la simplicité mêlée au plus savant travail
En me rendant à la bibliothèque, j’ai croisé Césarine, elle revenait de l’école. Césarine est un grand sage, un sage « joueur ». Il se cache dans une petite fille qui a une dizaine d’années mais qui en fait plusieurs de moins.
J’étais content de voir qu’elle allait mieux que la dernière fois où je l’avais aperçue. Elle sortait alors de chez le dentiste, la douleur dessinée sur le visage.
On a papoté quelques instants avant que je reprenne ma déroute en direction de ce cri :
La peinture du poème s’en va.
C’est ce que chuchote la couverture du livre de James Sacré qui m’attendait à la bibliothèque, un murmure qui a précédé de peu la tristesse qui s’est chevillée à mon corps.
Cet ouvrage date de 1998.
J’étais le premier à l’ouvrir.
Dix ans qu’il était rangé, ce papillon de tendresse, négligé, attendant sagement le pilon.
Pourtant, rien que le nom de la maison d’édition donne envie de laisser ces pages fondre sur la face-cœur des paupières : Tarabuste.
Il y a quelque chose qui me tarabuste, c’est une kyrielle de souvenirs que déclenche ce mot.
Mon regard était déjà de légère brume vêtu lorsque j’ai découvert, glissé au milieu du livre, un petit hommage à Gustave Roud, cette voix de papier qui m’est si chère. Comme un clin d’œil fraternel supplémentaire.
Des frères, drapés d’humilité, séjournant dans l’effacement et la discrétion.
« Il y a pourtant des écrits qui sont aussi des couleurs. On y voit bien ces couleurs, toutes leurs finesses. On imagine tout l’effort qu’il fallait savoir faire pour les dire, ça qui semble impossible, et pourtant les voilà, à cause de quelques mots choisis ou venus par nul miracle autre que celui de la simplicité mêlée au plus savant travail : dans les Ecrits de Gustave Roud par exemple. »
La peinture du poème s’en va.
Oui, un mur de douceur qui s’effrite sans que personne y ait posé le front, doucement, pour se sentir vibrant.
Appuyer cette tête qui tourbillonne, écouter son cœur qui se débat.
J’ai glissé ce recueil palpitant dans mon sac, je le devinais qui m’enjoignait de l’étreindre encore.
Je suis sorti du bâtiment, tout était pareil, les étudiants parlaient toujours aussi fort dans leurs aspirateurs à âmes.
Les magasins ne désemplissaient pas.
Heureusement, j’ai de nouveau pu me bercer au sourire de Césarine.
Elle avait une pâtisserie dans la main (« très jolie, très bonne, mais très chère » m’a-t-elle dit), et son sac sur le dos. Comme je m’étonnais de la voir chargée alors qu’elle n’avait pas d’affaire lorsque je l’avais vue la première fois, elle m’a expliqué qu’elle avait eu envie de sucre en arrivant chez elle et qu'il n'y avait rien qui lui convenait. Elle avait alors mis ses devoirs dans son sac pour ressortir.
Ensuite, elle n’a qu’à penser à ce qu’elle doit faire. Quand elle ouvre ses cahiers, tout a été complété.
La peinture d’un poème s’invente donc, malgré tout.
Le poème d’une peinture savante.
« Je me souviens. Je balbutiais alors, chaque nuit, de tout un corps vague et comme reployé sur lui-même, et pourtant soulevé d’une sorte d’attente trop vive et trop sûre, un mot difficile à vivre, qui est différence. Les chemins du jour sont miséricordieux à ces faux vagabonds. »
Gustave Roud, Air de la solitude
Libellés : Pensées vagabondes
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home