katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, octobre 09, 2007

Une journée fractionnée...

Au loin entends-tu le bruit qui court ?

Au point juste au point du jour

A deux pas de chez toi

A deux pas de chez moi


Kerenn Ann accompagne les premiers instants d’une nouvelle semaine qui va bientôt commencer à se débattre, ici, ailleurs, partout.

En se levant au petit matin, au tout petit matin, impression de pouvoir regarder plus sereinement cette agitation à venir.

C’est d’abord une sensation encore floue, pourtant, assez vite, plus les minutes s’amoncellent, plus s’impose le sentiment que je vais au devant d’une journée où tout sera matière à écrire.

Je termine « Loin de Veracruz », un livre de Villa-Mattas dont il ne me restait plus qu’une cinquantaine de pages mais qui s’était, depuis longtemps, dissimulé sous d’autres frères d’étagère.

Comme à sa magistrale habitude, cet écrivain espagnol tisse une histoire où toute réflexion se voit éclairée, ou noyée, par une relation obsessionnelle à la littérature. Un des personnages, souvent le narrateur, alimente chaque situation d’une citation de circonstance, ce qui pourrait paraître indigeste ou pompeux, mais l’humour de l’auteur écarte toujours cette possibilité.

Le rire, le décalage d’un des protagonistes, l’omniprésence d’événements invraisemblables, font la différence entre plate érudition et mise en question permanente de la pertinence du savoir sorti des livres.


Au loin on voit les neiges qui fondent

Au coin juste au coin du monde

A deux pas de chez toi

A deux pas de chez moi


Keren Ann, en boucle, murmure depuis le coin de son monde, berçant ce début de journée où, j’en suis à présent convaincu, je vais me sentir dans la tête déjantée de Villa-Mattas, membre émérite de ma famille d’écrivains.

Je suis parti en avance pour aller me faufiler entre les merveilles du jardin botanique, charmante promenade matinale motivée par une raison peu poétique : vider le petit amas de déchets organiques constitué par épluchures et autres délices, reste des petits plats mijotés dans ma cuisine nouvellement investie.

J’écoute alors Antonio Lobo Antunes (émission « podcastée » ou, comme je l’ai entendu dire par un vaillant mais peu motivant défenseur de la langue française : ballado-diffusée. Mais oui, je vous jure que c’est vrai.), captivant auteur portugais qui s’exprime ici dans un français superbe, saupoudré d’un charmant petit accent.

Terminée ma première minuscule besogne du jour, je me laisse secouer par les propos de Lobo Antunes. Des lettres écrites à sa femme entre 1971 et 1973 ont été traduites l’année dernière, il aurait préféré qu’elles ne le soient qu’après sa mort, mais ses filles, qui les ont découvertes dans une male, ont insisté pour qu’il n’attende pas, arguant que, de cette manière, leur mère disparue prématurément serait encore en vie.

« Alors vous comprenez bien que je ne pouvais pas refuser »

Il y a l’amour, dans cette correspondance, mais il y a surtout, entre les lignes, l’aperçu d’une période passée sous silence pendant longtemps, celle des guerres coloniales portugaises, en Angola, au Mozambique et en Guinée.

Je suis concentré sur la fin de l’entretien, si une personne me regarde, dans ce genre de moment, elle doit probablement se demander s’il s’agit d’un début de crise d’épilepsie. Regard dans le lointain, corps immobile.

Mes yeux sont en fait fixés sur une dame très âgée qui traverse la route, ce qui lui demande un effort énorme, chaque pas semblant devoir être le dernier. Pendant ce temps, Lobo Antunes explique que, en tant qu’officier, il a eu le droit à un mois de permissions durant ses trois ans, mais que cela s’était avéré encore pire, il préférait y retourner, attendant que tout cela finisse pour de bon.

Il n’arrivait pas à profiter du présent, la guerre, cette guerre qui lui avait déjà enlevé un cousin et dont il ne pouvait pas, ne voulait pas parler avec son entourage, brûlait le reste de son existence. Il ne pourrait recommencer à vivre, vraiment, qu’après, pas d’intermède possible.

Alors il compte les jours qui le séparent de son retour sous le drapeau, ridicule fierté nationale.

30, 29, 28,…

Plus qu’un mètre et elle sera sur le trottoir qui semble la toiser de sa petite hauteur.

Je l’observe, voyeur qui n’en est pas un puisque sa détresse s’expose aux yeux de tous ceux qui composent le tourbillon par quoi elle ne peut plus se laisser emporter.

L’écrivain portugais a fini d’égrener ces nuits hors du monde. Et elle, quels ont été ses combats ? A-t-elle vécu une correspondance enflammée ? Se souvient-elle de ce qui rythmait son quotidien au début des années 70 ?

Questions ridicules, peut-être, qui envoient dans ma tête une autre chanson de Keren Ann, une sorte de vieille carte postale mise en musique :

Surannée

Comme une ballerine

De l'Opéra Garnier

Indémodable mais,

[…]

Souvenir d’un souvenir


Un banc et un rayon de soleil bavardent. Intrigué, je m'assieds sur

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1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

le poète melancolique
ne se lance pas
au secours de la vieillesse
mais son chant
guide le monde

"espera"

09 octobre, 2007 09:41  

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