katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, novembre 12, 2008

Flottante réalité

Lorsque je me joins aux universitaires qui jouent au foot le mardi et le jeudi soir, il y a un élément qui intrigue bon nombre d’entre eux davantage que mes mimiques de danseurs égarés, le fait que je lis quand je ne suis pas sur le terrain. Quelques uns risquent une question de temps en temps, d’autres me disent qu’ils ne comprennent pas comment je peux me concentrer.

C’est en m’attardant sur l’excellente chronique de Joëlle Kuntz dans « Le Temps » ce matin (les quatre petites colonnes qui lui sont dévolues le mercredi, ainsi que celles de Sylvie Arsever, le vendredi, sont de pures merveilles d’interrogations pertinentes décalées), qui tourne autour de la spéculation, que j’ai pensé aux lignes qui vont suivre. J’y ai découvert cette affirmation de Ludwig von Miser, le fondateur de la théorie néolibérale : « Chaque action est spéculation ».

J’ai tout de suite eu Rachid en tête, un des rares footeux avec qui j’échange plus que les salutations d’usage. Cet amoureux de Zidane a, balle aux pieds, une élégance à faire pâlir d’envie Georges Clooney dans une publicité Nespresso. Chacun de ses gestes, aussi compliqué à réaliser soit-il, est empreint d’évidence. Il choisit toujours exactement ce qu’il fallait faire au moment précis où il fallait le faire. Son jeu n’est pas pour autant enveloppé de prudence, il sait souvent se montrer très percutant. S’agit-il de bienheureuse spéculation ?!?

Il m’a confié, il y a peu, qu’il ne lisait jamais, que cela l’énervait. Sur le moment, j’ai simplement souri en lui disant que j’allais essayer de lui mettre entre les mains quelques livres à même de le faire changer d’avis (Vous croyez que je ne devine pas vos petits rires ?!? Bien sûr qu’il y aura au moins un Gary !).

En fait, je sais très bien qu’il ne spécule pas, et que ce qu’il m’a dit l’autre jour n’est pas vrai. Il lit. Sur un terrain, il ne fait même que ça, lire le jeu. Il habite son propre regard tout en se glissant dans celui des autres. Voilà d’où vient la justesse de tous ses mouvements. Avec ou sans ballon.

Elle est là la grande différence entre la spéculation et la lecture. Dans les deux cas il est question de projection, la première enferme, en ce qu’elle n’a pour but que son propre intérêt, la seconde ouvre, parce qu’elle cherche à comprendre.

Je revois Ronaldhino, sortant de Santiago Bernabeu sous les applaudissements du public madrilène alors qu’il avait crucifié leur équipe par deux fois. Il avait réussi à sublimer l’espace et le temps, mettant tout le monde d’accord, adversaires, équipiers et spectateurs. Il avait lu dans les yeux des défenseurs du Real pendant qu’eux spéculaient sur ses hypothétiques erreurs. Il avait offert sa facilité et son sourire comme plus sûr refus de l’assimilation du jeu et de la vie à du calcul de probabilité.

En spéculant, on parie sur un monde qui se comporte comme une équation, on tente de restreindre les imprévus, on néglige l’absurdité. On efface le facteur humain. Lire, c’est précisément le contraire. C’est avoir en tête, en permanence, combien notre petite réalité est flottante et combien, si on a envie d’embrasser celle des autres de temps en temps, il faut accepter de souffler très fort sur les miettes de nos certitudes. Chaque jour.

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4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Merci de rappeler simplement que nos certitudes sont des petites cages de verre que l'on oublie que trop souvent d'en soulever le couvercle pour s'échapper! ta pensée du jour vient parfaitement se mettre en écho à ma lecture gentiment offerte de Stig Dagerman! Les certitudes ne sont qu'une forme faussée de notre besoin de consolation, où le mot besoin est ici bien plus que problématique!
A tout plus et merci pour le service Tavernier d'un soir...

12 novembre, 2008 18:03  
Anonymous Anonyme said...

Speaking of certainty and

its opposite uncertainty ,

doubt , a well known

sentence comes to mind :

“ I doubt the doubt itself “

Was it Spinoza or Hume who

introduced this concept ? .

Dante : “ I love to doubt as

much as I love to know “ and

Goethe confirmed :

“ Doubt grows with knowledge .”


Changing the subject .

A very indiscreet personal

question :

Who are you , mysterious Katch ?

Are you a football player (

or rather dancer ) turned

into a poet , or a rhymer

turned into a footballer ?

And if so , do you compose

your poems while playing in

the field , and ' play’

virtually when you are on

your ‘petit balcon’ in front

of your page or

keyboard ?

Or perhaps you are even

something else , something

more ??? ( Besides the

adventurous traveler , the

mountain climber and probably

the conqueror of numerous

girls' hearts ?)



An admirer who , though

unable to see or even imagine

the athlete in action,

can fortunately savour the

wealth of your thoughts ,

sensations and

imaginations ,

so graciously accompanied

by your music .

13 novembre, 2008 14:09  
Blogger katch said...

Eh bien, je m'incline devant ce commentaire, et me permets de risquer un baise-main par-delà nos claviers, très chère Anonyme.

Quand vous laissez quelques mots, un parfum de framboises n'est jamais très loin, et de nombreux souvenirs me font tourner la tête.

Vous faites partie des rares personnes grâce à qui je me sens en partie "confirmé" dans mes choix, dans mes rires et dans mes doutes.

Savoir que quelques amies et amis ont une certaine foi en moi, les deviner qui viennent prendre de temps en temps la température de mes émois sur mon petit balcon n'a pas de prix.

Très tendrement et affectueusement vôtre.

Le gamin de talus qui joue au foot avec les mots sur un jardin de notes en friche.

14 novembre, 2008 08:47  
Anonymous Anonyme said...

J'aime tes mots ...
Et aussi l’absurdité et le facteur humain... même si parfois le second me fâche...le plus souvent, une fois l'inutile colère passée... les deux me font sourire...;-)
J'aime.. le footballeur qui lit le jeu... c'est exactement ça... et c'est le genre de métaphore qui, peut-être, permettrait de donner un coup de pouce aux "footeux" qui peinent en lecture?...
Et je souris aux mots anglais...parce que c'est chouette les questions sans réponses... ou plutôt qu'il n'y ait pas une alternative sportif ou poète... juste HOMME... youououou, que du bonheur ;-)

17 novembre, 2008 12:12  

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