katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, octobre 16, 2007

La pesanteur et la grâce

« Le moteur de l’activité, dans le monde occidental, est fort simple, simpliste même ; il est établi sur un manque que l’on arrive jamais à combler, ce qui entraîne une frénésie dans l’urgence. Partout où elle passe et sévit, la pensée occidentale crée le manque sous ses sabots, tout en prétendant le satisfaire. […] C’est à travers une activité purement égoïste et parfaitement contraire au but qu’elle se propose que nous recherchons un « universel » qui toujours fait défaut. »

Je voulais commencer avec ceci, tranquille le chat, espérant que, placé sous l’œil bienveillant d’un moteur simpliste, j’allais réussir à faire en sorte que ma tête soit un peu moins emberlificotée, coucou grand-maman.

J’avais envie d’appeler ce poste « Ode à Raoul » parce qu’il y a un moment que des propos « chipés » dans un livre de Georges Lapierre (« Le mythe de la raison », éd. de L’insomniaque, joli, joli (« Joli, joli » c’est moi qui rajoute, la maison d’édition s’appelle juste L’insomniaque (Juste Leblanc))) m’avaient fait penser à lui, je vous les copie pour la route, petite aire de repos où dévorer un sandwich, parce que je ne sais pas trop où je vais arriver, malgré mes louables intentions de départ :

« Cette éthique de la reconnaissance mutuelle, du respect de l’autre considéré comme un sujet, et non comme un objet au service de la cause, est incompatible avec le militantisme, ce sous-produit de la pensée dominante.

Sorti tout armé de la pensée occidentale, le militant, avec des gestes de matamore, n’en critique en fait que le particulier pour en sauvegarder l’essentiel, le sens de l’Etat. Le militant est un homme de pouvoir. »

Donc ça se complique déjà, avec mes parenthèses volantes qui peuvent être considérées comme un hommage au titre du chapitre dont est tiré ce passage, à savoir « Digressions indiscrètes à propos d’un problème de traduction » (Joli, joli) et avec le contenu qui, je vous le concède, est plus théorique que littérairement éblouissant.

En fait, j’aurais pu ne garder que la dernière phrase, qui résume ce qui me dérange dans certaines attitudes que je peux deviner quotidiennement et dont Raoul, bien qu’ayant une vie où ses idéaux prennent joliment place, se dispense avec grâce (souvenez-vous en de ce petit mot, parce qu’après mes divagations sur la noblesse, celui-ci va aussi avoir le droit à ses fleurs), mais l’explication qui précède me réjouit, notamment le fait d’éclairer que le militantisme, et donc de ce fait tout ce qui se rapproche du politique, est tout simplement contraire à une éthique de la reconnaissance mutuelle.

On peut toujours garder ça dans un coin de sa tête pour la prochaine fois où arrivent en face de notre petite personne pressée des perles du genre : « Vous vous rendez compte qu’il y a des gens qui n’ont pas d’ordinateur ? », « Vous savez que la forêt tropicale est menacée ? » ou « T’as pas deux balles ?!? ».

« Mais, moi, le capitalisme je le lis à la Stephen King : c’est une bête qui travaille à l’accumulation des choses dans la folie. […] Cette bête-là, elle est capable de se régénérer tout le temps, de gagner de l’argent avec les produits bio, avec les produits équitables, avec le social, avec les pauvres. Cette bête est capable de prendre toutes les formes. […] Tu rencontres quelqu’un qui est dans l’altermondialisme et tu te rends compte que derrière lui il y a toute une structure d’entreprise, que Greenpeace fait maintenant du coaching sur comment faire une bonne intervention… On va vendre des stages pour être dans la contestation. La bête est tout le temps là. »

Ce sont des paroles de Jean-Pierre Ostende que j’ai lues hier en petit-déjeunant (la même chose que mon grand-papa de Tunisie (« Azizi »), un immense bol de café avec plein de morceaux de pain dedans, des « trempettes », re-coucou grand-maman (la « Cricri »). Sauf que lui y mettait l’équivalent d’un sucrier, et qu’il mangeait le gras des moutons à même la bête. Miam. Il a vécu jusqu’à plus de 90 ans, mais oui).

Cette bestiole sortie de l’imaginaire de l’écrivain qui m’a, le premier, donné envie de lire (des potes m’avaient offert « Le Fléau » pour mes 13 ans, plus de 1500 pages, je les avais remercié en pensant que je n’allais jamais le finir. Deux semaines plus tard j’avais vécu une de mes premières expériences d’immersion complète en cerveau étranger. Et voilà ce que ça donne, on se retrouve, un peu plus de 10 ans plus tard, à écrire des stupidités sur Internet et à se lever à 4h du matin avec l’impression que le temps pour lire manquera toujours), cette bestiole, donc, était coincée entre deux neurones alors que je lisais, assis sur un banc du jardin botanique, un chat sur les genoux, et c’est là que Simone Weil m’a fait cadeau de ceci :

« Ne pas exercer tout le pouvoir dont on dispose, c’est supporter le vide. Cela est contraire à toutes les lois de la nature : la grâce seule le peut.

La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour la recevoir, et c’est elle qui fait ce vide. »

Il est donc là, le problème, nous manquons cruellement de grâce.

Merci, Raoul, du haut de ton incomparable humilité, de me le rappeler aussi souvent.

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1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Tiens, en arrivant au boulot, après avoir lu ton billet de ce matin, le premier livre qui me tombe sous la main dans les nouveautés arrivées ce jour:

John Holloway
Changer le monde sans prendre le pouvoir:
le sens de la révolution aujourd’hui
(Syllepse/Lux éditeurs)

"Dans son livre Changer le monde sans prendre le pouvoir, Holloway mène une analyse théorique et politique de ce que portent les mouvements sociaux depuis le milieu des années 1990—impulsés notamment par la révolte zapatiste en 1994. Holloway montre que ces mouvements luttent pour un changement radical, mais dans des termes qui n’ont rien à voir avec la radicalité des luttes antérieures qui visaient la prise du pouvoir d’État. Ils sont plutôt en rupture avec la théorie marxiste classique de la révolution, qui se centre uniquement sur la prise du pouvoir institutionnel. Holloway s’interroge sur la manière de reformuler notre compréhension de la révolution en tant que lutte contre le pouvoir et non pas pour le pouvoir. Après un siècle de tentatives manquées visant à mener des changements radicaux, et ce, autant du côté des révolutionnaires que de celui des réformistes, le concept de révolution est entré en crise."

16 octobre, 2007 18:16  

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