcelone, nous déchiffrons avec plaisir et abnégation les schémas de jeu de « Ler », le mensuel des livres et des lecteurs.
Sur la couverture, Antonio Tabucchi, que je révère depuis ma lecture de « Tristano meurt », il sourit, orné d’un béret délicieux.
« L’écriture est un animal sauvage », dit-il, « pas un animal domestique ».
Oh que oui.
Il n’habite pas loin, au sommet de la colline qui me fait face, à Principe Real. Je serais ravi de l’y croiser, un jour, je n’hésiterais alors pas à engager la conversation, en français, puisqu’il écrit aussi bien dans cette langue, qu’en italien, il l’est, ou qu’en portugais, langue qui l’a adopté ; en fait non, il s’agit plutôt d’une histoire d’amour.
Né à Pise, il a découvert Pessoa en français, pendant qu’il étudiait à Paris, il a donc décidé d’étudier le portugais à Sienne, où il a rédigé une thèse sur le surréalisme au Portugal.
Il y a des types qui font plaisir, comme dirait l’autre.
Devant moi, un livre décapant de Christiane Rochefort, emprunté à l’IFP. Son titre, « Le monde est comme deux chevaux », semble se confondre avec ces lignes d’Aline Vieira, extraites d’un livre de photos sur le fleuve tout proche :
« Même si un jour il n’y a plus de bateaux qui m’attendent, je saurai toujours que Lisbonne est le quai le plus sûr pour contempler le monde. »
Libellés : Pensées vagabondes, Photos
1 Comments:
"UN AMONCELLEMENT DE FAUSSES BRIQUES"
Ainsi est le monde alentour, même parmi les poètes.
Ma fille dit : Ma mère, si elle repère un coquelicot fleuri au milieu d'un chant de ruines, elle ne voit plus que le coquelicot qui requiert ses bons soins !
"Lisbonne"... entre autres...
Et nous... pour témoigner...
Marie-Christine TOUCHEMOULIN
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