katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, avril 28, 2009

Insupportable centre fuyant








« Tu ne trouves pas que c’est un peu élitiste ? »


Nous rentrions d’un bref passage dans les nouveaux locaux de ler devagar, lire lentement ; manifestement d’anciennes presses réhabilitées. Nous avions été accueillis par deux étages de livres. Nous avions flâné pendant le sound-check qui se déroulait tranquillement, en vue du concert à venir pour fêter le deuxième jour d’ouverture.


« Tu ne trouves pas que c’est un peu élitiste ? »


Emportés par l’élan de nos pas, marche bienvenue qui nous menait d’Alcantara à Santos, je m’étais lancé dans une de mes diatribes contre le son creux de certains quotidiens « éthiquement paresseux ».


« Tu ne trouves pas que c’est un peu élitiste ? »


Je repensais à cela lorsque j’ai dit à ma colocataire que regarder MTV était dangereux pour sa tête.


Cela m’a à nouveau traversé l’esprit quand nous parlions d’une sorte de désintérêt ambiant pour les « aînés », quand nous exprimions nos hérissements face au terme de « client » dont on badigeonne des personnes ayant besoin de soins ou de soutiens.


Est-ce que s’interroger sur la manière dont on évacue les questionnements sur la mort, est-ce que refuser de s’en tenir aux (non-)lieux communs est élitiste aussi ?


Ceci me déchirait le crâne pendant que je me replongeais dans les propos de Tabucchi, quand je me passionnais pour ses digressions autour de ce que Bergson, répondant à Einstein, appelait « le temps de la conscience ».


Cette phrase me harcelait aussi quand j’avais envie de distribuer de puissants coups de boule aux types qui, dans la zone commerciale, me demandaient si je voulais de la dope tous les dix mètres.


« Coke, Hasch ? » « Non, mais je pourrais peut-être faire de tes dents de la goulasch ? »


Ces mots pointaient dans mes regards quand je prenais des skateurs en photos.


Ils étaient toujours là quand je demandais, à la Casa do Alentejo, s’ils avaient des adresses d’exploitations agricoles ou viticoles à me communiquer ?


Même refrain quand je serrais la main du Cap-verdien qui, devant chez moi, se fait quelques maigres euros en « surveillant » les voitures.


Toujours cette étincelle quand je lisais la superbe carte (« Il est tant de façons d’aimer » inscrit dessus) de ma grande soeurette, animée des réflexions et de la sensibilité qui, après les années d’initiales chamailleries, nous ont rapprochés.


Puis à nouveau il y a quelques minutes lorsque j’écrivais à mes amis garyens.


« Tu ne trouves pas que c’est un peu élitiste ? »


Sans ralentir, mais en regardant mes pieds, j’avais répondu oui.


Oui, c’est vrai, sans doute.


C’est quoi ce monde où on quitte l’Université par refus de fricoter avec l’élite autant que par la détestation des « Comment, vous ne connaissez pas cela ? » et où on se retrouve, par le simple fait de se poser des questions sur soi, sur soi au milieu du monde, comme un élitiste, malgré soi ? Contre soi?


C’est quoi ce monde où être curieux, où refuser la danse des chiens paparazzis qui vous font pi-people dessus en permanence, vous sanctionne en vous mettant à l’écart ?


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3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Karim...
Je n'ai pas encore lu votre texte...
Mais parce que d'entrée en lecture, "non" je ne trouve jamais, je cherche à l'infini la personne que je suis en passe d'aimer infiniment... j'écris "de moins en moins"... souvent... mais "de plus en plus" infiniment... c'est la raison pour laquelle, soudain, le silence s'en vient à faire du sens en moi... qui demeure en existence...
Marie-Christine
(Ce commentaire est sans doute hors sujet mais toutefois en harmonie avec votre entrée en matière)
Marie-Christine Touchemoulin

28 avril, 2009 23:08  
Anonymous Anonyme said...

Pour l'heure, je vous ai lu "très" attentivement...
"Les aînés" ?
Je vous ai souri avec toute la tendresse que je contiens...
Si leur trace vous est nécessaire...
Votre voix s'inscrit sur la portée de ce qu'ils ont tenté de réussir en procréant...
Vivre intensément ?
Je ne sais pas, je ne sais plus...
Toutefois les mots sont là pour nous attraper par le coeur lorsque nous sommes en existence ensemble...
Marie-Christine Touchemoulin

29 avril, 2009 01:18  
Anonymous Anonyme said...

Je suis curieux d'entendre Karim sur la "trace". et la procréation, un thème majeur, pour sûr!
Le refus de procréer pour des raisons environnementales m'a toujours semblé être une forme de nihilisme. Je sais bien que l'on ne peut continuer à procréer sans considérations pour l'environnement de nous supporter, dans tous les sens du mot. Mais la raison pour laquelle des oeuvres comme "La route" et "Children of Men" me semblent si importantes, c'est qu'au milieu du nihilisme auto-destructeur, la seule solution est dans la "trace", la possibilité d'un recommencement, qui passe simultanément par la conscience de quelles traces il ne faut pas suivre, comme dirait le Tulipe de Romain...

Benoit

29 avril, 2009 17:33  

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