katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, avril 14, 2009

fuir par une faille








Déborner : faucher à la faux autour des bornes, pour éviter d’occasionner des dégâts à la faucheuse.


Il est bel et bien terminé. Je me prélasse dans le petit lexique qui se trouve après la brève chronologie qui lui est consacrée.


J’avais lu le premier volume à Fribourg, il doit être en bonne compagnie, chez Vivette la flèche, à présent.


Le second, pris dans mon baluchon, je l’ai tiré en longueur. Je m’interdisais d’en lire plus de quelques pages. Je l’ouvrais, j’étais directement envahi par cette indéfinissable joie mélancolique. Je le refermais, il restait la main sur mon épaule.


Epaule, un mot qui revient souvent sous sa plume. Ce point de jonction entre cette tête, trop surchargée chez lui, et les bras, qui s’activent en permanence chez ces agriculteurs qu’il aime.


Il rêvait d’une harmonie parfaite avec ce milieu où il ne comptait pas les heures passées à marcher, à sentir et observer. Il a arrêté quelques moments suspendus, sur pellicule et sur papier, mais, en lui, cette lourdeur en permanence, ou presque. Désaccordé, c’est ce qui hurle dans les dernières pages éparses de son Journal.


Désaccordé, pour quelqu’un qui n’a jamais vraiment été accordé, voilà de quoi voir se superposer un calvaire poisseux sur chaque minute s’égrenant péniblement.


« Depuis combien d’années – beaucoup, peut-être – a commencé cette croissante offensive du silence intérieur qui me cerne aujourd’hui – j’allais dire sans issue et sans merci, mais au plus extrême du sentiment de l’inéluctable, l’espoir essaie encore de fuir par une faille, « attendre » n’apparaît pas encore totalement, absolument vain ».


Il écrit cela le 18 juin 1960.


« Avant de reprendre route vers Neyruz, je m’assieds un instant sur le banc mince devant le mur du sud de la chapelle, (couleur de) lie de vin, que trois platanes nappent de leur ombre avant de s’agripper en festons fantaisistes et mouvants à la façade au gros crépi. »


Ainsi commence sa dernière note. Une nouvelle fois cette tentative de communier avec la nature, tout d’abord par le regard et la peau, puis en captant un soupçon de cette atmosphère sur papier.


Il n’y a qu’un minuscule paragraphe de plus. Nous sommes le 2 octobre 1971, il ne sera libéré que cinq ans plus tard. Cinq ans pendant lesquels il n’écrit plus, mais où il refuse de se donner la mort qu’il sent pourtant si présente.


Alternant avec ce dernier café que je prenais en compagnie de Gustave Roud, je marchais, beaucoup, avec Carl Seelig et Robert Walser (« Promenades avec Robert Walser », Carl Seelig).


Robert Walser (tu veux pas écrire son nom encore une fois ?) et Gustave Roud, deux des plumes les plus délicates et délicieusement décalées que la Suisse a vu naître.


Deux écrivains dont l’humilité, dont la volonté de se tenir à l’écart de la scène, littéraire ou pas, m’imposent un respect que je peine à décrire tant cette attitude me semble toucher au plus juste.


Rarement l’authenticité a atteint un tel degré de sacerdoce a-religieux.


Un moment, rentrant de Gossau, Walser (ah, quand même !), fustige les ecclésiastiques qui se cramponnent à une ascèse dont la nécessité n’apparaît pas à leurs propres yeux, simplement parce que la tradition le veut. Seelig lui demande alors ce qui serait exigé d’eux, aujourd’hui.


« Moins parler du Christ, davantage l’imiter. »


Il a passé les vingt dernières années de sa vie dans une clinique à Herisau, n’écrivant plus, passant ses journées à participer aux activités de l’endroit, demandant même à Seelig de ne plus venir le trouver durant la semaine, parce qu’il ne voulait pas passer pour un privilégié aux yeux des autres. Les promenades doivent avoir lieu le dimanche, c’est tout.



Me sentant bien peu en phase (ah ouais ?!?) avec le tissu d’ambitions que l’on tente de tresser sur nos chaussettes, dès le plus jeune âge, je trouve dans la grâce de ces êtres qui ont su chercher, aussi bien que se chercher, sur des sentiers à l’écart du règne des Nombrils argentés, une voix et une oreille qui caressent mes inquiétudes, tout en soufflant de la poussière de beauté sur mes incertitudes.


Mourâ-biâ, n. m. : vent d’ouest chaud et sec, soufflant en été. Littéralement : mûrit-blé.


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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

http://www.youtube.com/watch?v=YIOsIbqpR5s&eurl=http%3A%2F%2Fwww%2Esandfantasy%2Ecom%2Fvideoclips%2Ehtm&feature=player_embedded


pour tous les artistes de la discrétion et pour toi, meu ben
bejinhos

gabi

15 avril, 2009 19:55  
Anonymous Anonyme said...

"FUIR PAR UNE FAILLE...

C'est comme rester fidèle à l'oiseau que l'on a entendu chanter "une fois" pour toutes les fois... au plus profond de soi-même.

"FUIR PAR UNE FAILLE...

Et si la faille était vécue, vraiment vécue, comme une issue, une voix-voie d'accès jusqu'au plaisir de demeurer ensemble ici-bas par amour ?

Exister sans discontinuer en s'évadant pour conjuguer le verbe aimer à tous les temps, à tous les modes, à toutes les personnes, à perpétuité, par tous les temps ; "centré en soi et orienté sur l'autre"... dans le sens de la faille, l'existence est mise au monde.

Marie-Christine TOUCHEMOULIN

16 avril, 2009 21:25  

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